Résumé:
Cette génération est celle des années 1190 à 1210.
Suivant notre comptage, cette génération est la génération 107 associée au psaume 107. C’est dans ce psaume 107 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.
Le psaume associé à cette génération est le premier du cinquième et dernier livre des psaumes, symboliquement cela signifie que le peuple Juif s’apprête à affronter la dernière phase de l’exil, et nous le savons déjà, c’est la plus terrible. Pour accompagner cette dernière phase de l’exil, il est important qu’une foi solide accompagne les Juifs de ces dernières générations qui seront confrontés, au niveau idéologique, au modernisme. Celui-ci pourrait remettre en cause les croyances ancestrales basées sur le récit de la Torah. Maïmonide que nous avons déjà cité pour les générations précédentes est l’homme providentiel qui permettra au judaïsme de résister au test de la modernité.
Le Guide des égarés, est l’œuvre majeure de Moïse Maïmonide rédigé vers 1190. Ce livre fera polémique dans le monde Juif dans les générations à venir, mais qu’il y ait adhésion ou pas, chaque Juif pourra dorénavant réaffirmer son judaïsme par rapport au monde moderne, monde où les sciences grecques comme la philosophie d’Aristote ou de Platon ré-émergent afin de faire sortir l’Europe de sa longue léthargie.
La reprise de Jérusalem par Saladin permet le retour progressif des Juifs vers la terre promise. La domination croisée avait vidé la Terre sainte de quasiment tous ses Juifs. Le retour des Juifs fut ralenti par la politique de Saladin visant à supprimer toute fortification, ce qui dans un premier temps incite les Juifs à s’installer dans les villes « protégées », ce qui correspond souvent aux quelques villes côtières encore tenues par les Croisés.
Cette prise de Jérusalem par Saladin entraîne une réaction commune des nouvelles puissances européennes, les rois et empereurs s’unissent pour lancer la troisième croisade (1189-1194). Celle-ci fut un temps annonciateur de nouveaux malheurs pour les Juifs d’Europe et une nouvelle fois encore pour les Juifs de Mayence, mais cette fois leur prière fut exaucée et les massacres de la première croisade ne se reproduisirent pas. Les Juifs de York en Angleterre eurent moins de chance, leur communauté fut décimée, les croisés profitant de l’absence de Richard Cœur de Lion (ce dernier évita le même sort aux Juifs de Normandie et du Poitou).
Développement:
La dernière ligne droite de l’exil
Cette génération est celle qui est associée au premier psaume du cinquième et dernier livre des psaumes.
Ce dernier livre correspond à la dernière phase de l’exil, celle ou les Juifs seront confrontés à une Europe dominante politiquement et intellectuellement. Les États-Unis qui prendront la relève pour les dernières générations de cette dernière phase n’étant qu’une excroissance tardive de cette Europe dominante.
La prise de Jérusalem par Saladin entraîne une réaction commune de ces nouvelles puissances européennes, les rois et empereurs s’unissent pour lancer la troisième croisade.
Pour accompagner cette dernière phase de l’exil, il est important qu’une foi solide accompagne les Juifs de ces dernières générations qui seront confrontés, au niveau idéologique, au modernisme. Celui-ci pourrait remettre en cause les croyances ancestrales basées sur le récit de la Torah. Maïmonide que nous avons déjà cité pour les générations précédentes est l’homme providentiel qui permettra au judaïsme de résister au test de la modernité.
Le Guide des égarés
Le Moré Névoukhim (hébreu : מורה נבוכים; arabe : دلالة الحائرين (dalālat al-ḥā’irīn) littéralement, « Guide des perplexes »), souvent traduit en Guide des égarés, est l’œuvre majeure de Moïse Maïmonide (1135-1204), considéré comme le philosophe juif le plus marquant du Moyen Âge. Il a été rédigé autour de 1190 en judéo-arabe utilisant l’alphabet hébreu.
Le livre[1] est initialement écrit et publié en arabe sous le titre « Dalalat al-Hayyirin » et est traduit en hébreu peu de temps après sa parution, sous le titre de « Sefer Moreh Nebukhim » par Samuel ibn Tibbon.
