Résumé:

Cette génération est celle des années 1510 à 1530.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 122 associée au psaume 122. C’est dans ce psaume 122 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

Pour cette génération, il est nécessaire de faire un lien avec la génération 110 associée au dernier psaume, avant celui associé à la présente génération, où c’est le roi David qui s’exprime.

Nombre des Juifs qui ont fui l’Espagne se sont réfugiés dans l’Empire Ottoman. Celui-ci échouant en Europe assure son expansion autour de la Méditerranée. Il met fin au pouvoir Mamelouk avec, comme conséquence immédiate pour le judaïsme, le contrôle de la terre d’Israël et de Jérusalem à cette génération.

La conquête de la Palestine par les Ottomans permet aux Juifs de se réinstaller en terre d’Israël et en particulier à Jérusalem. De nombreux Juifs profite du renouveau et de la sécurité nouvelle pour s’établir en Terre sainte qui profite de la rénovation entreprise sous le règne de Soleiman le Magnifique.

Développement:

David reprend la parole

Avant d’essayer de comprendre le corps du psaume lui-même, il faut s’intéresser à son titre, en effet, après un long silence, David est de nouveau associé à ce psaume.

La dernière fois que David s’était officiellement exprimé dans un psaume c’était pour le psaume 110. Or dans le psaume de cette génération (110) du fait de la dispute de Barcelone, Nahmanide avait émigré en Palestine en créant une nouvelle synagogue à Jérusalem.

L’expansion Ottomane en Méditerranée

Si la dispute de Barcelone est le signe du changement à venir du sort des Juifs en Espagne chrétienne qui se confirmera largement dans les générations qui précèdent la présente génération, le départ de Nahmanide pour la Terre sainte est aussi précurseur d’un mouvement d’émigration des populations juives ibériques vers la Terre sainte qui s’intensifient en même temps que la situation des Juifs se dégrade en Espagne et au Portugal. Cela est particulièrement le cas à la présente génération ou la Terre sainte passe de la domination Mamelouk à la domination Ottomane.

Ce nouveau pouvoir facilite largement à la fois l’installation des Juifs en Terre sainte et le renouveau de Jérusalem, la cité de David. C’est pourquoi après avoir salué le retour de Nahmanide à Jérusalem marquant le nouveau départ d’une présence juive continue à Jérusalem, David a gardé le silence pour le rompre à la présente génération qui elle marque l’avant dernière étape de l’évolution du statut de Jérusalem par rapport au peuple Juif. La dernière étape sera la prise de possession officielle et définitive de la ville par son peuple, en cours aujourd’hui.

Les Juifs de la péninsule Ibérique qui ont pu s’échapper ont trouvé refuge certains au Maghreb d’autres en Italie et nombreux également sont ceux qui se réfugient dans l’empire Ottoman qui par la prise de Constantinople se révèle une puissance montante de la Méditerranée.

Après avoir conquis la Hongrie, celui-ci se tourne vers Vienne à la fin de cette génération (1529) mais sans succès, ce qui met fin aux visées européennes de cet empire. Par contre, en Méditerranée, l’empire Ottoman accroît sa présence en combattant à la fois le nouvel empire perse et surtout en mettant fin au pouvoir Mamelouk avec, comme conséquence immédiate pour le judaïsme, le contrôle de la terre d’Israël et de Jérusalem à cette génération.

En effet, si les Ottomans échouent à étendre leurs conquêtes en Europe, ils assoient leur domination sur le monde méditerranéen, assurant ainsi encore une fois une bipolarisation du monde, au moins pour ce qui concerne les contours du monde ancien (Europe, Orient).

