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Aujourd’hui ont lieu les « primaires de la droite et du centre » pour les élections présidentielles 2017. Les candidats ont des programmes divergents mais tous se reconnaissent des dignes héritiers de De Gaulle. Celui-ci n’est plus contesté y compris à gauche.

De Gaulle a été l’homme providentiel de la Seconde Guerre mondiale pour la France qu’il transforma miraculeusement à la libération d’un peuple de 40 millions de pétainistes (suivant l’expression d’Henri Amouroux) en un peuple de 40 millions de résistants.

En ce qui concerne l’homme politique, son action est saluée pour avoir instauré la Ve    République bien plus stable que la 4e. Mais aussi pour avoir gouverné le pays de 1959 à 1969 pendant les trente glorieuses auxquelles il est évidemment associé. Je ne débattrai pas pour savoir si cette association est justifiée ni d’ailleurs de l’efficacité de son action pendant la Seconde Guerre mondiale.

Mais en tant que Juif, je suis en droit de juger son action sur la dégradation des rapports de la France avec Israël et sur la montée de l’antisémitisme en France. Ainsi que leur extension en Occident.

Jusqu’en 1967, la France et Israël coopèrent sur tous les plans y compris militaires comme le démontre la campagne de Suez en 1957 dont l’échec final n’est dû qu’à l’interférence des USA et de l’URSS. Et, difficile à croire aujourd’hui, l’opinion publique française était alors largement en faveur d’Israël.

La France de 1967 essaie de revenir sur la scène internationale en opérant un virage au profit des nouvelles nations arabes et au détriment de la vieille amitié de vingt ans avec Israël, d’un poids politique bien plus infime, comme l’illustre la réponse du général De Gaulle à la veille de la guerre des six jours aux représentants israéliens venus s’assurer du soutien français :

  • Abba Eban[1], le ministre des affaires étrangères d’Israël rappelle au général de Gaule (à l’Élysée) les engagements clairs qu’avait pris la France envers son pays, à l’ONU en 1957. Sur un ton cassant, De Gaulle lui répond : « Oui mais c’était en 1957. Aujourd’hui nous vivons en 1967. » Michel Bar-Zohar commente dans ses mémoires : « En une phrase, il a annulé les engagements de la France ».

S’en suit, le 2 juin 1967, l’embargo français de la livraison des armes à Israël qui a pour effet principal de précipiter la guerre des six jours : Israël se trouve contraint de hâter une attaque surprise pour pallier son infériorité militaire. Celle-ci est déclenchée le 5 juin 1967 soit trois jours plus tard.

Avant la guerre des six jours, les Juifs étaient des rescapés de l’histoire. Le monde occidental qui avait été complice actif ou inactif des six millions de morts de la Shoah ne pouvait exprimer la moindre opinion hostile envers les Juifs, y compris ceux installés en terre d’Israël. Après la guerre des six jours, pour les Occidentaux, le peuple israélien qui a vaincu par les armes peut être dissocié des Juifs d’Europe, qui ont accepté la mort sans combattre.

Le retournement le plus spectaculaire est celui de la France.

Lors de la campagne de Suez en 1956, les Français et les Israéliens étaient alliés, De Gaulle, pensant peut-être que le récent abandon des colonies qu’il a mené peut rendre ses propos crédibles, réécrit l’histoire lors d’une conférence de presse le 26 novembre 1967 :

  • « À la faveur[2] de l’expédition franco-britannique de Suez, on avait vu apparaître, en effet, un État d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir… C’est pourquoi, d’ailleurs, la Ve République s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens très spéciaux et très étroits que le régime précédent avait noués avec cet État. » […]
  • «  On pouvait se demander en effet, déclare De Gaulle, et l’on se demandait même chez beaucoup de Juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles n’allait pas entraîner d’innombrables, d’interminables frictions et conflits. » […]
  • «  Certains même redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés, qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui et dominateur, n’en viennent, une fois qu’ils seraient rassemblés, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem ».