Ce livre fera polémique dans le monde Juif dans les générations à venir, mais qu’il y ait adhésion ou pas, chaque Juif pourra dorénavant réaffirmer son judaïsme par rapport au monde moderne, monde où les sciences grecques comme la philosophie d’Aristote ou de Platon ré-émergent afin de faire sortir l’Europe de sa longue léthargie.
Le combat final entre Jacob et Esaü entre dans sa phase finale, malheureusement il ne se fera pas que dans le monde des idées. Les générations qui s’annoncent seront terribles pour les Juifs, les malheurs que les Juifs ont pu affronter aux générations précédentes sont malheureusement en deçà de ceux qui les attendent pour les générations à venir.
Pour une harmonie entre judaïsme et pensée grecque
Pour illustrer en partie comment Maïmonide harmonise la pensée grecque et le judaïsme on peut citer cet extrait du « Guide des égarés» :
- C’est[2] donc absolument de la même manière qu’Aristote dit, de l’univers en général, que telle chose est nécessairement émanée de telle autre, jusqu’à ce qu’on arrive à la cause première, comme il s’exprime, lui, ou à l’Intelligence première, ou n’importe comme tu voudras l’appeler. Nous avons tous en vue un seul et même principe ; mais lui, il pense que tout ce qui est en dehors (de ce principe) en est émané par nécessité, comme je l’ai dit, tandis que nous, nous disons que c’est Dieu qui a fait toutes ces choses avec dessein et en voulant cet univers, qui n’a pas existé d’abord et qui maintenant a été appelé à l’existence par la volonté de Dieu.
- Je vais maintenant, dans les chapitres suivants, produire les preuves qui me font donner la préférence à (l’opinion qui admet) que le monde a été créé.
Maïmonide, qui providentiellement permettra au judaïsme de survivre au monde moderne qui germe en Europe était pourtant en bien mauvaise posture au début de sa vie.
L’odyssée de Maïmonide
Piégé par le pouvoir Almohade, il était difficile d’imaginer qu’il lui soit possible de jeter de nouvelles bases du judaïsme dans un monde qui ne tolérait que l’Islam radical.
Après avoir fui l’Espagne Almohade, puis son refuge au Maghreb, il essaie dans un premier temps de retourner en terre d’Israël.
En vain, cette terre encore sous domination croisée est un véritable désert pour le Judaïsme (« sans trouver de ville habitée« ), aussi bien au niveau démographique que religieux. Son dernier exil le mène à Fostat, banlieue du Caire, la grande Métropole (« ville habitée« ), sous la domination – bienveillante pour les Juifs – de Saladin. C’est de là que Maïmonide pourra compéter son œuvre et qu’elle sera diffusée à travers tout le monde Juif, que l’âme exténuée du peuple juif exploitera à nouveau les richesses de son héritage.
C’est ce destin providentiel pour le Judaïsme qu’évoque le début du psaume de cette génération :
- « Rendez hommage à l’Éternel, car Il est bon, car sa grâce dure à jamais ! »
- Qu’ils parlent ainsi, ceux que l’Éternel a délivrés, qu’il a délivrés de la main de l’oppresseur,
- qu’il a rassemblé de tous les pays, de l’Orient et du couchant, du Nord et de la mer.
- Ils erraient dans le désert, par des chemins désolés, sans trouver de ville habitée.
- Éprouvés par la faim et la soif, ils sentaient leur âme défaillir en eux.
- Mais ils crièrent vers l’Éternel dans leur détresse : Il les sauva de leurs angoisses.
- Il les guida par une route toute droite pour les amener dans une ville habitée.
- Qu’ils rendent grâce à l’Éternel pour sa bonté, pour ses miracles en faveur des hommes !
- Car il rassasia l’âme exténuée, et remplit de délices l’âme affamée.
En fait, Maïmonide veut redonner au peuple Juif sa fierté d’avant l’exil. Dans le livre qu’il écrit et qui est publié au seuil de cette génération, il dresse un constat amer sur l’impact de l’exil sur les qualités du peuple Juif.
