Résumé:

Cette génération est celle des années 790 à 810.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 87 associée au psaume 87. C’est dans ce psaume 87 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

Pour le nouvel empire chrétien d’Occident, cette génération est entièrement marquée par le règne sans partage de Charlemagne. Il est le maître du royaume franc.

Dans l’empire byzantin, à la mort de Léon IV, sa veuve, Irène, s’approprie le pouvoir en crevant les yeux de son fils. L’effet de cet événement, en plus d’affaiblir l’image de Byzance, encourage, un peu plus, en sus de la crise de l’iconoclaste, la papauté de trouver son salut vers le nouvel empire d’Occident.

Dans les dernières années de son règne (après son couronnement en 800), Charlemagne cesse les conquêtes et s’occupe principalement de renforcer les frontières du nouvel Empire. Le « monde » vient subitement de s’élargir et englobe maintenant une grande partie de l’Europe actuelle.

Le règne de Charlemagne et la dynastie Carolingienne dans son ensemble est favorable aux Juifs. Sensible à l’ancien testament, son trône est censé reproduire celui de Salomon, la nouvelle capitale de l’Empire, Aix la Chapelle devenant une nouvelle Jérusalem.

La véritable Jérusalem est sous le contrôle des arabes depuis plus d’un siècle et demi, avec une tolérance relative envers les chrétiens. Suite à des exactions à leur encontre, Charlemagne envoie une ambassade à Bagdad pour y remédier.

A l’aube de l’éclosion de la civilisation européenne, ce ne sont pas les civilisations antiques qui servent de référence, mais c’est bien le souvenir du petit royaume d’Israël qui est la référence pour les nouveaux maîtres de l’occident. Tous ses ennemis arrogants sont tombés dans l’oubli malgré leur puissance passée, seul subsiste le souvenir du royaume d’Israël.

Développement:

Le royaume franc

Pour la dynastie Abbasside de Bagdad, cette génération est principalement celle du califat d’Haroun al Rachid (786-809). Sa succession fait l’objet d’une lutte entre ses deux fils Al Amin et Al Ma’mûn. Al Hakam 1er (Le « déchu », surnom de Al Amin) succède à son père, conformément au choix de ce dernier, de 809 à 813 avant de laisser la place à son frère à la suite d’une lutte fratricide.

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Pour le Califat de Cordoue, Hisham 1er, successeur du premier émir Omeyyade de Cordoue règne de 788 à 796. Lui succède Al Hakam 1er de 796 à 822. Le règne[1] d’Hisham est marqué par des batailles incessantes mais non décisives avec les principautés chrétiennes du nord de l’Espagne (Asturies). Al Hakam, doit également combattre des rébellions internes et les troupes de Charlemagne qui essaient de prendre pied au nord de l’Espagne (Barcelone, Tortosa, Tarragone, Huesca).

Pour le nouvel empire chrétien d’Occident, cette génération est entièrement marquée par le règne sans partage de Charlemagne. Il est devenu le maître du royaume franc (qui englobait approximativement la France et l’Allemagne d’aujourd’hui) après la mort de son frère Carloman en 771, son règne se poursuit jusqu’à sa mort en 814.

L’éclosion de ce nouvel empire est facilité par la confusion qui règne au sein de l’empire Byzantin durant cette génération.

Irène

À la mort de Léon IV (775-780), c’est Constantin IV qui lui succède (780-797), mais trop jeune pour assurer le pouvoir, c’est Irène, la veuve de Léon IV qui assure la régence.

En 797, elle s’approprie définitivement le pouvoir en crevant les yeux de Constantin IV, son fils, et en se nommant définitivement Basileus. L’effet de cet événement, en plus d’affaiblir l’image de Byzance, encourage, un peu plus, en sus de la crise de l’iconoclaste, la papauté de trouver son salut vers le nouvel empire d’Occident.

Par suite, Charlemagne essaie de s’unir à Irène, ce qui aurait permis la reconstitution de l’ancien empire romain. La mort d’Irène en 802 ne le permet pas, il est vraisemblable que cette union aurait largement changé le cours de l’histoire du monde. Nicéphore 1er succède à Irène.

