Résumé:

Cette génération est celle des années 1050 à 1070.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 99 associée au psaume 99. C’est dans ce psaume 99 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

L’explosion de l’empire Omeyyade en Espagne est le point de départ de la reconquête chrétienne qui prendra plusieurs siècles. Le déclin de Byzance entamé déjà à la génération précédente se poursuit, Byzance doit faire face à la poussée des Turcs.

Cette génération est une génération charnière pour l’occident, car sur le plan de la foi, la fin du monde n’a pas eu lieu. L’approche de l’an mil s’était accompagnée d’une appréhension qui est suscitée par le chapitre XX de l’apocalypse de Saint Jean : au terme de mille ans pendant lesquels il aura été enchaîné, l’Antéchrist surgira et le mal envahira le monde.

Comme pour donner raison au texte de Saint Jean, les événements malheureux se succèdent entre 980 et 1030. Le paroxysme est atteint dans les années 1030-1032, où la famine ravage une partie de l’Europe. Les événements politiques eux-mêmes suggèrent que l’Antéchrist est à l’œuvre : en 997, al-Mansur détruit Saint Jacques de Compostelle : en Égypte, le calife al-Hakam inaugure une politique antichrétienne et fait détruire la Saint-Sépulcre de Jérusalem. Persuadées de l’imminence de la venue du Christ sur terre, appelée Parousie par les théologiens, des bandes de pèlerins se mettent en route pour Jérusalem, dans l’espoir d’y mourir ou d’y être présents à la venue du Christ.

Et pourtant, pas plus que l’an mille, l’année 1033 (mille ans après la mort du christ) n’apporte Parousie ou fin du monde. Un sentiment de soulagement s’empare alors de tous. Une frénésie de construction anime le peuple chrétien, et la vie reprend ses droits. Un grand mouvement d’expansion anime l’Occident du début du XIe siècle au milieu du XIIIe siècle.

Par rapport au comptage que nous avons effectués, depuis la mort de Salomon jusqu’à aujourd’hui, ce sont environ 3000 ans qui s’écoulent, en fait 3 quasi millénaires que nous avons identifiés commes « gardes de la nuit », 3 gardes. Par rapport à ce comptage, l’interprétation de l’Apocalypse par les Chrétiens à la veille de cette génération n’est pas complètement dénuée de fondement. Un millénaire vient bien de se terminer, celui correspondant aux quarante-neuf générations de la deuxième garde de la nuit. Cette garde a débuté sur la destruction du second temple et le début de l’exil dans un monde complètement païen. Cette seconde garde se finit sur un monde monothéiste, tout le monde connu en effet que ce soient aux extrémités de l’Europe et du moyen orient est soit sous l’emprise du christianisme soit sous l’emprise de l’Islam.

Le nouveau millénaire qui s’ouvre à cette génération correspond à la troisième garde de la nuit. Il s’ouvre sur la véritable naissance de l’Europe Chrétienne, une Europe qui dominera culturellement et politiquement le monde tout au long de cette garde de la nuit. Les Juifs trouveront leur place dans cette Europe nouvelle, mais ils le paieront chèrement tout au long des générations qui s’écouleront. Si l’Europe craignait avant cette génération l’avènement de l’antéchrist, elle jouera elle-même ce rôle pour les véritables élus de Dieu, le peuple Juif, au cours de la troisième garde de la nuit.

Développement:

L’Antéchrist

La chute du Califat Omeyyade, débouche sur l’éclosion des taifas musulmans mais est aussi le signal de la reconquête chrétienne. L’essor des royaumes du Nord de l’Espagne avait largement été neutralisé depuis l’avènement de l’Espagne des Omeyyades par le biais de campagnes militaires incessantes mené par un pouvoir central musulman puissant. La disparition de ce pouvoir central libère progressivement la puissance chrétienne bridée depuis des générations.

Pour le reste de l’occident naissant, cette génération ne voit pas de grands chamboulements politiques, les premiers Capétiens essaient d’asseoir leur pouvoir mais il faudra encore attendre quelques générations avant qu’un vrai roi émerge. Même statu quo en Angleterre, en Allemagne, en Italie et dans les nouveaux royaumes de l’est.