En faisant ce constat amer sur la situation intellectuelle du peuple Juif avant que lui-même se décide de réagir en réalisant son œuvre il veut aussi y donner un coup d’arrêt dans l’espoir d’un retour du peuple Juif vers la sagesse. Son vœu sera exaucé, puisque que l’on peut considérer que Maïmonide est un des premiers initiateurs de l’avancée vers les lumières. En citant un passage du psaume Cent Six qui est celui de la génération précédente, donc celui qui clôt la période « antique » de l’exil, Maïmonide démontre que son livre, qui est diffusé à partir de la présente génération clôt cette période « antique » pour ouvrir la période « moderne » de l’exil.
Maïmonide fait lui-même partie des Juifs qui se sont « perdus » dans l’exil, sous la domination Almohade, il a été contraint comme tant d’autres d’adopter, au moins en apparence, la religion des maîtres d’alors, l’Islam:
- Moshe Ben Maïmon – l’espagnol d’Erets Israël. Cet homme, de religion juive, faisait partie de ceux qui venaient d’Espagne. Il avait la sagesse de la philosophie, était très versé en mathématiques et s’adonnait également à la science et à la logique. Il avait étudié là-bas la médecine et s’y était distingué. Mais il n’avait aucun courage véritable. Le berbère Abd Al-Mumin Ben Ali Al Kumi, qui établit sa domination sur les pays du Maghreb, annonça une expulsion des Juifs et des chrétiens des pays sur lesquels il régnait et leur fixa une date ; il ne permit de rester et de continuer à gagner leur vie qu’à ceux qui se convertiraient à l’Islam, à condition qu’ils acceptent de se plier aux obligations incombant aux musulmans et s’abstiennent de ce qui leur était interdit. Quant à ceux qui demeureraient fidèles à leur religion, il leur fallait partir avant la date fixée. Et s’il s’en trouvait encore après ladite date, ils seraient condamnés à mort et leurs biens confisqués. À la promulgation de ce décret, ceux qui avaient peu de biens partirent. Il ne resta que les plus fortunés, attachés à leur maison et à leurs biens. En public ils s’affichaient comme des musulmans et en secret ils demeuraient fidèles (juifs). Moshe Ben Maïmon fut au nombre de ceux qui agirent ainsi et demeurèrent dans le pays. Et lorsqu’il embrassa l’Islam à la vue de tous, il accepta ses prescriptions, comme la lecture du Coran et la prière. Il agit ainsi jusqu’à ce qu’il eût l’occasion de partir. Il prit le temps de réunir ses biens et quitta l’Espagne pour se rendre avec les siens en Égypte, où il s’installa dans la ville de Fostat parmi les Juifs qui s’y trouvaient et dévoila publiquement sa foi […]. À la fin de sa vie, il rencontra un homme qui avait quitté l’Espagne et était arrivé en Égypte, un érudit musulman du nom d’Abou El-Arab Maïcha, qui prouva qu’il s’était converti en Espagne et exigea qu’on lui applique la peine de mort. Le cadi Abd Al Rahim Ben Ali Al-Fadal empêcha cela en disant : « Un homme converti de force, son islam ne peut avoir de valeur légale »…
Cette situation des Juifs en exil rappelée par Maïmonide, illustrée par son propre cas fait l’objet de la suite du psaume de cette génération :
- (il en est) qui demeuraient dans les ténèbres et les ombres de la mort, enchaînés dans la misère et des liens de fer ;
- parce qu’ils s’étaient insurgés contre les paroles de Dieu, et avaient méprisé les desseins du Très-Haut.
- Ils avaient accablé leur cœur de maux ; ils avaient trébuché, sans personne pour les secourir.
- Mais ils crièrent vers l’Éternel dans leur détresse : Il les sauva de leurs angoisses.
- Il les retira des ténèbres, des ombres de la mort, et rompit leurs liens.