La conquête de la Palestine permet aux Juifs de se réinstaller en terre d’Israël et en particulier à Jérusalem en attendant que cette terre redevienne une terre juive quatre à cinq siècles plus tard. En effet, si l’on excepte l’occupation britannique, les Ottomans sont les derniers colonisateurs de la terre d’Israël :

  • Quand[1] les voyageurs juifs parlent d’une Jérusalem « dans la ruine et la désolation », ils entendent par là que la Ville sainte est soumise à une domination étrangère et que le Temple n’y est pas rebâti. De fait, Moïse Bassola, qui visite Jérusalem en 1521, décrit une ville avenante et animée :
  • « Bien que Jérusalem soit dans la ruine et la désolation, on y trouve encore un peu de sa beauté, au moins dans ses belles maisons et dans ses marchés. Jérusalem compte quatre marchés couverts : un marché est réservé aux musulmans commerçants en tissus, un autre aux juifs, pour la plupart merciers et parfumeurs, le troisième est un marché aux fruits, dans la quatrième on vend toutes sortes de nourritures et de fruits. Il existe un cinquième marché, plus beau que tous les autres, qui comporte plusieurs boutiques réservées au commerce du coton. À l’extrémité de ce marché une porte donne directement sur le Temple… »

Ainsi l’image de Jérusalem, vivante, qui apparaît aux Juifs de cette génération qui ont la chance de s’y rendre correspond bien à la ville harmonieuse que le début du psaume de cette génération commémore avec si ce n’est un temple rebâti, un accès au moins à ses portes (les portiques du psaume) :

  1. Cantique des degrés. De David. Je suis dans la joie quand on me dit : « Nous irons dans la maison de l’Éternel. »
  2. Nos pieds s’arrêtent dans tes portiques, ô Jérusalem, Jérusalem
  3. qui est bâtie comme une ville d’une harmonieuse unité !

Soleïman Le Magnifique

Cette rénovation de Jérusalem se poursuit sous le règne de Soleiman le Magnifique (dixième sultan Ottoman qui règne à partir 1520), de nombreux Juifs profite de ce renouveau et de la sécurité nouvelle pour s’établir en Terre sainte.

C’est ce retour à Sion qui augure d’un retour définitif quelques siècles plus tard que le psalmiste évoque dans la suite du psaume, Jérusalem telle qu’elle est bâtie par les Ottomans ne changera quasiment plus jusqu’à la prise de possession par le peuple juif au XXe siècle :

  1. Car c’est là que montent les tribus, les tribus de l’Éternel, selon la charte d’Israël, pour célébrer le nom du Seigneur.
  2. Car c’est là que sont établis les sièges de la justice, les sièges pour la famille de David.
  3. Présentez vos saluts de paix à Jérusalem : « Qu’ils soient heureux ceux qui t’aiment ! ».
  4. Que la paix règne dans tes murs, la sécurité dans tes palais !
  5. Pour mes frères et mes amis, je t’offre tous mes vœux de bonheur.
  6. Pour l’amour de la maison de l’Éternel, notre Dieu, je te souhaite pleine prospérité.

Cette génération est également celle du début de règne de François 1er (1515-1547). Pendant tout son règne il s’oppose à un autre monarque clé pour l’Europe : Charles Quint (environ 1515-1558). Ce dernier préside aux destinées de l’Espagne et du Saint Empire Germanique entre autres. Le premier créera l’impulsion de la renaissance française et donc contribuera à la réelle naissance de ce pays. Le second, qui n’aurait voulu que combattre la nouvelle puissance ottomane, trouvera comme obstacle à son rêve d’un nouvel empire européen non seulement François 1er mais également la réforme qui s’initialise en 1517.

Ainsi, alors que l’Europe Hispanique se radicalise dans sa politique avec les Juifs, à cette génération s’installe une renaissance au niveau des idées :

  • Dans[2] les premières années du XVIe siècle, des Pays-Bas en Italie, d’Espagne en Angleterre, les intellectuels de la Renaissance voyagent, échangent et publient. Entre 1511 et 1516 sont rédigés en Europe trois des ouvrages les plus célèbres de la Renaissance : « L’Éloge de la folie », d’Érasme, « Le Prince », de Machiavel, et « L’Utopie », de Thomas More. Le point commun de ces œuvres est qu’elles se situent à la charnière entre le monde médiéval et les temps nouveaux et qu’elles partent d’un même constat, assez sombre, de la société de l’époque.
  • Différents par le ton et les réponses qu’ils apportent, ces livres ont l’ambition de forger un monde plus harmonieux, où les hommes vivraient en paix et gagneraient dignité et liberté.