L’explosion de l’empire Omeyyade en Espagne est le point de départ de la reconquête chrétienne qui prendra plusieurs siècles. Le déclin de Byzance entamé déjà à la génération précédente se poursuit, Byzance doit faire face à la poussée des Turcs. Malgré cela, cette génération est une génération charnière pour l’occident, car sur le plan de la foi, la fin du monde n’a pas eu lieu :

  • Entre[1] 980 et 1030, l’occident vit une période confuse, où se mêlent la peur et l’espérance. Mais, après avoir surmonté ses craintes, il connaît un essor prodigieux au cours duquel se met en place la société médiévale.
  • L’approche de l’an mil s’accompagne d’une appréhension qui est suscitée par le chapitre XX de l’apocalypse de Saint Jean : au terme de mille ans pendant lesquels il aura été enchaîné, l’Antéchrist surgira et le mal envahira le monde. Puis le ciel s’ouvrira pour le retour du Christ en gloire, venant juger les vivants et les morts. Il convient de se tenir prêt pour ce jour et d’en guetter les signes précurseurs. Mais, la date fatidique ayant été franchie sans dommage, les contemporains reportent leurs craintes et leurs espérances sur l’année 1033, tenue pour le millénaire de la Passion du Christ […]
  • Comme pour donner raison au texte de Saint Jean, les événements malheureux se succèdent entre 980 et 1030 : pluies diluviens, hivers interminables, inondations, invasions de sauterelles provoquent disettes et famines. En même temps se multiplient les naissances de monstres. Le paroxysme est atteint dans les années 1030-1032, où la famine ravage une partie de l’Europe ; les gens se nourrissent de racines et d’herbes, mêlent de l’argile blanche à leur farine et le chroniqueur Raoul Glaber rapporte des cas d’anthropophagie. À d’autres moments, c’est la maladie qui décime la population. Passages de comètes, éclipses de soleil, combats d’étoiles, lunes de sang, chutes de météorites, apparition de dragons dans le ciel accompagnent les malheurs du temps. Les événements politiques eux-mêmes suggèrent que l’Antéchrist est à l’œuvre : en 997, al-Mansur détruit Saint Jacques de Compostelle : en Égypte, le calife al-Hakam inaugure une politique antichrétienne et fait détruire la Saint-Sépulcre de Jérusalem.
  • Persuadées de l’imminence de la venue du Christ sur terre, appelée Parousie par les théologiens, des bandes de pèlerins se mettent en route pour Jérusalem, dans l’espoir d’y mourir ou d’y être présents à la venue du Christ. L’Église semble elle-même emportée par la tourmente.

Cette génération, la première de la dernière garde de la nuit, a des aspects de fin du monde.

Pour l’Europe naissante, cela déclenche une nouvelle ère de recherche du spirituel avec en particulier un recentrage de la foi autour de la Terre sainte, autour de Jérusalem.

C’est ce qu’exprime le début du psaume de cette génération :

  1. L’Éternel règne : les nations tremblent ; il siège sur les Chérubins : la terre vacille.
  2. L’Éternel est grand dans Sion, élevé bien au-dessus de toutes les nations.
  3. Qu’on rende hommage à ton nom grand et redoutable : Il est saint !

La fin du monde n’a pas lieu

Cette fin du monde annoncée n’aura pas lieu, tout du moins pas comme prévu :

  • Et pourtant[2], pas plus que l’an mille l’année 1033 n’apporte Parousie ou fin du monde. Un sentiment de soulagement s’empare alors de tous. Une frénésie de construction anime le peuple chrétien, et la vie reprend ses droits. Un grand mouvement d’expansion anime l’Occident du début du XIe siècle au milieu du XIIIe siècle.