Le retour des Juifs en Terre promise
La reprise de Jérusalem par Saladin permet le retour progressif des Juifs vers la terre promise. La domination croisée avait vidé la Terre sainte de quasiment tous ses Juifs.
Le retour des Juifs fut ralenti par la politique de Saladin visant à supprimer toute fortification, ce qui dans un premier temps incite les Juifs à s’installer dans les villes « protégées », ce qui correspond souvent aux quelques villes côtières encore tenues par les Croisés :
- (un immigrant juif venu de France – postérieur à cette génération -) s’était[3] rendu à Jérusalem, mais n’avait pas réussi à s’y enraciner. Comme beaucoup d’immigrés venus de France, il s’installa en fin de compte à Saint-Jean d’Acre (ou il avait débarqué auparavant), en terre franque et croisée. Ce choix peut étonner, mais il est la conséquence directe de la politique défensive mise en place par Saladin, qui tendait à éviter le retour en force des Croisés : le sultan avait, en effet, ordonner de démanteler les murailles des anciennes villes des conquérants francs, pour empêcher ceux-ci d’y revenir et de s’y retrancher rapidement. Les villes conquises étaient donc devenues peu sûres, aussi les nouveaux venus préférèrent-ils un séjour plus calme. […] À Jérusalem, la destruction des murailles de la ville, en 1219, provoquera le départ d’une grande partie de la population, juifs compris.
Même si cette décision de Saladin ne sera pas profitable pleinement aux Juifs dans un premier temps, la suppression des fortifications franques en Terre sainte marque la fin des prétentions chrétiennes en terre d’Israël et est une promesse d’avenir pour les Juifs qui finiront par se réinstaller pleinement sur leur terre.
C’est le sens de la suite du psaume de cette génération :
- Qu’ils rendent grâce à l’Éternel pour sa bonté, pour ses miracles en faveur des hommes !
- Car Il a brisé des portes d’airain, abattu des verrous de fer.
La Troisième Croisade
Si la reprise de la Terre sainte par Saladin ouvre la voie à l’espoir pour les Juifs en ce qui concerne leur possibilité d’implantation en terre d’Israël, cela sera une nouvelle source d’inquiétude pour les Juifs d’Europe.
En effet, la chrétienté européenne réagit en organisant la troisième croisade. Celle-ci fut un temps annonciateur de nouveaux malheurs pour les Juifs d’Europe et une nouvelle fois encore pour les Juifs de Mayence, mais cette fois leur prière fut exaucée et les massacres de la première croisade ne se reproduisirent pas :
- Quand[4] cette nouvelle (la prise de Jérusalem par Saladin et la mise à sac présumée du Saint Sépulcre) parvint dans les pays allemands, les chrétiens se dirent que le jour du massacre de tous les Juifs était arrivé. Ceux-ci s’imposèrent alors un jeûne accompagné de lamentations et de manifestations de deuil. Le jeudi 29 janvier 1188, les chrétiens s’assemblèrent à Mayence. Ils se précipitèrent dans la rue des Juifs et ces derniers s’enfermèrent dans leurs maisons. Les assaillants menaçaient de rentrer dans l’une d’elles quand surgirent les hommes du trésorier, qui chassèrent les assaillants et sauvèrent les Juifs.
- Les Croisés par milliers réclamaient la mort des juifs. Les rabbins enjoignirent à leurs ouailles de jeûner et d’implorer le Seigneur. Le samedi 13 Adar I (13 février 1188), Juda de Kalonymos, le père du Rokea’h (celui qui a fait le récit de ces faits), monta en chaire et demanda, avec d’autres rabbins, que les présents s’imposent de jeûner les lundis et jeudis jusqu’au mois de Nissan, de faire la charité et de prier pour que Dieu les garde de la mort et de l’apostasie. Les juifs de Mayence, Spire, Strasbourg, Worms, Würzburg et de toutes les villes où résidaient des juifs avaient projeté de se réfugier dans des forteresses. […]
- C’est à cette époque que le « vieux roi » – c’est ainsi qu’on appelait l’empereur -, son fils le duc (le futur Henri VI) et tous les seigneurs prirent la croix. Parmi les dix mille Croisés, l’empereur et son fils furent les seuls qui firent preuve de dans ces circonstances de quelque sympathie envers les juifs, au grand dépit de leurs ennemis. […]
- (après quelques tentatives évitées des croisés de s’en prendre aux Juifs) L’empereur proclama un décret sévère : « Quiconque frappera un juif et lui infligera une blessure aura la main amputée. Quiconque aura tué (un juif) sera exécuté. » Les évêques menacèrent de leur côté d’excommunication ceux qui lèveraient la main sur eux. Tout cela fut largement diffusé, oralement et par écrit. […]
- La protection de l’empereur et de son fils, ainsi que celle des évêques, devinrent effectives.
