Résumé:
Cette génération est celle des années 1390 à 1410.
Suivant notre comptage, cette génération est la génération 117 associée au psaume 117. C’est dans ce psaume 117 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.
Constantinople qui a été créée il y a plus de Mille ans a du mal à survivre à la pression turque. Tentant sans réel succès de rallier l’aide des Européens, Byzance isolée, aurait dû définitivement devenir ottomane à cette génération. Mais les Ottomans subissent les attaques de Tamerlan, un nouvel envahisseur mongol, ce qui retarde la conquête de Constantinople de près de cinquante ans.
L’Occident chrétien s’enfonce dans l’intolérance religieuse, l’Espagne chrétienne (Aragon, Castille, Navarre et Portugal) faisait exception à la règle, cela jusqu’à la présente génération.
La crise économique des années 1380, aiguisant les tensions sociales, ravive l’hostilité croissante de la population à l’encontre des Juifs. La crise économique et sociale, l’ascension d’un polémiste anti-juif et une vacance du pouvoir causée par la mort de Jean 1er, l’avènement d’un mineur, Henri III, en 1390, tous ces éléments se conjuguent pour créer un contexte favorable à l’éclatement de graves violences.
Le 4 juin 1391, les premiers massacres ont lieu à Séville, et se répandent comme une traînée de poudre dans toute la péninsule ibérique. Des milliers de personnes sont tuées, et des centaines de quartiers juifs incendiés et attaqués. Des Juifs en grand nombre se convertissent, sous la menace ou de leur propre gré, dans l’atmosphère de crise et de terreur qui règne alors. Nombre d’illustres communautés sont durement touchées ; celles de Tolède et de Cordoue furent dévastées, et celle de Barcelone disparut à jamais.
Peut-être influencés par l’aventure Almohade, où les conversions à l’islam n’avaient été que temporaires, les Juifs d’Espagne se convertissent en masse au christianisme, que ce soit par réelle conviction, par opportunisme ou pour échapper aux nouvelles mesures discriminatoires. Ces conversions peseront lourdement sur l’avenir des Juifs en Espagne.
Développement:
Tamerlan
Constantinople qui a été créée il y a plus de Mille ans a du mal à survivre à la pression turque, à la mort de Jean V en 1391 qui a assuré le plus long règne de l’histoire byzantine (1341-1391, un demi-siècle).
La Thessalonique venant de tomber aux mains des Turcs de même que la Serbie (Bataille de Kosovo en 1389), l’ancien empire Byzantin quasiment réduit à Constantinople est prêt à s’effondrer et est vassal de fait de Bajazet (Bayezid 1er), sultan ottoman (1389-1402). Le nouvel empereur Manuel II (1391-1425) tente de récupérer son indépendance vis-à-vis du Sultan en essayant de rallier à lui les forces chrétiennes européennes en privilégiant l’affrontement avec le sultan ottoman.
Une bataille décisive s’engage en 1396. Constantinople est sous la menace Ottomane, Manuel II tente sans réel succès de rallier à lui l’aide des Européens, de la France et de l’Angleterre entre autres. Byzance, isolée, aurait dû définitivement devenir ottomane à cette génération mais les Ottomans subissent les attaques de Tamerlan, un nouvel envahisseur mongol, ce qui retarde la conquête de Constantinople de près de cinquante ans.
Il est difficile de savoir si les communautés Juives des territoires conquis par Tamerlan (en particulier la Syrie, l’empire Perse et Bagdad) ont subi de grands dommages du fait de l’invasion. Par contre la volonté de Tamerlan de grandeur pour sa ville Samarcande (Ville importante dans la route de la soie) donne naissance à une nouvelle communauté juive (ce qui semblerait indiquer que Tamerlan épargna les Juifs).
La fin de l’exception espagnole
Pendant qu’aux extrémités de l’Europe, en Asie et en Moyen Orient se dessinent pour l’avenir un nouvel ordre mondial avec une séparation nette entre Orient et Occident, l’Occident chrétien commence l’épuration des derniers territoires où une certaine coexistence religieuse est encore possible alors : l’Espagne chrétienne.