Charlemagne et son modèle

Dans les dernières années de son règne (après son couronnement en 800), Charlemagne cesse les conquêtes et s’occupe principalement de renforcer les frontières du nouvel Empire. Il consolide la marche d’Espagne des Asturies jusqu’à la Méditerranée pour se protéger de l’émir de Cordoue. Il installe un grand nombre de forteresses à l’est sur l’Elbe de la mer du Nord à l’Adriatique, Le « monde » vient subitement de s’élargir et englobe maintenant une grande partie de l’Europe actuelle.

Le règne de Charlemagne et la dynastie Carolingienne dans son ensemble est favorable aux Juifs.

Les Carolingiens et principalement Charlemagne sont à l’initiative d’un Occident chrétien qui perdure jusqu’à nos jours. Mais derrière la défense du christianisme, il y a un profond respect de l’ancien Testament. Cela se retrouve en particulier dans la généralisation de l’emploi des noms bibliques. Au-delà de l’adoption des noms, ce sont les principaux personnages de la Bible qui servent de référence et de modèle aux rois carolingiens suivant en cela une vieille tradition franque. Tradition confirmée par Pépin qui de plus remettra au goût du jour le sacre biblique. C’est donc naturellement que Charlemagne est lui-même comparé aux principaux acteurs de la Bible, David en particulier.

Mais l’attrait de Charlemagne ne s’arrête pas au personnage de David. La nouvelle capitale de l’Empire est également comparable à Jérusalem :

  • Sobre[2] et grandiose, elle est l’expression d’une pensée à la fois politique et religieuse, le symbole aussi de la puissance et du prestige atteints par la royauté de Charlemagne qui à la fin du VIIIe siècle est monté sur un plan voisin de celui de l’empereur : il est imperator similis. L’atmosphère qui flotte dans le sanctuaire est d’abord biblique. Le fameux trône de pierre dressé sur six marches, avec son dossier arrondi et ses accotoirs, reproduit celui de Salomon : « Qu’il me soit permis, écrit Alcuin à Charlemagne, de me porter avec des rameaux de palmes, accompagné d’enfants chantant des cantiques, à la rencontre du triomphe de votre gloire et retrouver votre cher visage dans le Jérusalem de notre patrie tant désirée où se trouve le temple que le très sage Salomon a élevé à Dieu. » Aix La Chapelle paraissait ainsi la nouvelle Jérusalem, préfiguration et annonciatrice de l’éternelle par son plan octogonal et le trône du nouveau David (Charlemagne).

L’accès à Jérusalem

De fait Jérusalem joue également un rôle inattendu dans la légitimation de Charlemagne juste avant son couronnement en 800 :

  • Les chrétiens[3], prêtres et moines qui vivaient à Jérusalem, les pèlerins qui se rendaient dans la Ville sainte, tournaient aussi leurs regards vers Charlemagne. Les Arabes occupaient la Palestine depuis un siècle et demi. Ils manifestaient à l’égard des chrétiens une tolérance relative, respectaient à peu près les églises et les monastères qu’ils avaient construits. Cependant, en 796, ils mirent à sac le couvent de Saint-Saba et tuèrent dix-huit moines. Charlemagne en fut informé, sans doute par des pèlerins rentrés en Europe.
  • Cette nouvelle l’émut profondément. Il envoya aussitôt une ambassade à Bagdad, pour demander au calife Haroun al-Rashid de mettre fin à ces pillages. Cette ambassade avait pour chefs Sigismond et Lantfrid, peut-être deux contes palatins, assistés d’un interprète, le Juif Isaac. Sans doute aussi était-elle chargée de distribuer des secours aux chrétiens et de remettre des présents à Georges, patriarche de Jérusalem, car elle s’arrêta dans la Ville sainte. Le patriarche s’empressa de manifester sa reconnaissance. Ses envoyés, le prêtre Zacharie et deux moines, débarquèrent en Italie. Ils arrivèrent à Rome le soir du couronnement et remirent à Charlemagne les clefs du Saint Sépulcre et du Calvaire, ainsi que l’étendard de Jérusalem. […] L’hommage du patriarche Georges fit une grosse impression.

