Résumé:
Cette génération est celle des années 430 à 450 après JC.
Suivant notre comptage, cette génération est la génération 69 associée au psaume 69. C’est dans ce psaume 69 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.
Théodose continue à régner sur l’empire romain d’Orient. Il durcit pendant cette génération la législation à l’encontre des Juifs, les transformant progressivement en parias.
Dans l’empire perse, La situation des Juifs se dégrade aussi. Avant cette génération, ils jouissaient d’une certaine bienveillance religieuse, en particulier sous le règne de Yasdegerd 1er (399-420); marié à une juive – Sussan.
Bahrâm lui succède. Yasdegerd II succède à Bahrâm. Il s’en prend d’abord aux Arméniens. Sous l’influence du clergé zoroastrien, il décide de convertir l’Arménie au mazdéisme, ce qui entraine une révolte. Malgré des premiers revers, Yasdegerd écrase la révolte, capturant et déportant des grandes familles arméniennes et du clergé.
Les persécutions de Juifs et de Chrétiens reprennent alors de plus belle.
Ainsi, à cette génération, partout dans le monde « connu », les Juifs se trouvent en danger sans pouvoir trouver une terre accueillante.
Développement:
Les Huns
Pendant qu’un certain Patricius (Saint Patrick) débarque en 432 en Irlande pour devenir le fondateur de la chrétienté celtique d’Irlande, au nord des Empires chrétiens d’Orient et d’occident, les Huns consolident leur emprise.
La pression des Huns au nord se fait plus pesante sous le règne d’Attila (434-453) sur les empires romains:
- Attila[4], « le Fléau de Dieu », était monté sur le trône des Huns en 434. Après plus d’un demi-siècle de contacts avec les Romains, son peuple était sans doute un peu moins bestial, mais il vivait et dormait toujours dehors, dédaignant toute agriculture et même toute nourriture cuite, attendrissant la viande crue en la plaçant entre les cuisses des chevaliers et les flancs de son cheval. Attila était un parfait exemple de ses semblables : petit, trapu, le nez épaté, les yeux petits dans un visage trop large pour son corps et une barbe clairsemée en broussaille. Après sept ans de règne, il s’était approprié un vaste empire barbare allant des Balkans au Caucase et au-delà, mais grâce au tribut annuel que lui versait Théodose, il ne causa pas de graves soucis à l’empire (byzantin) avant 447. Son armée avançait simultanément dans deux directions : vers le sud en Thessalie, et vers l’est en direction de Constantinople. Il semblait bien que le mur de Théodose (protégeant Constantinople) avait été construit à temps : les Huns firent demi-tour à la recherche de pillages plus accessibles. Mais ils infligèrent une cuisante défaite à l’armée byzantine à Gallipoli, et ne se retirèrent qu’après que l’empereur eut accepté de tripler le tribut annuel.
Lois antijuives dans le monde chrétien
Au niveau de l’Empire romain d’Occident, après la mort d’Honorius en 423, c’est Valentinien III qui règne de 425 à 455, il a 6 ans à la mort d’Honorius, Sur l’Empire romain d’Orient, Théodose II continue à régner (408 -450) et compile le « Code Théodosien » en 438, qui ne fait que reprendre l’ensemble des lois à l’encontre du paganisme promulguées entre 312 et 437.
Le statut des Juifs au sein du monde chrétien se dégrade sous Théodose qui durcit pendant cette génération la législation à l’encontre des Juifs:
- En 439[1], Théodose II promulgua l’exclusion générale des Juifs de tous les postes honorifiques civils et militaires. Cette mesure peut n’avoir pas représenté une rupture aussi complète avec la pratique antérieure qu’il peut le sembler superficiellement. Même à l’époque d’Auguste, nous le rappelons, les Juifs ne jouaient qu’un rôle mineur dans l’administration impériale. Avec l’arrivée au pouvoir de la bureaucratie et des militaires, l’exclusion était beaucoup plus générale. Il n’en reste pas moins que, promulguée comme un principe constitutionnel ouvertement discriminatoire, une telle disqualification soulignait la nouvelle infériorité légale des Juifs sous le rapport de toutes les situations impliquant pouvoir et prestige.
Cette législation est accompagnée d’un activisme renforcé des représentants ecclésiastiques.
