La ville de Barcelone vient d’être touchée à son tour par un sanglant attentat islamique à la voiture bélier.
Barcelone et la Catalogne de par leur position clé en Europe ont largement contribué à l’histoire de l’Europe et à l’histoire des Juifs en Europe.
Lors des premiers siècles de la reconquista, les Juifs sont bien traités dans les provinces qui basculent sous pouvoir chrétien, mieux souvent que dans les provinces sous domination musulmane.
En particulier à Barcelone où au 9e siècle existe une communauté florissante, les Juifs y sont traités sur un pied d’égalité avec les chrétiens.
Tout au long de la reconquête, les Juifs espagnols sont le véritable vecteur de l’éveil culturel de l’Europe naissante :
- (Il est essentiel de) parler[1] du rôle des Juifs espagnols dans la transmission des connaissances du monde antique et oriental.
- Sur le pourtour de la Méditerranée, il y eut d’autres points de contact entre l’Orient et l’Occident, ainsi la Sicile arabisée elle aussi, ou Byzance. Mais c’est l’Espagne qui servit de principale porte d’entrée aux sciences et aux arts, sans doute parce que les principaux intermédiaires, c’est-à-dire les Juifs, y étaient nombreux et instruits. (…)
- Théologiens chrétiens et rabbins entretenaient à Barcelone des relations étroites. Élève du cabaliste Abraham Abulafia, l’érudit Armand de Villeneuve semble avoir été si fortement influencé par lui qu’on l’accusait de s’être fait Juif en secret. Le célèbre xfranciscain Raymond Rulle faisait partie de ce groupe. On a retrouvé un de ses manuscrits dédicacé par lui aux principaux rabbins de la ville, « à Maître Abram Denanet (= ben Adret), Maître Aron, Maître Salomon et aux autres sages Juifs qui sont en l’aljama (la communauté juive) ». Son « Dialogue des Trois Sages » (Chrétien, Musulman et Juif), peut-être inspiré par le Kujari, reste le sommet inégalé de l’humanisme et de la tolérance médiévaux.
Une fois que l’Espagne chrétienne estima que l’apport Juif n’était plus utile, le divorce devint perceptible.
C’est ainsi que la dispute de Barcelone eut lieu en 1263. L’enjeu de la dispute de Barcelone est de première importance pour les Juifs d’Europe, une défaite aurait permis à l’Église d’effacer le Judaïsme européen.
Celui qui défend les intérêts juifs, Nahmanide, est une autorité reconnue du judaïsme Espagnol :
- L’autorité[2] de Nahmanide est reconnue non seulement par les Juifs mais aussi par (le roi) Jaime avec lequel il entretient des relations privilégiées. (…) Il est probablement nommé grand rabbin de Catalogne en 1264, à la mort de Jonas Abraham de Gérone. (…) Débattre avec Nahmanide, c’est disputer avec le « maître » de la tradition juive. Sa réputation de talmudiste le désigne comme protagoniste où l’Église s’est assignée pour but l’appropriation ou la censure du Talmud.
Si, à l’issue de cette dispute, les dominicains ne parvinrent pas à leur but initial visant à la conversion des communautés juives d’Europe, ils compensèrent cette défaite par des tracasseries judiciaires à l’encontre des Juifs, en effet de nouvelles contraintes furent décrétées à la suite de la dispute à la fois de la part du pouvoir royal que de la papauté.
Ne se sentant plus en odeur de sainteté, Nahmanide émigre en Terre sainte imitant en cela, Rabbi Yehiel de Paris qui avait lui débattu à Paris à la génération précédente, et pour des raisons similaires avait lui aussi pris le même chemin :
- En 1257[3], Rabbi Yehiel de Paris s’installe à Acre et y fonde le Beth Hamidrash Hagadol Me Partz, la grande maison d’Études de Paris,
- En 1267, l’émigrant le plus célèbre est Rabbi Moché Ben Nah’man, Nahmanide (1194-1270), médecin et Talmudiste espagnol. Il s’installe à Jérusalem qui ne compte pas d’habitants juifs à cette époque, construit une synagogue dans une vieille maison abandonnée. Cette synagogue, la plus ancienne de Jérusalem, porte son nom et est encore en usage (après la conquête turque en 1517, elle devient une fromagerie et n’est utilisée comme synagogue qu’à partir de 1967). Il exhorte les Juifs à revenir vivre dans Jérusalem. À partir de cette date, il y a tout au long des siècles, des Juifs à Jérusalem. Il enseigne également à acre où il meurt en 1270.
- L’aliyah de Ramban est un exemple pour ses disciples et pour les générations suivantes : en effet, il proclame que de vivre en Erets Israël est une des 613 Mitsvot de la Torah auxquelles le peuple juif est assujetti.