Les gardes de la nuit

Les boutons ci-après permettent d’atteindre les pages suivantes qui sont essentielles pour comprendre les références faites aux différents « gardes de la nuit » dans ce qui suit:
Chavouot,
De 930 av. JC à 50 ap. JC: La Première garde de la nuit
De 50 ap. JC à 1030 ap. JC: La Deuxième garde de la nuit
De 1030 à 2010: La Troisième garde de la nuit

En fait l’interprétation de l’Apocalypse par les Chrétiens à la veille de cette génération n’est pas complètement dénuée de fondement. Un millénaire vient bien de se terminer, les quarante-neuf générations de la deuxième garde de la nuit. Cette garde a débuté sur la destruction du second temple et le début de l’exil dans un monde complètement païen.

La garde se finit sur un monde monothéiste, tout le monde connu en effet que ce soient aux extrémités de l’Europe et du moyen orient est soit sous l’emprise du christianisme soit sous l’emprise de l’Islam.

Pendant cette seconde garde, les Juifs ont subi la concurrence des religions sœurs naissantes surtout sur le plan idéologique. Ce nouveau millénaire qui correspond à la troisième garde de la nuit, s’ouvre sur la véritable naissance de l’Europe Chrétienne, une Europe qui dominera culturellement et politiquement le monde tout au long de cette garde de la nuit. Les Juifs trouveront leur place dans cette Europe nouvelle, mais ils le paieront chèrement tout au long des générations qui s’écouleront. Si l’Europe craignait avant cette génération l’avènement de l’antéchrist, elle jouera elle-même ce rôle pour les véritables élus de Dieu, le peuple Juif, au cours de la troisième garde de la nuit.

Ainsi dans l‘Apocalypse, nous trouvons le passage suivant relatif à l’accès des nations à la connaissance de Dieu :

  • Après[3] cela je vis : C’était une foule immense que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient devant le trône et devant l’agneau, vêtus de robes blanches et des palmes à la main. Ils proclamaient à haute voix : « Le salut est à notre Dieu qui siège sur le trône et l’agneau ». […]
  • L’un des anciens prit alors la parole et me dit : Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils et d’où sont-ils venus ? Je lui répondis : Mon Seigneur ? Tu le sais !
  • Il me dit : Ils viennent de la grande épreuve. Ils ont lavé leurs robes et les ont blanchis dans le sang de l’agneau. C’est pourquoi ils se tiennent devant le trône de Dieu, et lui rendent un culte jour et nuit dans son temple.

Cet accès au trône de Dieu se fait à travers le sang de l’agneau et fait référence aux palmes qui sont le symbole de la fête de Souccoth.

Seven Sheep

Pendant la fête de Pessah, chaque jour sept moutons sont sacrifiés[4], soit au total quarante-neuf moutons. À l’image des quarante-neuf malédictions évoquées dans le Lévitique, à l’image des quarante-neuf générations de malédiction entre la mort de Salomon et la destruction du second Temple.

Seven Sheep

Pendant la fête de Souccoth, chaque jour quatorze moutons sont sacrifiés, soit au total quatre-vingt-dix-huit moutons[5]. À l’image des quatre-vingt-dix-huit malédictions évoquées dans le Deutéronome, à l’image des quatre-vingt-dix-huit générations de malédiction entre la destruction du second Temple et la rédemption finale du peuple d’Israël.

Si la fête de Pessah, et ses quarante-neuf sacrifices, correspond à la première garde de la nuit, la fête de Souccoth et ses quatre-vingt-dix-huit sacrifices correspond aux deux dernières gardes de la nuit, celles de l’exil. Ses quatre-vingt-dix-huit moutons sacrifiés ce sont quarante-neuf qui ont été sacrifiés dans la garde de la nuit qui s’achève et quarante-neuf dans la garde qui s’initialise à cette génération.

Le peuple Juif, assimilable aux moutons a largement payé par son sacrifice à chaque génération du millénaire précédent pour que les nations se rapprochent du trône divin en adhérent aux deux religions monothéistes nouvelles que sont le Christianisme et l’Islam.

Sa mission n’est pas terminée, pendant le millénaire qui s’ouvre, les Juifs seront encore sacrifiés à chaque génération afin que les nations progressivement puissent faire la distinction entre le bien et le mal, et se rangent du côté du bien et de la justice.