La suite du psaume de cette génération évoque cette foi des Juifs d’Europe qui malgré l’adversité continue à garder leur confiance en Dieu et qui essaie dans un jeûne collectif d’effacer les éventuelles rancœurs quant aux fautes des Israélites dans le désert à l’origine du long exil du peuple Juif :
- Insensés[5], sur les chemins du péché, misérables à cause de leurs fautes.
- Leur âme éprouvait du dégoût pour toute nourriture ; ils étaient arrivés jusqu’aux portes de la mort.
- Mais ils crièrent vers l’Éternel dans leur détresse ; il les sauva de leurs angoisses.
- Il envoya sa parole pour les guérir, et les faire échapper de leurs tombeaux.
- Qu’ils rendent grâce à l’Éternel pour sa bonté, pour ses miracles en faveur des hommes !
- Qu’ils immolent des sacrifices de reconnaissance et racontent ses œuvres dans des chants joyeux !
Si la fougue des sympathisants des croisades a pu être contenue et ainsi a pu être évité un sort funeste aux communautés juives d’Europe, comme l’évoque la fin du passage précédent du psaume, cela n’est pas exempt de sacrifices au sein de ces communautés, ce qui illustre la fin du passage du psaume ci-dessus évoqué. Tel le sacrifice des Juifs de York en Angleterre dont la communauté fut décimée, les croisés profitant de l’absence de Richard Cœur de Lion (ce dernier évita le même sort aux Juifs de Normandie et du Poitou).
Maïmonide de son côté a su s’éloigner de l’Europe et de ses troubles, mais son refuge en Égypte fut assombri par la mort de son frère. Lorsqu’il rédigea le « Guide des égarés », Maïmonide avait suffisamment de recul par rapport à cet événement pour ne pas le considérer comme une injustice divine. En effet les choix de vie qu’il fut obligé de prendre le poussèrent vers des voies qu’il n’aurait peut-être pas prises dans des circonstances plus favorables, peut-être qu’alors son œuvre n’aurait pu éclore ou qu’en n’étant pas médecin du vizir, il n’aurait pas obtenu la même protection lorsque sa conversion à l’Islam fut dénoncée en Égypte.
Cette difficulté pour l’homme de comprendre les malheurs qui l’accablent, parfaitement adapté à celui subi par Maïmonide est annoncée dans le « Guide des égarés » :
- Certes[6], s’il est vrai, comme il (Aristote) le dit, que la submersion du navire avec son équipage et l’écroulement du toit sur les gens de la maison ont été l’effet du pur hasard, ce n’était pas, selon notre opinion, par l’effet du hasard que les uns sont entrés dans le navire et que les autres se sont assis dans la maison ; au contraire, (cela est arrivé) par l’effet de la volonté divine, conformément à ce que les gens avaient mérité selon les jugements de Dieu, dont les règles sont inaccessibles à nos intelligences.
La suite du psaume de cette génération fait écho à cette destinée de Maïmonide, qui par sa confiance a su trouver sa voie malgré l’adversité, en Égypte, au terme de son voyage, d’où il put par son œuvre participer à la glorification de Dieu par le peuple d’Israël :
- (D’autres) voguaient sur la mer dans des navires, faisaient leur besogne dans l’immensité des eaux ;
- ils voyaient, ceux-là, les œuvres de l’Éternel, ses merveilles dans les profondeurs de l’océan.
