Résumé:
Cette génération est celle des années 1470 à 1490.
Suivant notre comptage, cette génération est la génération 120 associée au psaume 120. C’est dans ce psaume 120 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.
En Espagne depuis les mouvements de conversion massive orchestrés depuis la fin du XIVe siècle, les conversos par leur statut ambigu arrivent à s’intégrer à la haute société espagnole sans manquer de créer certaines inimitiés. Pendant près de quarante ans, les initiatives à l’encontre ou en faveur des Juifs et des conversos se succédèrent aussi bien du côté du clergé que du pouvoir en Espagne sans qu’aucun des camps ne l’emportât.
En 1469, le mariage entre Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille suscite l’optimisme chez Juifs et conversos. De fait, ce mariage entre les royaumes de Castille et d’Aragon sonne le glas de la présence juive en Espagne. Assez rapidement, la situation se dégrade aussi bien pour les Juifs que les conversos. L’inquisition s’installe définitivement en Espagne dans la péninsule Ibérique.
De fait, dès le début de la prochaine génération le sort des Juifs en péninsule Ibérique sera définitivement scellé. Pourtant les Juifs étaient en terre d’Espagne avant même que l’Empire romain ne devienne chrétien.
Pendant de longs siècles, les Juifs ont pensé pouvoir cohabiter en Espagne avec les chrétiens et les musulmans, les chrétiens qui se revendiquent héritiers des Wisigoths, musulmans descendants des Omeyyades. Comme le constate le psaume de cette génération, cet espoir a été vain.
Pour les musulmans aussi c’est la fin de l’aventure espagnole. A cette génération, le dernier royaume musulman en terre d’Espagne est le royaume nasride de Grenade. Comme l’annonce les prophéties d’Isaïe, il ne lui reste exactement qu’une année à survivre après cette génération. Il disparaitra effectivement le 1er janvier 1492.
Développement:
Le mariage entre Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille
La (double) génération précédente a permis aux Juifs d’Espagne de se réorganiser du point de vue religieux, ce qui les préservera en tant que peuple Juif hors des frontières d’Espagne lorsqu’il faudra bientôt abandonner ce pays.
C’est donc d’abord sur ce constat positif, que le psaume de cette génération commence :
- Cantique des degrés. Vers l’Éternel j’ai crié dans ma détresse, et il m’a exaucé.
Toutefois la détresse passée ne préserve pas celle à venir. En Espagne depuis les mouvements de conversion massive orchestrés depuis la fin du XIVe siècle, les conversos par leur statut ambigu arrivent à s’intégrer à la haute société espagnole sans manquer de créer certaines inimitiés.
Pendant près de quarante ans, les initiatives à l’encontre ou en faveur des Juifs et des conversos se succédèrent aussi bien du côté du clergé que du pouvoir en Espagne sans qu’aucun des camps ne l’emportât. Mais à l’aube de la présente génération, la menace se précise pour les Juifs et les conversos d’Espagne, même si elle n’est pas encore réellement perceptible aux intéressés :
- Un tournant[1], invisible mais crucial, fut pris en 1469, contre la volonté d’Henri IV (roi de Castille): sous les auspices du financier juif Abraham Sénior (homme influent à la cour d’Espagne), on célébra le mariage entre Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, qui suscita l’optimisme chez Juifs et conversos. Une monarchie forte pourrait et devrait mieux résister aux prétentions de l’église, garantir une meilleure autonomie. Et puis Ferdinand et Isabelle étaient connus pour leurs amitiés avec des membres importants de la finance et de l’intelligentsia marrane et juif. Espérances illusoires.
En effet ce mariage entre les royaumes de Castille et d’Aragon sonne le glas de la présence juive en Espagne.
Le sort est scellé pour les Juifs d’Espagne
Ainsi, assez rapidement, la situation se dégrade aussi bien pour les Juifs que les conversos. L’inquisition s’installe définitivement en Espagne dans la péninsule Ibérique. Après plusieurs siècles de présence, dont de nombreuses années heureuses, le judaïsme espagnol agonise, tout du moins en terre d’Espagne.
L’inquisition qui commence sa mise en place en Espagne présage de la fin imminente de la présence juive en Espagne.
Les diatribes (langue perfide) contre les juifs accumulées depuis des générations en terre chrétienne ont fini par atteindre leur but : faire disparaître le judaïsme des terres catholiques. Et avec eux, les Juifs fidèles à leur religion ou ceux qui ont cru pouvoir faire semblant de l’abandonner. Ceux-là sont envoyés au bûcher (« charbons ardents des genets »).
C’est cela que traduit la suite du psaume de cette génération :
- Seigneur, délivre-moi des lèvres mensongères, de la langue perfide.
- Quel profit te donnera-t-elle, quel avantage, cette langue perfide.
- (pareille) aux flèches des guerriers, aiguisés aux charbons ardents des genêts?
De fait, dès le début de la prochaine génération le sort des Juifs en péninsule Ibérique sera définitivement scellé et il en sera fini de cette longue période de plus d’un millénaire ou les Juifs ont pu croire à une cohabitation à peu près paisible avec Chrétiens et Musulmans.