Dans l’influence de ce mouvement, Heinrich Graetz nous montre comment Jean Reuchlin allait contribuer aux grands changements idéologiques du XVIe siècle que sont la réforme et la contre-réforme, sur fond de polémique sur la question juive :

  • Jean[3] Reuchlin de Pforzheim (1455-1522), contribua pour une grande part à faire succéder, en Europe, un esprit nouveau à l’esprit du moyen-âge. Sous le nom de Capnion et aidé de son contemporain plus jeune, Érasme, de Rotterdam, il réveilla en Allemagne le goût des lettres et de la science. […] Plus érudit qu’Érasme, il voulait, à l’exemple de Saint Jérôme, savoir l’hébreu. Son ardeur à étudier cette langue devint une vraie passion lorsque, pendant son second voyage en Italie, il eut fait la connaissance, à Florence, du célèbre Pic de la Mirandole et appris de lui quels merveilleux mystères que l’on découvrait dans les sources juives de la Cabale.

Les Dominicains voulurent[4] utiliser ces compétences pour combattre les Juifs à travers le Talmud. Ils en furent pour leurs frais. Reuchlin, contrairement à leurs attentes, prit la défense des Juifs et devint leur principale adversaire entraînant derrière lui un grand mouvement de contestation de l’ordre établi à travers l’Europe :

  • Il[5] se produisit alors en Allemagne un mouvement qui fit bientôt totalement oublier les démêlés de Reuchlin et des dominicains, un mouvement qui ébranla la papauté, fit chanceler l’Église catholique sur sa base et changea l’aspect de l’Europe. C’était la Réforme. Au début, l’agitation provoquée par les réformateurs n’était, en réalité, que la continuation de la lutte engagée au sujet du Talmud, et elle aurait été étouffée dans son germe si elle n’avait pas été soutenue et développée par un homme d’une énergie et d’une fermeté exceptionnelles. Cet homme s’appelait Martin Luther. D’un caractère passionné et d’une volonté inflexible, Luther, obligé de défendre ses idées et répondre aux objections incessantes de ses contradicteurs, s’affermit de plus en plus dans la conviction que le pape n’était pas infaillible et que le christianisme devait s’appuyer, non pas sur la volonté des papes, mais sur les saintes écritures.

Bien que le fait de vivre dans des quartiers à part ne constitue pas en soit une nouveauté pour les Juifs, cette génération est l’occasion de l’officialisation du ghetto, du nom du quartier attribué aux Juifs de Venise qui s’y réfugient alors :

  • À l’époque[6] où les Juifs furent expulsés d’Espagne en 1492, Venise ne pouvait être considérée par les exilés comme un asile attrayant dans la mesure où il n’existait alors aucune communauté juive officiellement autorisée à y résider. En fait, de tous les états de la Péninsule italienne, seul le royaume de Naples offrit un refuge à un grand nombre de Juifs. […]
  • La situation (générale de Venise envers les Juifs) se modifia très progressivement à partir de 1509 lorsque, à la suite de la guerre de la Ligue de Cambrai, les territoires continentaux de Venise furent envahis, ce qui contraignit les Juifs italiens et ashkénazes – que le gouvernement vénitien appelait les tedeschi — à se réfugier dans la ville. Le gouvernement voulut dans un premier temps les chasser, mais en 1513 il leur accorda une charte les autorisant à résider à Venise, à y pratiquer le prêt bancaire ainsi que la vente de marchandises d’occasion appelées strazzaria.
  • Beaucoup de Vénitiens étaient inquiets de la présence nouvelle de juifs qui se répandaient dans la ville, et les hommes d’Église demandèrent leur expulsion. Un compromis fut trouvé en 1516 : le Sénat exigea des Juifs qu’ils vécussent tous ensemble sur une île appelée le ghetto nuovo. Cette île, cernée de murailles, était entourée de grilles que l’on fermait la nuit. L’institution du ghetto fut une restriction sévère à la liberté physique des Juifs, mais aussi une reconnaissance de leur droit de vivre dans la ville.