Dans le même temps la France confirme son intolérance religieuse. Ainsi les Juifs sont expulsé de France en 1394, de façon « définitive » cette fois par le roi Charles VI, qui avait sombré dans la folie en 1392. Toutefois, cette expulsion a beaucoup moins marqué la mémoire collective juive car très peu de Juifs s’étaient réinstallés en France en 1359, date à laquelle ils (surtout les plus riches) avaient été rappelés à nouveau.
Ainsi, nous sommes loin de la situation des Juifs sous les Carolingiens ou de la France de Rachi, l’Occident chrétien s’est fermé aux Juifs et seule l’Espagne chrétienne fait exception à la règle (l’Espagne chrétienne est alors composée de quatre royaumes : Aragon, Castille, Navarre et Portugal). Cela était valable jusqu’à cette génération. Le début de cette génération marque la fin de l’exception ibérique.
- Au XIVe siècle[1], la situation (pour les Juifs en Espagne chrétienne) ne cesse de se dégrader. En 1320, la croisade des pastoureaux, partie de France, provoque en Aragon des désordres assortie de nombreuses attaques contre les Juifs. Le roi Jaime II (1291-1327) finit par y mettre un terme. La peste noire de 1348 s’accompagne de violences anti-juives qui menacent les communautés dans toute la péninsule Ibérique. Bien que les autorités soient fermement opposées à de telles explosions, celles-ci témoignent de la profonde hostilité qui s’est renforcée au cours des décennies précédentes. Cette période voit aussi la conversion de quelques personnalités de premier plan. Au début du XIVe siècle, le médecin et penseur juif Avner de Burgos (v. 1270-1340) est baptisé et, sous le nom d’Alphonse de Valladolid, s’illustre comme polémiste anti-juif. Ses œuvres servent de base à bien des attaques lancées plus tard contre les Juifs. Le rôle joué par les apostats dans le développement de l’intolérance est un trait caractéristique de la vie juive dans l’Espagne des XIVe et XVe siècles.
- Le zèle missionnaire chrétien est associé à un début d’érosion de l’autonomie communautaire juive. Sous le règne de Jean 1er (1379-1390), les Juifs de Castille perdent la faculté de juger en matière criminelle dont ils jouissaient depuis les premiers temps de la Reconquista. Le même changement intervient en Aragon en 1377. Les aljamas (communautés juives) elles-mêmes traversent un processus de désagrégation interne, avec des conflits de classe aggravés, nés des frictions opposant les masses à la forte oligarchie qui détient pouvoir et entretient d’étroits rapports avec les milieux des courtisans. Ces conflits ont un effet dévastateur tant sur le moral du groupe juif que sur le fonctionnement de ses institutions communautaires.
- La crise économique des années 1380, aiguisant les tensions sociales, ravive l’hostilité croissante de la population à l’encontre des Juifs. Les accusations de profanation d’hosties se font plus fréquentes. L’archidiacre d’Ecija, Ferrant Martinez, se lance dans une campagne acharnée contre les Juifs en 1378. Lorsqu’il devient administrateur de l’archevêché de Séville en 1390, toutes les conditions sont réunies pour que l’histoire des Juifs en terre ibérique connaisse un tournant décisif.
L’attaque des communautés juives espagnoles
- La crise économique et sociale, l’ascension d’un polémiste anti-juif et une vacance du pouvoir causée par la mort de Jean 1er, l’avènement d’un mineur, Henri III, en 1390, tous ces éléments se conjuguent pour créer un contexte favorable à l’éclatement de graves violences. Le 4 juin 1391, les premiers massacres ont lieu à Séville, et se répandent comme une traînée de poudre dans toute la péninsule ibérique. Des milliers de personnes sont tuées, et des centaines de quartiers juifs incendiés et attaqués. Des Juifs en grand nombre se convertissent, sous la menace ou de leur propre gré, dans l’atmosphère de crise et de terreur qui règne alors. S’il y a bien quelques actions généreuses, ici ou là, de la part de la noblesse ou de l’armée royale, d’une manière générale, les protecteurs traditionnels des Juifs se montrent inefficaces. […]
- Nombre d’illustres communautés furent durement touchées ; celles de Tolède et de Cordoue furent dévastées, et celle de Barcelone disparut à jamais, lorsque les émeutes gagnèrent la Catalogne, au nord, à partir de Valence. Certaines des personnalités dirigeantes de la communauté juive, notamment celles qui appartenaient aux échelons les plus élevés de la société, comptèrent parmi les premiers à se convertir. Pour beaucoup, il était sans doute inconcevable de perdre certaines positions fortes élevées. Bien d’autres furent baptisés de force, et ne pourront que plus tard revenir à la foi de leurs pères.