C’est ce qu’exprime la suite du psaume, rappelant que le peuple élu qui seul a été en contact avec Dieu peut être le guide vers la voie divine :

  1. La force du roi, c’est l’amour de la justice. C’est Toi qui as fondé solidement l’équité, exercé le droit et la justice dans Jacob.
    • La justice, le but à atteindre dans cette dernière garde de la nuit est clairement annoncé, de même que le rôle du peuple Juif (Jacob) dans cette quête.
  2. Exaltez l’Éternel, notre Dieu, prosternez-vous devant l’escabeau de ses pieds : Il est saint !
    • C’est le message adressé aux nations.
  3. Moïse et Aaron étaient parmi ses prêtres, Samuel parmi ceux qui invoquaient son nom : ils criaient vers l’Éternel et il leur répondait.
  4. Dans une colonne de nuée Il leur parlait ; ils demeuraient fidèles à ses statuts, aux lois qu’il leur avait données.
    • Le lien privilégié entre Dieu et son peuple à travers ses prophètes est ici rappelé avec le but à atteindre, le respect de la loi, seul instrument efficace pour établir la justice entre les hommes.
  5. Éternel, notre Dieu, Tu les exauçais ; Tu étais pour eux un Dieu enclin au pardon, mais exerçant des représailles pour leurs fautes.
    • Le psaume rappelle que la voie n’est pas facile à atteindre, et que le peuple Juif qui s’y est essayé en a déjà payé le prix.
  6. Exaltez l’Éternel, notre Dieu, prosternez-vous sur sa montagne sainte, car il est saint, l’Éternel, notre Dieu.
    • Le message final du psaume rappelle le but final de cette dernière garde de la nuit lorsque Jérusalem deviendra la capitale d’un monde unifié et pacifié.
  • Cette génération fait partie de la 3ème garde de la nuit (générations 99 à 147).
  • Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
  • En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.

Les Juifs vont donc servir, à leurs dépens, de guide vers un monde meilleur aux nations.

Ainsi, dans l’Europe naissante, ils permettront son éveil en assurant le transfert du savoir et de la science du monde ancien vers le monde nouveau qu’est l’Europe. Cela commence par l’Espagne.

Contrairement à ce qui se passe dans le reste de l’Europe chrétienne, où l’expansion chrétienne signifie pour les Juifs une détérioration de leur condition, le sort des Juifs dans les royaumes chrétiens du nord de l’Espagne est au moins aussi enviable que celui de leurs coreligionnaires de l’Espagne musulmane. Tout du moins pendant les premières générations de la reconquête chrétienne.

Ainsi, les Juifs sont largement être associés à l’essor économique et culturel de cette Espagne chrétienne, et à travers celle-ci de l’ensemble de l’Europe chrétienne :

  • Les[6] premières informations sûres sur les établissements juifs dans l’Espagne chrétienne du Nord (de l’Espagne) remontent au IXe siècle. Une communauté florissante existait déjà, en ces temps, dans la marche de Barcelone. […] Les rares documents et contrats du IXe et Xe siècle nous apprennent qu’en Asturie, à Léon et en Castille, tout comme dans les marches pyrénéennes, les Juifs se livraient au commerce, vendaient et achetaient des terres et les cultivaient eux-mêmes, sur un parfait pied d’égalité avec les Chrétiens. Caractéristique à cet égard est un article de fuero (code coutumier) de 1020 du royaume de Léon, selon lequel, si un fermier veut vendre une maison qu’il a construite sur le sol d’autrui, l’estimation de son prix doit être faite par quatre estimateurs probes, dont deux Chrétiens et deux Juifs. […] À partir de la seconde moitié du XIe siècle, à la faveur de cette croisade d’Espagne sui generis que fut la Reconquista, la condition des Juifs en Espagne chrétienne s’améliore encore, et leur rôle, loin de décliner, croit en importance. […]
  • La période décisive de la Reconquista dura deux siècles, de 1045 à 1250. L’avance des Chrétiens se poursuivait par poussées successives, alternant avec les contre-offensives de l’Islam. […]
  • À mesure que les royaumes chrétiens étendaient ainsi leurs frontières, ils rétablissaient en partie l’ancienne organisation sociale et économique des terres conquises, en sorte que nombre d’institutions d’origine musulmane furent alors adoptées, avec de légères modifications, par les souverains de l’Espagne chrétienne. Cette adaptation s’exerçait essentiellement par l’intermédiaire des Juifs. Les princes de la Reconquista trouvèrent en eux des auxiliaires dévoués et sûrs. […] Une fois de plus dans l’histoire, les vaincus imposaient leurs usages, leur manière de vivre, en bref leur civilisation, aux vainqueurs. On peut dire que, dans une certaine mesure, l’Espagne chrétienne se réislamisa à cette époque ; les Juifs ayant été les principaux agents de cette transformation, on peut dire aussi (comme l’a dit S. de Madariaga) qu’elle se judaïsa.