Ainsi la dispute de Barcelone fit prendre conscience, bien avant que l’inquisition s’installe en Espagne, à Nahmanide, qu’il n’y avait pas d’avenir pour les Juifs en exil et eut pour résultat que les Juifs se réinstallèrent à Jérusalem (leur présence avait été interrompue du fait des croisades). Cette présence juive à Jérusalem est ininterrompue depuis.
De fait la dispute de Barcelone était bien prémonitoire pour le sort des Juifs en Espagne, et en particulier à Barcelone :
- Au XIVe siècle[4], la situation (pour les Juifs en Espagne chrétienne) ne cesse de se dégrader. (…)
- L’archidiacre d’Ecija, Ferrant Martinez, se lance dans une campagne acharnée contre les Juifs en 1378. Lorsqu’il devient administrateur de l’archevêché de Séville en 1390, toutes les conditions sont réunies pour que l’histoire des Juifs en terre ibérique connaisse un tournant décisif. (…) Le 4 juin 1391, les premiers massacres ont lieu à Séville, et se répandent comme une traînée de poudre dans toute la péninsule ibérique. (…)
- Nombre d’illustres communautés furent durement touchées ; celles de Tolède et de Cordoue furent dévastées, et celle de Barcelone disparut à jamais, lorsque les émeutes gagnèrent la Catalogne, au nord, à partir de Valence.
En 1992, à l’occasion des 500 ans de l’expulsion des Juifs d’Espagne, l’Espagne a organisé quelques commémorations pour se laver à bon compte de son antisémitisme passé.
Mais, comme la plupart des Européens, les Espagnols ont substitué au vieil antisémitisme européen un antisionisme décomplexé.
Ainsi Barcelone[5] a adhéré sans réserve et sans ambiguïté le 19 avril dernier au mouvement de boycott BDS.
Dans la foulée, Barcelone a voulu démontrer plus encore son combat antisioniste et antisémite en invitant en mai dernier la terroriste, dite palestinienne, Leïla Khaled[6].
Khaled s’est fait connaître en 1969 en devenant la première femme terroriste à détourner un avion et l’année suivante en en détournant un autre. Elle est aujourd’hui membre du Conseil national palestinien (CNP) et de l’Union générale des femmes palestiniennes.
Ceux qui se réclament Palestiniens, à l’image de Leïla Khaled, ont été pionniers dans tous les types de terrorisme appliqués dans les guerres asymétriques.
En légitimant Leïla Khaled, Barcelone a légitimé non seulement les détournements d’avions mais également tous les types de terrorismes qui ont été testés en Israël.
Il en est ainsi pour les attaques au couteau qui se multiplient maintenant en Europe comme ça a été le cas à Turku en Finlande ces derniers jours. Le terroriste d’origine marocaine visait spécifiquement des femmes, de la même manière que les terroristes dits palestiniens visent aussi en Israël femmes et enfants en priorité.
Barcelone a ainsi légitimé les attaques au couteau mais aussi les attaques à la voiture bélier qui ont fait leurs premières victimes en Israël. L’Europe s’en était peu émue.
Après la phase de laboratoire en Israël, ce type d’attentat atteint dorénavant l’Europe et ainsi Barcelone ces derniers jours.
Ainsi la politique des plus conciliantes de l’Europe avec la cause palestinienne et son terrorisme ne l’immunise pas contre le terrorisme islamique.
Les démons antisémites qui ont sévi à Barcelone il y a quelques siècles ont fait place aux démons antisionistes qui ne sont qu’une nouvelle forme d’antisémitisme.
Les vieux démons avaient poussé Nahmanide à émigrer en Israël. Les nouveaux démons ont incité récemment le Grand rabbin de Barcelone[7], à l’instar de Nahmanide, à déclarer que L’Europe était perdue et que les Juifs devaient la quitter pour émigrer Israël.
Ce n’est pas en sacrifiant Israël que l’Europe évitera de nouveaux attentats meurtriers, par contre en adoptant une politique plus juste envers Israël, peut-être que l’Europe finira par sauver son âme.
Paul David.
[1] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme, I – L’âge de la foi ». Chapitre : « L’Espagne des trois religions » (p. 129-131)
[2] (traduit de l’hébreu et du latin par) Eric Smilévitch et Luc Ferrier : « La dispute de Barcelone ». Introduction (p. 13-14)
[3] Marianne Picard : « Juifs et Judaïsme, de 70 à 1492 – Tome 2 ». (p. 204-205).
[4] Esther Benbassa/Aron Rodrigue : « Histoire des Juifs sépharades ». Chapitre : « La fin de Sefarad ? (Prologue) ». (p. 37 à 39)
[5] http://www.lemondejuif.info/2017/04/haine-disrael-espagne-ville-de-barcelone-apporte-soutien-mouvement-antijuif-anti-israelien-bds/
[6] http://www.lemondejuif.info/2017/05/haine-disrael-ville-de-barcelone-invite-terroriste-palestinienne-leila-khaled/?fref=gc
[7] http://www.lphinfo.com/grand-rabbin-de-barcelone-leurope-perdue-juifs-doivent-quitter/