- Il parlait, et faisait souffler un vent de tempête qui soulève les vagues.
- Ils montaient jusqu’au ciel, descendaient dans les abîmes ; leur âme se fondait dans la souffrance.
- Ils dansaient, ils titubaient comme l’homme ivre ; toute leur sagesse était réduite à néant.
- Mais ils crièrent vers l’Éternel dans leur détresse ; il les sauva de leurs angoisses.
- Il transforma l’ouragan en une brise légère, et les vagues apaisèrent leur fureur.
- Ce fut une joie pour eux de voir renaître le calme ; Dieu les conduisit au terme désiré de leur voyage.
- Qu’ils rendent grâce à l’Éternel pour sa bonté, pour ses miracles en faveur des hommes !
- Qu’ils l’exaltent dans l’assemblée du peuple, proclament ses louanges dans le conseil des anciens !
Dans le même « Guide des égarés », Maïmonide se sert d’un des versets précités du psaume de cette génération, qui le concerne donc directement – mais vraisemblablement il l’ignore -, pour expliquer l’omniscience de Dieu dans l’origine de tout événement :
- En effet[7] comme c’est Dieu (ainsi qu’il a été établi) qui a excité telle volonté dans tel animal irraisonnable, comme c’est lui qui a fait que l’animal raisonnable eût le libre arbitre, et comme c’est lui enfin qui a déterminé le cours des choses naturelles (car le hasard n’est qu’un excédent du naturel, comme il a été exposé, et le plus souvent il participe de la nature, du libre arbitre et de la volonté), on doit dire de tout cela, dire de ce qui résulte de ces causes, que Dieu a ordonné de faire telle chose, ou qu’il a dit : « Que telle chose soit ». Je vais te citer de tout cela des exemples auxquels tu pourras comparer tout ce que je n’aurai pas mentionné (expressément).
- En parlant des choses naturelles qui suivent toujours leur cours, comme (par exemple) de la neige qui fond quand l’air est chaud, et de l’eau de mer qui est agitée quand le vent souffle on s’exprime ainsi : « Il envoie sa parole et les fait fondre (Psaume 147, verset 18) », « Il parle et fait lever un vent de tempête qui élève les vagues (Le psaume de cette génération : Psaume 107, verset 25) », de la pluie qui tombe, il est dit : « Et j’ordonnerai aux nuages de ne pas faire tomber la pluie etc. » (Isaïe, Chapitre 5, verset 6).
C’est dans ce sens que le psaume de cette génération conclut:
- Il changea les fleuves en désert, en une terre altérée – les sources jaillissantes,
- un sol plantureux en une plage de sel, à cause de la méchanceté de ses habitants.
- Il changea le désert en un pays de lacs, en sources jaillissantes – une terre desséchée.
- Là il établit des gens éprouvés par la faim, pour y fonder une ville populeuse.
- Ils ensemencent des champs, plantent des vignes, qui portent d’abondantes récoltes.
- Il les bénit, ils se multiplient prodigieusement, et Il ne laisse pas s’amoindrir leur bétail.
- (D’autres, au contraire), sont décimés, et fléchissent sous l’étreinte du malheur et du chagrin.
- Il répand le mépris sur les nobles, les égare dans un chaos sans issue ;
- tandis qu’il relève le malheureux de sa misère et rend les familles nombreuses comme des troupeaux.
- Les justes le voient et se réjouissent, et toute méchanceté tient la bouche close.
- Quiconque est sage doit observer ces faits et se pénétrer des grâces de l’Éternel.
- Cette génération fait partie de la 3ème garde de la nuit (générations 99 à 147).
- Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
- En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.
Ainsi, Constantinople qui a insufflé le christianisme à l’Empire romain, vacille à cette génération. Cette génération qui a vu l’échec de la troisième croisade est le théâtre d’une quatrième croisade en 1203. Elle a aussi initialement le but de délivrer Jérusalem; mais, bien vite elle est détournée de son but.