Les Juifs étaient en terre d’Espagne, vraisemblablement avant que l’Empire romain ne devienne chrétien.
Quel malheur d’avoir séjourné à Méchec
Une première période difficile fut traversée lorsque les Wisigoths se sont convertis au catholicisme (dans un premier temps ils étaient adeptes d’une variante de l’arianisme qui ne reconnaissait pas le dogme de La Trinité prôné par la religion officielle de Constantinople). Les Juifs d’Espagne avaient alors pu survivre en d’une part simulant une conversion de façade et d’autre part par la mise en place du pouvoir Omeyyade.
Lors de la phase d’extrémisme musulman qu’a représenté l’arrivée au pouvoir des Almohades, les Juifs ont pu encore survivre en simulant une nouvelle fois une conversion de façade, cette fois une conversion simulée à l’Islam.
Depuis quelques générations, devant la nouvelle menace chrétienne, il était donc naturel que de nombreux Juifs aient pensé pouvoir survivre au nouvel extrémisme chrétien en simulant à nouveau, pour de nombreux convertis, un christianisme de façade. Malheureusement, après quelques générations, l’orage non seulement n’est pas passé mais il s’intensifie prenant au piège à la fois ceux qui ont choisi de se convertir en apparence ainsi que ceux qui restant dans le judaïsme essaient de garder le contact avec leurs frères marranes.
Même ceux qui se sont convertis sincèrement seront inquiétés.
Non seulement l’anti-judaïsme ne faiblit pas, mais il s’intensifie par une identification du peuple espagnol au peuple Wisigoth. Or ce peuple Wisigoth a vécu un long périple avant de s’installer en Espagne, en particulier à l’époque romaine, il s’était établi près de la Mer Noire.
Méchec est[2] un des sept fils de Japhet, associé à des peuples d’Asie mineure. Probablement la Phrygie et la Cilicie, ou peuples des bords de la mer Noire. Le peuple Wisigoth peut donc être associé métaphoriquement à Méchec.
C’est ce que fait le psalmiste dans la suite du psaume de cette génération :
- Quel malheur pour moi d’avoir séjourné à Méchec, (…)
En associant Méchec aux Wisigoths et donc à l’Espagne chrétienne, le psalmiste permet de nous référer aux prédictions d’Ézéchiel qui résument bien les desseins des héritiers (au moins sur le point religieux) des Wisigoths en Espagne envers le peuple d’Israël :
- La parole[3] de l’Éternel me fut adressée en ces termes : « Fils de l’homme, dirige ta face vers Gog au pays de Magog, prince suzerain de Méchec et Toubal et prophétise contre lui. Tu diras : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Me voici contre toi, Gog, prince suzerain de Méchec et de Toubal ! […]
- Après de longs jours, tu seras mandé, à l’expiration de nombreuses années tu envahiras un pays affranchi du glaive, recueilli d’entre des peuples nombreux, les montagnes d’Israël, qui étaient sans cesse en ruine : – oui, il a été retiré des nations et tous ils habitent en pleine sécurité. Tu monteras comme l’ouragan, tu viendras comme la nuée pour couvrir la terre, toi et toutes les légions et des peuples nombreux avec toi.
- Ainsi parle le Seigneur Dieu : « Il arrivera, ce jour-là, que des projets germeront dans ton esprit et que tu méditeras un mauvais dessein ». Tu diras : « Je veux marcher contre ce pays aux villes ouvertes, surprendre des gens paisibles qui vivent en toute sécurité, habitant tous sans remparts, n’ayant ni verrous ni portes », pour faire du butin et te livrer au pillage, pour porter la main sur des ruines repeuplées et sur un peuple rassemblé d’entre les nations, en possession de biens et de richesses, et qui habitent le nombril de la terre.
Les tentes de Kédar
Au destin des Wisigoths, s’est associé celui des Omeyyades, dynastie qui régna sur l’Islam du Moyen-Orient pendant de nombreuses générations. Les Omeyyades désignèrent Damas comme Capitale, et comme les Wisigoths qui se sont approprié les objets de Temple, ils se sont approprié l’emplacement du Temple en construisant la mosquée connue sous le nom d’Al Aqsa tout en durcissant la vie des Juifs en Palestine par une application dure des lois d’Omar, dont les Omeyyades en sont peut-être les réels initiateurs.
La dynastie Omeyyade qui avait implanté sa capitale en Syrie, à Damas était fortement implantée en Palestine (des deux côtés du Jourdain) à l’instar de la ville d’al Ramla (40 km au nord-ouest de Jérusalem), seule ville arabo-musulmane d’importance fondée en terre d’Israël, qui servira par la suite de résidence califienne aux Omeyyades.
C’est un des descendants et seul survivant de cette dynastie, qui fonde la dynastie Omeyyade de Cordoue ferment d’une cohabitation harmonieuse entre les trois religions monothéistes en terre d’Espagne pendant de nombreuses générations.