Cette déclaration du Général De Gaulle qui si elle était reprise aujourd’hui par un parti d’extrême droite lui vaudrait, à juste titre, des accusations d’antisémitisme, entraîna à l’époque la réaction de Raymond Aron :

  • Aron[3], pourtant éloigné de ses racines juives – il se dit d’ailleurs « déjudaïsé » -, réagit en écrivant un long article, s’indignant d’abord en tant que Français, puis en qualité de Juif, cette part de lui-même que De Gaulle a injuriée :
    • « Le Général de Gaulle qualifie le peuple juif de « sûr de lui-même et dominateur ». Définir un peuple avec deux adjectifs : un homme d’État s’abaisse lui-même lorsqu’il recourt à un pareil procédé, celui des stéréotypes nationaux, des préjugés raciaux, celui dont les habitués du café du Commerce ne se lassent pas et dont les psychologues et psychiatres analysent infatigablement les mécanismes.
    • Le Général de Gaulle s’est abaissé parce qu’il voulait porter un coup bas : expliquer l’impérialisme israélien par la même nature éternelle, l’instinct dominateur du peuple juif. Je dirais que le Général de Gaulle a, sciemment, volontairement ouvert une nouvelle période de l’histoire juive et peut-être de l’antisémitisme. Tout redevient possible. Tout recommence. Pas question, certes, de persécution : seulement de « malveillance ». Pas le temps du mépris : le temps du soupçon. »

 La remise en cause même du droit à l’existence d’Israël par le pays des droits de l’homme entrouvre une porte par laquelle vont s’engouffrer tous ceux qui n’osant pas afficher un antisémitisme trop évident vont pouvoir développer un antisionisme, forme nouvelle de s’en prendre aux Juifs sans avouer son antisémitisme.

Ainsi, plus proche de nous, la déclaration du Général de Gaulle fait des émules. Ainsi Edgar Morin en 2002

  • « On a peine[4] à imaginer qu’une nation de fugitifs issus du peuple le plus longtemps persécuté dans l’histoire de l’humanité, ayant subi les pires humiliations et le pire mépris, soit capable de se transformer en deux générations en peuple dominateur et sûr de lui, et, à l’exception d’une admirable minorité, en peuple méprisant ayant satisfaction à humilier ». […]
  • « Les Juifs d’Israël, descendants des victimes d’un apartheid nommé ghetto, ghettoïsent les Palestiniens. Les Juifs qui furent humiliés, opprimés, persécutés, humilient, méprisent, persécutent les Palestiniens. Les Juifs qui furent victimes d’un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux Palestiniens. Les Juifs victimes de l’inhumanité montent une terrible inhumanité. Les Juifs, boucs émissaires de tous les maux, « bouc-émissarisent » Arafat et l’Autorité palestinienne, rendus responsables d’attentats qu’on les empêche d’empêcher ».

Ainsi comme le constate Raphaël Delpard, la prédiction Raymond Aron s’est bien révélée juste et se révèle juste encore aujourd’hui. Ainsi, comme le fait Edgar Morin, on commence le raisonnement par s’en prendre à des Israéliens pour généraliser aux Juifs.

Ainsi si les candidats à la présidentielle, de droite ou de gauche, sont légitimes à revendiquer l’héritage de De Gaulle sur bien des plans, il serait temps qu’ils rompent avec ses positions envers Israël et avec les Juifs.

La France doit redevenir l’allié privilégié d’Israël et sa politique ne doit plus être guidée par des pseudos intérêts économiques ou par une quelconque crainte du monde oriental.

Pour plus d’info sur la période évoquée:

Paul David


[1] Raphaël Delpard : « La guerre des six jours ». (p. 66)

[2] Cité par Raphaël Delpard : « La Guerre des Six jours ». (p. 106,107)

[3] Raphaël Delpard : « La Guerre des Six jours ». (p. 107,108)

[4] Cité par : Raphaël Delpard : « La Guerre des Six jours ». (p. 164)

Posted by Paul David

One Comment

  1. Bonjour,

    Raison de plus de lire:

    « Irène, Géza. Itinéraires particuliers »

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