Bien sûr une nouvelle fois, cette génération est marquée par des émeutes et massacres anti-juifs, mais ce n’est pas cela que le psalmiste de cette génération retient. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de compassion pour les victimes de cette génération. Ces massacres qui ont lieu en 1391 sont initialisés en 1390 et se trouvent à cheval sur deux générations : celle-ci et la précédente. Or, à la génération précédente, le psalmiste a anticipé ces massacres :
- Mes vœux[2], je les acquitterai envers l’Éternel, à la face de tout son peuple. Une chose précieuse aux regards de l’Éternel, c’est la mort de ses pieux serviteurs, Oh ! grâce, Seigneur, car je suis ton serviteur, fils de ta servante : puisses-tu dénouer mes liens ! À toi, j’offrirai un sacrifice de reconnaissance, et je proclamerai le nom du Seigneur.
Ces versets énoncés au futur (puisqu’ils annoncent les événements de cette génération) dans leur expression s’appliquent bien aux Juifs des Communautés d’Espagne qui sont morts dans les événements de 1391.
Les Marranes
Toutefois, ils n’évoquent pas les conversions au christianisme qui se produisent pendant ces événements. Deux types de conversion ont lieu : les conversions de force et celles volontaires. On peut supposer que ceux qui se sont convertis de force afin d’éviter la mort ont pu revenir au judaïsme plus tard. Reste ceux qui ont saisi l’occasion de ces événements afin d’échapper à une destinée annoncée de paria au sein d’une Espagne chrétienne en pleine mutation. Ceux-là pensaient qu’en devenant chrétiens, sincères ou non, ils arriveraient à rejoindre l’élite espagnole sans que leur origine juive, fortement rejetée, ne soit un obstacle à leur intégration. En attendant que l’histoire leur donne tord, leur réussite semble réelle.
Pablo de Santa Maria[3] comme son fils, ainsi que de nombreux autres convertis deviendra évêque après sa conversion. En homme avisé[4] ; il choisit le prénom de Paul (Pablo), en souvenir de l’apôtre, et le nom de Santa Maria, pour mieux se réclamer d’un resplendissant lien de parenté, car en tant que membre de la tribu de Lévi, il prétendait être de la même souche que la Sainte Vierge. Il fit une magistrale et longue carrière, […] sa tombe devint un lieu de pèlerinage (pour les chrétiens).
La conversion volontaire ou opportuniste de telles élites du judaïsme espagnol ne manque pas de semer une certaine confusion au sein de la communauté juive. C’est ainsi le cas de Joshua ha-Lorki, qui dans une lettre ouverte à Ha-Levi (Pablo de Santa Maria) essaie de comprendre la décision de son ancien maître.
Cette génération marque le début réel d’un phénomène d’ampleur dans la plus grande communauté juive d’Europe de l’époque, la communauté sépharade, la communauté des juifs de la péninsule ibérique.
Peut-être influencés par l’aventure Almohade, où les conversions à l’islam n’avaient été que temporaires, les Juifs d’Espagne se convertissent en masse au christianisme, que ce soit par réelle conviction, par opportunisme ou pour échapper aux nouvelles mesures discriminatoires.