Ainsi à l’aube de l’éclosion de la civilisation européenne, ce ne sont pas les civilisations antiques qui servent de référence, mais c’est bien le souvenir du petit royaume d’Israël qui est la référence pour les nouveaux maîtres de l’occident. Tous ses ennemis arrogants sont tombés dans l’oubli malgré leur puissance passée, seul subsiste le souvenir du royaume d’Israël.

Celui-ci et celui-là y sont nés ! 

C’est le sens du récit du psalmiste pour le psaume de cette génération:

  1. Par les fils de Coré. Psaume. Cantique: Il a fondé sa résidence sur les montagnes saintes.
  2. L’Éternel aime les portes de Sion, mieux que toutes les demeures de Jacob.
  3. On parle magnifiquement de toi, ô ville de Dieu ! Sélah !
  4. Je rappelle l’orgueilleuse Égypte et Babel à ceux qui me connaissent. Voici le pays des Philistins, Tyr ainsi que Couch. « Un tel y est né ! »
  5. Mais de Sion on dit : « Celui-ci et celui-là y sont nés ! » C’est le très-haut qui l’a affermie.
  6. L’Éternel, en inscrivant les nations, proclame : « Un tel y est né ! » Sélah !
  7. Chanteurs et joueurs d’instruments (de s’écrier) : « Toutes mes sources (de joie) sont en toi ! ».

Le ton final, inhabituellement enjoué, du psaume est à mettre en parallèle avec le récit suivant qui confirme qu’à l’époque carolingienne, tout ce qui provenait d’Israël (« Celui-ci et celui-là y sont nés ! ») revêtait un caractère précieux exceptionnel :

  • Le petit récit[4], délicieux exemple de l’humour médiéval, mérité d’être conté brièvement : Charlemagne voulut guérir un de ses évêques de sa cupidité pour des objets rares et précieux. Il ordonna à un marchand juif, que ses voyages d’affaires menaient souvent en Terre Sainte d’où il ramenait en Europe des objets rares et précieux, de tromper cet évêque et de l’exposer à la dérision.

Notre Juif prit une souris domestique qu’il parfuma, et la montra au dit évêque, prétendant avoir trouvé en Judée cet animal jamais vu auparavant. Immédiatement, l’évêque voulut acquérir cet objet si précieux et lui en offrit trois livres d’argent. (s’ensuit une longue négociation aboutissant à l’acquisition de la souris pour l’évêque pour une somme fabuleuse)… Il (le Juif) apporte à Charlemagne le prix de vente et lui raconte en détail toute la scène. (Charlemagne lors d’une réunion avec les évêques ridiculise alors l’acheteur que se repend de son attitude).

  • Cette génération fait partie de la 2ème garde de la nuit (générations 50 à 98).
  • Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
  • En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.

Pendant que l’empire chrétien d’Occident est en train de s’établir, l’empire Abbasside se renforce de son côté. L’hégémonie de Bagdad, la capitale de ce nouvel empire renforce dans le même temps la domination des Gaonim de Babylonie sur le monde Juif et en particulier sur leurs homologues d’Erets Israël. Ceux-ci subissant directement le déplacement du centre de gravité de l’empire arabe de Damas à Bagdad. Cela est mis à profit par les Gaonim de Babylone pour redéfinir les lois agricoles du Talmud.

La génération 87 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 91 du Deutéronome:

  1. Tu planteras une vigne mais tu ne la rendras pas profane.

Paul David

[1] Voir : André Clot : « L’Espagne musulmane ». Chapitre : « Les émirs omeyyades ».

[2] Robert Folz : « Le couronnement impérial de Charlemagne ».  Chapitre : « Aix La Chapelle et Rome» (p. 139).

[3] Georges Bordonove : « Charlemagne 768-814 ». Chapitre : « Quatorze ans de règne »  (p. 242)

[4] Bernhard Blumenkranz : « Juifs et Chrétiens dans le monde occidental 430-1096 ». Chapitre : « La vie économique : profession des Juifs ou professions juives» (p. 16).