- Les attaques[2] de synagogues par les chrétiens s’amplifièrent à tel point sous Théodose II que la plupart des édits de l’empereur touchent à ce problème. Le 6 août 420, Théodose notifia que les synagogues et les habitations des Juifs ne devaient pas être endommagées ou même incendiées sans raison. Trois décrets successifs, dans la seule année 423, renforcent cette interdiction. Un terrain de remplacement doit être offert pour les synagogues déjà transformées en églises. Mais comme il demeurait défendu, dans le même temps, de construire de nouvelles synagogues ou d’agrandir celles qui existaient déjà, cette détérioration de la situation consécutive aux actes de violence ecclésiastiques se trouva entérinée, au moins sur le plan juridique. Une autre question est de savoir si cela eut des répercussions concrètes en Palestine. Les fouilles archéologiques permettent d’établir, durant la période byzantine, que l’on construisit avec entrain, ce qui semble démentir l’image négative née de la législation. Dans la troisième Novelle de Théodose en date du 31 janvier 438, la législation sur les synagogues est résumée de façon claire et nette : l’érection de nouvelles synagogues est interdite ; celles qui outrepasseront ce décret deviendront propriétés de l’Eglise. Les synagogues branlantes peuvent être consolidées, mais des mesures d’embellissement allant au-delà d’un simple étayement sont passibles d’une amende de cinquante livres d’or (!).
Dégradation en Perse
Du côté Perse, à Yazdigird 1er (399-420), succède d’abord, pour la période qui nous intéresse, Vahram V (421-438), puis Yazdigird II (438-457).
Depuis plusieurs générations la situation des Juifs du monde chrétien était peu enviable, mais jusqu’alors le refuge était possible à Babylone dans le monde Sassanide. Cette échappatoire disparaît à son tour.
Ainsi du côté Perse[3], la bienveillance religieuse s’accroît encore sous Yasdegerd 1er (399-420) ; marié à une juive – Sussan – le souverain manifeste à l’égard des Juifs et des chrétiens un réel soutien.
Ce couple royal se confond avec celui d’Esther et Xerxès, à tel point que le tombeau (d’une architecture beaucoup plus tardive) situé de nos jours à Hamadhan, réputé être celui d’Esther et Mardochée, est plus probablement celui de la reine sassanide.
Son successeur Bahrâm V (421-438) dit Bahrâm Gûr viendra à bout de la lutte qui l’oppose aux autres princes grâce à l’appui de forces extérieures. À la suite de persécutions contre les chrétiens, des frictions ont lieu avec Byzance qui se terminent lorsque les chrétiens de Perse rompent avec ceux de Byzance réduisant ainsi les risques de double allégeance redoutés par les Perses.
En plus de la menace des Huns sur la frontière Caucasienne, les Perses doivent lutter contre les Hephtalites, surnommés les Huns blancs par Byzance.
Yasdegerd II succède à Bahrâm et menacera rapidement la tranquillité des Juifs de Perse qui jouissait jusqu’alors, à l’opposé de ceux des empires romains d’Orient et d’occident, d’une certaine tranquillité :
- Yasdegerd II (438-457) semble avoir, au début de son règne, manifesté une certaine curiosité pour les religions, intérêt qu’il illustre non seulement par l’étude de celles qui sont pratiquées en Iran, mais aussi par une certaine tolérance en cette matière. Un changement s’opère cependant dans cette politique vis-à-vis des religions dans la suite de son règne. En effet, sans doute sous l’influence du clergé zoroastrien, le roi décide de convertir l’Arménie au mazdéisme ; la réaction ne fait pas attendre et prend la forme d’une révolte générale qui se solde par une défaite des troupes sassanides. Yasdegerd est alors en campagne contre les Hephtalites et n’a donc pas pu prendre part à la première tentative de répression an Arménie. À peine revenu des frontières de l’est, il repart pour l’Arménie et écrase la révolte, capturant et déportant des grandes familles arméniennes et du clergé. Les persécutions de Juifs et de Chrétiens reprennent alors de plus belle.
Les Juifs, parias
En dehors de ces deux mondes : point de salut.
Cette situation ou les Juifs se trouvent partout dans le monde en danger sans pouvoir trouver une terre accueillante est illustrée par le psaume de cette génération :
- Au Chef des chantres. Sur les Chochanim. De David.
- Viens à mon secours, ô Dieu, car les flots m’ont atteint, menaçant mes jours.