Ces nouveaux chrétiens, qui seront appelés Marranes, nom que l’on suppose faire référence au terme « cochon » (espagnol « marrano », mais cela peut aussi venir de l’arabe « mahram » : illicite). En fait la plupart d’entre eux restèrent attachés au judaïsme pendant de longues décennies, ce qui amènera le drame de 1492. Bien sûr le psalmiste aurait préféré que ces Juifs restent solides dans leur foi, comme indiqué au psaume précédent et même si cela aurait pu avoir comme conséquence la mort, mais il refuse de juger ceux qui à cette génération ont préféré basculer dans la religion chrétienne pour sauver leur vie ou celle des leurs, ou simplement pour avoir une vie meilleure.
C’est pourquoi le psaume de cette génération est particulièrement court : c’est depuis l’exil, la première fois que les Juifs perdent réellement pied.
Même pendant les nombreux massacres en Europe qui ont accompagné les croisades ou l’épidémie de peste, les Juifs ont toujours préféré la mort au renoncement de leur foi.
C’est donc à ces Juifs qui, malgré la conversion, ont choisi de garder leur foi au sein des nations que le psalmiste adresse ce psaume. Il leur demande de garder leur fidélité à Dieu malgré leur intégration aux peuples et nations de la terre :
- Louez l’Éternel, vous tous, ô peuples, glorifiez-le, vous toutes, ô nations !
- Car immense est sa bonté en notre faveur, la bienveillance de l’Éternel demeure à jamais. Alléluia !
- Cette génération fait partie de la 3ème garde de la nuit (générations 99 à 147).
- Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
- En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.
Il sera écouté.
Les « marranes » tenteront de garder l’essentiel de leur foi et traditions dans une conversion de façade.
En évitant la mort à cette génération, ils ne pourront éviter les réactions peut-être plus graves encore des autorités espagnoles lors des générations à venir.
Mais la plupart suivront le vœu exprimé par le psalmiste de cette génération.
Lorsque l’inquisition sera établie en 1481 et quelque temps avant l’expulsion de 1492, un inquisiteur apporta la preuve que les « conversos » restaient fidèles à leurs anciennes croyances:
- Un inquisiteur[5] aurait emmené le gouverneur de Séville sur une tour qui dominait le quartier des marranes en lui disant : « Regarde, nous sommes un samedi et, par cette soirée d’hiver, tu ne vois pas une fumée sortir des cheminées : tous les juifs convertis observent le sabbat ».
Le texte de ce psaume est également illustré par la conviction des Juifs de cette génération que l’accumulation de leurs souffrances à travers les âges a pour but ultime le salut de l’humanité, le salut de l’ensemble des nations :
- Crescas[6] (1340-1410), auteur d’œuvres importantes comme « Lumière du Seigneur », était convaincu que les tourments et les agonies d’Israël ne servaient pas seulement au peuple élu mais que le dessein divin les avait conçus pour le progrès de toute l’humanité. Il écrivait :
- Nous fûmes exilés pour préparer les nations à être prêtes à servir le Seigneur à la fin des jours. Tout le tourment tragique de notre peuple sera plus justifié si, par notre rôle de missionnaires de l’humanité, nous aidons à la réalisation du Royaume des cieux sur la terre.
En attendant que cette prédiction se réalise, peut-être par le biais de ceux qui ont choisi la conversion, cette génération voit le doute s’installer au sein des Juifs d’Espagne qui nombreux se convertissent soit sincèrement soit pour préserver leur position.
Les résultats de ce choix seront désastreux pour les prochaines générations des Juifs d’Espagne.
La génération 117 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 81 du Deutéronome:
- L’Éternel te frappera de déraison, (d’aveuglement, de stupeur du cœur),
Paul David
[1] Esther Benbassa/Aron Rodrigue : « Histoire des Juifs sépharades ». Chapitre : « La fin de Sefarad ? (Prologue) ». (p. 37 à 39)
[2] PSAUME 116, versets 14 à 17
[3] D’après Esther Benbassa/Aron Rodrigue : « Histoire des Juifs sépharades ». (p. 42)
[4] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme : 1. L’âge de la foi ». Chapitre : « L’Espagne des trois religions » (p. 150).
[5] André Clot : « L’Espagne musulmane ». Chapitre : « La Reconquista ». (p. 319)
[6] Riccardo Calimani : « L’Errance juive ». Chapitre : « La discrimination, le persécution, la survie ». (p. 205-206)