L’apport Juif ne se limite pas à l’expansion des royaumes chrétiens d’Espagne. Ils sont le véritable vecteur de l’éveil culturel de l’Europe naissante :

  • (Il est essentiel de) parler[7] du rôle des Juifs espagnols dans la transmission des connaissances du monde antique et oriental.
  • Sur le pourtour de la Méditerranée, il y eut d’autres points de contact entre l’Orient et l’Occident, ainsi la Sicile arabisée elle aussi, ou Byzance. Mais c’est l’Espagne qui servit de principale porte d’entrée aux sciences et aux arts, sans doute parce que les principaux intermédiaires, c’est-à-dire les Juifs, y étaient nombreux et instruits.
  • Le travail de traduction s’est systématiquement poursuivi pendant trois siècles, surtout à Tolède. Une première académie de traduction eut à sa tête, de 1030 à 1070, le chanoine Dominique Gonsalve, assisté du chroniqueur juif Abraham ibn David (Abendauth) ; ils traduisirent eux-mêmes le « Traité de l’Âme » d’Avicenne, le chrétien traduisant en latin, au fur et à mesure, le texte d’abord mis en castillan par le Juif. D’autres philosophes antiques ou arabes furent traduits de la même façon, à commencer par Aristote, le Coran fut traduit par le Juif « maestre Pedro » de Tolède. Le corps des techniques et sciences du monde antique pénétrait en Europe de la même façon, ainsi que, semble-t-il, le système de numérotation indo-arabe, et la notion de zéro. Il en fut de même pour les écrits d’agrément ; un recueil de contes orientaux, traduits au début du XIIe siècle par le converti aragonais Pierre Alfonse, sous le nom de « Disciplina Clericalis », connut une vogue immense à travers toute l’Europe, de la Sicile à l’Islande, fournissant des thèmes au théâtre populaire anglais et aux fabliaux français.
  • À la même époque, théologiens chrétiens et rabbins entretenaient à Barcelone des relations étroites. Élève du cabaliste Abraham Abulafia, l’érudit Armand de Villeneuve semble avoir été si fortement influencé par lui qu’on l’accusait de s’être fait Juif en secret. Le célèbre franciscain Raymond Rulle faisait partie de ce groupe. On a retrouvé un de ses manuscrits dédicacé par lui aux principaux rabbins de la ville, « à Maître Abram Denanet (= ben Adret), Maître Aron, Maître Salomon et aux autres sages Juifs qui sont en l’aljama (la communauté juive) ». Son « Dialogue des Trois Sages » (Chrétien, Musulman et Juif), peut-être inspiré par le Kujari, reste le sommet inégalé de l’humanisme et de la tolérance médiévaux.