- Je suis plongé dans la vase d’un gouffre ; pas un pouce de terrain pour y poser le pied ! Je suis descendu dans des eaux profondes, et les vagues me submergent.
- Je suis exténué à force de crier, ma gorge est enflammée, mes yeux sont éteints à force d’attendre l’aide de mon Dieu.
- Plus nombreux que les cheveux de ma tête sont ceux qui me haïssent pour rien ; (…)
- Le début du psaume illustre bien la situation « sans issue » des Juifs de cette génération obligés à subir soit les lois anti-juives byzantines soit les Sassanides.
- (…) puissants sont mes oppresseurs, qui me poursuivent de leur haine gratuite. Si je les avais lésés, déjà je leur aurais fait réparation.
- Cette opposition n’est aucunement justifiée autant du côté chrétien que du côté Perse.
- Ô Dieu, Tu serais instruit de ma folie, mes crimes ne te resteraient pas cachés.
- Qu’ils n’aient pas à rougir à cause de moi, ceux qui espèrent en Toi, Seigneur, Éternel Cébaot ! Qu’ils ne soient pas couverts de confusion à mon sujet, ceux qui te recherchent, Dieu d’Israël !
- Car c’est pour Toi que je supporte les insultes, que la honte couvre mon visage.
- David sait que son peuple défend la voix juste de Dieu et que l’opprobre subi est insignifiant en face de la confiance divine.
- Je suis devenu un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère,
- parce que le zèle pour Ta maison me dévore, et que les insultes de tes blasphémateurs retombent sur moi.
- Les chrétiens, qui au début de leur histoire étaient intégrés au Judaïsme aujourd’hui le renient. Les frères d’hier se détournent des juifs, comme Esaü envers Israël.
Le statut de paria pour les Juifs, officialisé, donne plus de poids aux prédications des pères de l’Église telles celles de Jean Chrysostome (extrait déjà cité) :
- Le[5] réquisitoire se développe. Gloutons, ivrognes, charnels, les Juifs le sont jusque dans leurs jeûnes, qui sont une insulte à Dieu. Le jour du Grand Pardon leur est occasion de festivités indécentes : ils dansent pieds nus sur les places ; rassemblant des chœurs de jeune efféminés et un ramassis de femmes de mauvaise vie, ils mènent à la synagogue tout le théâtre et les gens de la scène : car entre théâtre et la synagogue il n’y a pas de milieu.
Cette dérision du culte juif associé au durcissement de la législation anti-juive fait l’objet de la suite du psaume :
- Je pleure tout en m’imposant le jeûne, et ceci même a tourné à opprobre pour moi.
- J’ai endossé, comme vêtement un cilice, et suis devenu pour eux un sujet de sarcasmes.
- Ceux qui sont assis aux portes déblatèrent contre moi, les buveurs de liqueurs fortes me chansonnent.
Mais la encore, David au nom de son peuple continue à mettre sa confiance en Dieu et l’exprime dans la suite du psaume en demandant justice contre ceux qui accablent injustement le peuple d’Israël :
- Toutefois, ma prière s’élève vers Toi, Éternel, au moment propice : ô Dieu, dans Ta volonté infinie, exauce-moi, en m’accordant ton aide fidèle.
- Retire-moi du bourbier, pour que je n’y sombre pas ; puissé-je être sauvé de mes ennemis et des eaux profondes !
- Ne permets pas que je sois submergé par la violence des flots, englouti par le gouffre ; que la bouche de l’abîme ne se referme pas sur moi !
- Exauce-moi, Eternel, car précieuse est ta grâce ; selon la grandeur de Ta miséricorde, tourne-Toi vers moi.
- Ne dérobe point ta face à ton serviteur ; car je suis dans la détresse, hâte-toi de m’exaucer.
- Approche-toi de mon âme, sauve-là ; à cause de mes ennemis, tire-moi du danger.
- Tu connais, Toi, mon opprobre, ma honte, ma confusion ; tous mes persécuteurs sont là devant Toi.
- La honte a brisé mon cœur, j’en suis au désespoir ; j’attends qu’on me plaigne, mais c’est en vain ; qu’il me vienne des consolateurs : je n’en trouve point.
- Dans mes aliments, ils mettent du poison ; pour apaiser ma soif, ils m’abreuvent de vinaigre.