Ainsi l’association entre cette dynastie implantée en Espagne et Kédar[4] qui signifie « basané » est qui un des douze fils d’Ismaël associé à une tribu arabe nomade de Transjordanie est largement approprié et permet de mieux comprendre la suite du psaume de cette génération :
- (Quel malheur pour moi d’avoir) (…) demeuré près des tentes de Kédar!
Le royaume nasride de Grenade
Malheureusement, comme pour les Juifs de la péninsule Ibérique, cette génération est la dernière à voir un pouvoir musulman encore établi en Espagne. Il ne reste au royaume nasride de Grenade, dernier royaume musulman en terre d’Espagne qu’une année à survivre à cette génération qui se termine en 1490:
- Quand[5] s’ouvrit l’année 1492, l’Aragon et la Castille, sur lesquels régnaient respectivement Ferdinand et Isabelle, étaient encore engagés dans une guerre qui avait commencé dix ans plus tôt, en novembre 1481, sur la frontière séparant la Castille du royaume de Grenade, le petit état musulman aux mains de la dynastie nasride. […] En 1491, les souverains chrétiens firent le siège de Grenade, la capitale de Nasrides qui y étaient installés depuis le XIIIe siècle, et à cette fin s’établirent à Santa Fe, petite ville construite pour la circonstance à une dizaine de kilomètres. Grenade, dans l’impossibilité de se ravitailler, était asphyxiée. L’émir Abu Abd Allah, al-Zughbi négocia avec Ferdinand et Isabelle les conditions de la reddition de la ville de l’Alhambra. En vertu de capitulations signées le 25 novembre, la sécurité des Grenadins et de leurs biens était assurée (l’émir de Grenade y avait inclus la communauté juive de la ville), et la liberté du culte garantie. L’émir s’engageait en contrepartie à livrer sa capitale dans un délai de soixante jours. Dans la nuit du 1er au 2 janvier 1492, guidée par les représentants de l’émir, l’avant-garde chrétienne occupa la forteresse et les autres points forts de la cité. Une croix et les étendards des souverains chrétiens furent dressés au sommet de la colline tandis que Boabdil (surnom de l’émir) s’éloignait à jamais.
Cet événement qui initialise l’année 1492 confirme la prédication d’Isaïe associée à Kédar que le psalmiste permet de relier à la présence musulmane en terre d’Espagne. Isaïe prédit effectivement que Kédar, la présence musulmane en Espagne ne survivra qu’un an à l’issue de cette génération :
- Voici[6], en effet, ce que m’a dit le Seigneur ; « Encore une année, pareille aux années du travailleur salarié et c’en sera fait de toute l’opulence de Kédar ; et les survivants des nombreux archers, des guerriers, enfants de Kédar, seront réduits à peu de chose ». C’est l’Éternel, Dieu d’Israël, qui l’a proclamé.
Cette fin annoncée d’une cohabitation harmonieuse entre les trois religions dans la péninsule Ibérique fait l’objet de la conclusion du psaume de cette génération :
- Trop longtemps mon âme a vécu dans le voisinage de ceux qui haïssent la paix.
- Je suis, moi, tout à la paix, et quand je la proclame, eux ne méditent que la guerre.
- Cette génération fait partie de la 3ème garde de la nuit (générations 99 à 147).
- Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
- En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.
Pendant cette génération les Juifs d’Espagne s’inquiètent avec raison de leur avenir, leur témoignage est le signe d’une mort annoncée du judaïsme en Espagne :
- Steinhaus[7] rapporte que les Juifs castillans écrivaient à certains Juifs d’Italie (où de nombreux Juifs d’Espagne s’étaient déjà réfugiés) :
- À cause de nos péchés nous sommes demeurés quelques-uns de tous ceux que nous étions, car déjà sont passées sur nous nombreuses souffrances et calamités, au point que nous avons presque disparu de la terre.
La génération 120 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 62 du Deutéronome:
- (et -L’Éternel enverra-) la menace dans ton œuvre de ta main jusqu’à que tu sois détruit, et que tu sois rapidement perdu à cause du mal de tes actions parce que tu M’as abandonné,
Paul David
[1] Riccardo Calimani : « L’errance juive ». Chapitre : « La discrimination, la persécution, la survie ». (p. 217)
[2] D’après O. Odelain et R. Séguineau : « Dictionnaire des noms propres de la Bible ». (Entrée : Méshek, p. 253 et Tubal, p. 380)
[3] ÉZÉCHIEL, Chapitre 38, versets 1 à 12.
[4] D’après O. Odelain et R. Séguineau : « Dictionnaire des noms propres de la Bible ». (entrée : Qédar, p. 306)
[5] (sous la direction de) Patrick Boucheron : « Histoire du monde au XVe siècle ». Chapitre de Bernard Vincent: « 1492 : l’année du monde ». (p. 408-409)
[6] ISAÏE, Chapitre 21, versets 16 et 17.
[7] Riccardo Calimani : « L’errance juive ». Chapitre : « La discrimination, la persécution, la survie ». (p. 222-223)