Symbole de cette génération qui initialise la troisième garde de la nuit, le poète Salomon Ibn Gabirol qui naît à cette génération :

  • Le poète[8] Salomon Ibn Gabirol (1020-1057 ?) fut le premier d’une lignée d’intellectuels sépharades importants à aborder des questions philosophiques dans sa poésie et sa prose. Il fut suivi par Bahya Ibn Pakuda, Abraham Bar Hiyâ, Yéhouda Ha-Levi, Joseph Ibn Tsaddik, Abraham Ibn Daoud et par le plus grand des philosophes et docteurs de la loi, Moïse Maïmonide. Les échanges philosophiques entre les trois religions dans l’Espagne musulmane étaient si étroits que ce n’est qu’au XXe siècle – et par un pur hasard – que l’on découvrit qu’Avicébron (ou Avicebrol), l’auteur inconnu de l’ouvrage philosophique médiéval intitulé « Fons Vitae », était en fait Salomon Ibn Gabirol. Les savants au fil des siècles pensaient qu’Avicébron était musulman ou chrétien, jusqu’à la découverte par le chercheur Salomon Munk de l’original hébreu, « Mekor Hayim », dans une collection de manuscrits rares à la Bibliothèque nationale.

Rappelons une nouvelle fois que la nuit comporte trois gardes comme l’indique le Talmud :

  • Rabbi[9] Eliezer affirme : la nuit comprend trois gardes, et, à chacune d’elles, le Saint Béni Soit Il siège et rugit comme un lion, ainsi qu’il est dit : « L’Éternel rugit d’en haut et donne de la voix depuis sa demeure sainte, il rugit, il rugit en son domaine ». Et voici les phénomènes de situer l’heure de ces gardes célestes : Lors de la première garde, l’âne brait ; à la seconde, les chiens aboient ; à la troisième, l’enfant boit au sein de sa mère et la femme devise avec son mari.

Cette garde, la troisième, celle où d’après le Talmud, « l’enfant boit au sein de sa mère et la femme devise avec son mari » correspond à celle de l’éveil des nations grâce à l’apport Juif.

Du fait de son antériorité dans son attachement à Dieu, le peuple juif est la mère pour l’enfant que sont les nations et en particulier l’Europe. Les nations se nourrissent de l’apport du peuple Juif que ce soit au niveau du savoir que de la justice. D’autre part le peuple Juif est souvent considéré comme la fiancée[10] (décevante) de Dieu. Celle-ci aussi excellera aussi dans l’exégèse biblique et la recherche du contenu du message divin, à l’instar de Rachi (1040-1105) qui va incarner ce renouveau culturel en plein cœur de cette Europe naissante.

Cette génération initialise la dernière garde de la nuit, la plus terrible incluant les Croisades, l’Inquisition, les Pogroms et la Shoah. Le peuple Juif assimilable aux moutons des sacrifices pour la fête de Souccoth payera un lourd tribut à l’évolution des nations vers la justice. Le psaume de la prochaine génération reprendra le terme de troupeau pour désigner le peuple d’Israël.

La génération 99 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 57 du Deutéronome:

  1. (et – maudits —) les troupeaux de tes moutons,

Paul David

[1] (Préface de) Georges Duby : « Une histoire du monde médiéval ». Chapitre : « Le nouveau millénaire entre peurs et espoirs – (980-1050) ». (p. 175-176)

[2] (Préface de) Georges Duby : « Une histoire du monde médiéval ». Chapitre : « Le nouveau millénaire entre peurs et espoirs – (980-1050) ». (p. 176)

[3] L’Apocalypse, Chapitre 7, versets 9 à 15

[4] Voir NOMBRES Chapitre 28, versets 16 à 25

[5] Voir NOMBRES Chapitre 29, versets 12 à 34

[6] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme, I – L’âge de la foi ». Chapitre : « L’Espagne des trois religions » (p. 113-117)

[7] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme, I – L’âge de la foi ». Chapitre : « L’Espagne des trois religions » (p. 129-131)

[8] (sous la direction de) Shmuel Trigano : « Le monde sépharade, I – Histoire ». Jane Gerber : « Dans l’Espagne musulmane, 711-1492 ». (p. 109/110)

[9] TALMUD, BERAKHOT 1, 3a qui inclut une citation de JEREMIE Chapitre 25, verset 30

[10] Voir Ézéchiel, Chapitre 23, Ohola et Oholiba qui symbolisent Samarie et Jérusalem, les fiancées infidèles de Dieu.