- Que la table dressée devant eux leur devienne un piège, qu’elle soit un traquenard pour ces gens heureux !
- Que leurs yeux s’assombrissent, perdent la vue ! Fais vaciller sans cesse leurs reins.
- Déverse sur eux Ton courroux, que Ton ardente colère les accable !
- L’apparition d’Attila le « fléau de Dieu » va indirectement exaucer les vœux de David.
- Que leur demeure devienne une ruine, que dans leurs tentes, il ne reste plus un habitant !
- Rome, la « tente » d’Esaü va bientôt tomber définitivement.
- Car ils s’acharnent sur celui que Tu as frappé, et se plaisent à gloser sur les maux de Tes victimes.
- Mets donc à leur compte crime sur crime ; qu’ils ne soient point admis à se justifier devant Toi.
- Qu’ils soient effacés du livre des vivants, et que parmi les justes ils ne soient point inscrits !
- Mais moi, si malheureux et si souffrant, ton secours, ô Dieu, est ma protection.
- Je veux célébrer le nom de Dieu par des cantiques, et l’exalter par des actions de grâce,
- plus agréables à l’Éternel qu’un taureau aux grandes cornes, aux puissants sabots.
- Rappelons que le taureau symbolise le prêtre et les deux cornes l’orient et l’occident, ainsi David rappelle la primauté du peuple Juif par rapport à la concurrence que veulent lui importer ces deux entités à travers le christianisme et l’islam (pour l’Islam,en attendant son avènement ce sont les Perses qui les représentent).
- À cette vue, les humbles seront dans la joie, vous qui êtes en quête de Dieu, votre cœur se ranimera !
- Car l’Éternel prête l’oreille aux malheureux, et ses captifs, Il ne les dédaigne point.
- Que le ciel et la terre le glorifient, les mers et tout ce qui s’y meut !
- Car Dieu viendra au secours de Sion ; Il rebâtira les villes de Juda ; on s’y établira et on en prendra possession.
- C’est la postérité de ses serviteurs qui les aura en héritage ; ceux qui aiment son nom y fixeront leur demeure.
- David rappelle ainsi que malgré le sentiment victorieux qui pourra naître au sein des nations du fait du sort peu enviable des Juifs à travers les générations qui vont suivre, celui-ci finira par retrouver sa terre, réaffirmant ainsi sa place privilégiée près de Dieu.
- Cette génération fait partie de la 2ème garde de la nuit (générations 50 à 98).
- Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
- En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.
En dehors de l’aspect politique, la vie des Juifs en exil était économiquement difficile. Ainsi certains passages du Talmud reflètent la dureté de la vie à Babylone à l’époque de ces générations :
- Beaucoup[6] plus théoriques étaient les débats des rabbis sur l’esclavage des Juifs. Il n’y avait, certainement, que peu d’esclaves juifs. Cependant des ventes d’enfants, destinés à payer les impôts, se produisaient sporadiquement chez les juifs comme chez les non Juifs. En dépit de son exagération évidente, l’aphorisme talmudique : « Plutôt vendre sa fille que de prêter à intérêt », reflète la possibilité de cet expédient désespéré. Les prisonniers juifs n’étaient pas, non plus, et spécialement en conséquence des conflits entre Rome et la Perse, totalement absents des marchés d’esclaves.
La génération 69 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 147 du Deutéronome:
- (et) vous vous offrirez là-bas à la vente à vos ennemis comme esclaves et servantes, et il n’y aura pas d’acheteur.
Paul David
[1] SW Baron/Histoire d’Israël/II – Les premiers siècles de l’ère chrétienne/Histoire d’Israël – Début du système médiéval. (p 833/834)
[2] Peter Schäfer/Histoire des Juifs dans l’antiquité/Chapitre : « Du soulèvement de Bar Kokheba » (p216)
[3] D’après Yves Porter/Les Iraniens : Histoire d’un peuple (p91à93)
[4] John Julius Norwich/Histoire de Byzance/Chapitre : « Les premiers siècles/Attila le hun» (p.64/65)
[5] Marcel Simon/Verus Israël/ Chapitre : « L’antisémitisme chrétien » (p257)
[6] SW Baron/Histoire d’Israël – II, les premiers siècles de l’ère chrétienne/Chapitre « Le monde du Talmud » (p. 942)