Pour les Juifs qui ont décidé de rester dans la péninsule ibérique en gardant secrètement leur foi, la vie se complique. Si le fait de feindre la conversion avait été salutaire à l’époque des Wisigoths ou des Almohades, l’inquisition ne s’éteindra pas ou bien trop tard, seul quelques Marranes portugais finiront à émigrer et retrouver leur foi ancienne dans les décennies à venir :

  • Après[7] l’expulsion ; l’Inquisition continua à traquer ceux qui pratiquaient le judaïsme en secret. Le pays avait connu ces juifs clandestins depuis les conversions forcées du temps des rois Wisigoths au VIIe siècle. Ils formaient un monde de silence, risquant leur vie pour rester fidèles à ce qu’ils considéraient être la vraie foi.
  • L’Espagne s’était vidée de livres juifs. Mais ces conversos, comme l’ont démontré les recherches récentes, avaient à leur disposition, non seulement la traduction latine de la Bible, mais aussi des exemplaires du Talmud, de la Haggadah, et une riche littérature en hébreu, des grammaires, des commentaires de la Bible et des ouvrages sur l’histoire juive. Grâce aux voyages entrepris par les marchands chrétiens, les conversos pouvaient maintenir leur contact avec les communautés juives en dehors de l’Espagne.
  • Leur vie était marquée par la peur constante d’être découverts, le refus de manger du porc, les bougies qu’on allume le vendredi soir, le respect de certains jours de jeûne, l’absence de fumée s’échappant d’une cheminée le jour du shabbat, tous ces détails étaient des signes qui pouvaient trahir une pratique clandestine du judaïsme. Les officiers de l’Inquisition rassemblaient ces indices avec un soin extrême. L’accusé était traîné devant un comité et confronté à ces preuves. On lui demandait alors d’avouer. S’il refusait, il était jeté dans un cachot pour être à nouveau interrogé plus tard. On pouvait passer des années en prison avant de comparaître devant le tribunal. Si les réponses, lors des interrogations, n’étaient pas satisfaisantes et que les preuves permettaient de prévoir une condamnation, l’accusé était torturé. Tout cela était parfaitement légal et fait avec soin. La torture servant à confirmer ce que les inquisiteurs savaient déjà. […] Plus de trente mille personnes furent massacrées par l’Inquisition, des Juifs et des musulmans cachés, des protestants, et d’autres.

La génération 122 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 143 du Deutéronome:

  1. Tu seras effrayé nuit et jour,

Paul David

[1] Gérard Nahon : « La terre sainte au temps des Kabbalistes ». (p. 24 à 26)

[2] (préface de) Jean Delumeau : « Une histoire du monde aux temps modernes ». Chapitre : « Du moyen-âge à la Renaissance, 1492-1580 ». (p. 57)

[3] Heinritz Graetz (traduction de Moïse Bloch): « Histoire des Juifs, volume 5 ». Chapitre : « La réforme ». (p. 8)

[4] Voir Heinritz Graetz (traduction de Moïse Bloch): « Histoire des Juifs, volume 5 ». Chapitre : « La réforme ».

[5] Heinritz Graetz (traduction de Moïse Bloch): « Histoire des Juifs, volume 5 ». Chapitre : « La réforme ». (p. 31)

[6] (dirigé  par) Henry Méchoulan : « Les Juifs d’Espagne, histoire d’une diaspora ». Chapitre de Benjamin Ravid: « Les sépharades à Venise ». (p. 283-284)

[7] Chaïm Potok : « Une histoire du peuple Juif ». Chapitre : « Le christianisme, perdus dans le pays enchanté ». (p. 498-499)