Cette quatrième croisade est l’occasion pour l’occident naissant de s’attaquer à l’empire chrétien quasiment millénaire que représente Constantinople.
En fragilisant cet empire, l’occident fait émerger de nouvelles puissances européennes (Venise et Gènes) et prépare le terrain aux Turcs qui finiront par s’emparer de l’empire byzantin affaibli.
Ainsi les deux croisades de cette génération donnent le réel départ d’une nouvelle ère, celle d’un l’occident dominateur bientôt débarrassé en Europe occidentale des anciennes dominations arabes et byzantines:
- Sous[8] la direction du nouveau pape, Innocent III, élu en janvier 1198 ; la prédication enflammée d’un Foulques de Neuilly reste exclusivement religieuse ; le refus des souverains occidentaux dissipe les soupçons d’intrigue politique. En dix-huit mois, plus de 30 000 hommes, conduits par les comtes de Flandre et de Champagne, sont prêts au départ. Pour hâter le mouvement, ces derniers choisissent l’itinéraire maritime. Venise accepte de fournir les navires contre la somme raisonnable de 85 000 marcs d’argent. Mais, en juin 1202, quand les croisés commencent à se rassembler, un tiers seulement de l’effectif est présent, et il manque 60 % de la somme. La nécessité de payer aux Vénitiens le prix du passage amène les croisés à prendre pour le compte de Venise la ville de Zara, le 24 novembre 1202, aux dépens du roi de Hongrie, malgré les menaces d’Innocent III et le moratoire proposé par le doge Enrico Dandolo. Le détournement de la croisade a commencé ; déjà, elle s’est transformée en guerre de conquête. […]
- (profitant des intrigues de succession de l’empire Byzantin, les Croisés font le siège de Constantinople en 1203) Les croisés entreprennent le siège de Constantinople qui, depuis neuf siècles, n’a jamais été prise. Les chevaliers francs sont d’abord défaits en attaquant du côté de la terre, mais les Vénitiens, grâce à la puissance de leur flotte, s’emparent d’une partie des remparts qui dominent la mer et mettent le feu à tout un quartier. Pendant ce temps (où les envahisseurs essaient d’imposer aux Byzantins un empereur qui leur est inféodé), les croisés découvrent avec éblouissement les richesses de la ville. Leur présence est de plus en plus mal supportée par la population et devient intolérable quand un groupe de Flamands incendie et saccage tel ou tel quartier qui a pour seul tort d’abriter une mosquée ou une synagogue. Inquiets de ce ressentiment, impatients de toucher à leur dû, les croisés reprennent les hostilités et, le 13 juin 1204, ils s’emparent à nouveau de la ville. Forts de leurs droits de vainqueurs, ils la soumettent au pillage pendant trois jours entiers, volant et raflant à qui mieux mieux. Le butin tiré de la plus puissante ville d’Europe remplit trois églises.
- […] Les Vénitiens et les croisés entreprennent le partage territorial de l’Empire, qu’ils avaient déjà prévu à la veille de l’assaut. Venise en reçoit « le quart et demi », essentiellement dans les régions maritimes. […]
- La quatrième croisade va ainsi profiter essentiellement aux républiques italiennes, d’abord Venise, qui se taille un empire colonial, puis à Gènes. Aux dépens d’un empire certes affaibli, mais qui reste une grande puissance, se met en place une mosaïque de forces médiocres. Finalement, la quatrième croisade fait surtout le lit des Turcs, qui, au XIVe siècle, se rendront maîtres de toute la région.
Pendant cette génération, la pression Almohade se durcit pour les Juifs restés sous leur domination :
- Les souverains[9] Almohades se distinguèrent par leur fanatisme religieux et la persécution des musulmans jugés insuffisamment dévots, des Juifs et des chrétiens qui avaient le choix entre conversion collective et expulsion. C’est pendant les premiers temps de la conquête (les années 40 et 50 du XIIe siècle) et sous le règne du troisième souverain, Abou Youssouf Yaakoub Al Mansour (1184-1199), que les pressions exercées furent les plus sévères.
- Le décret de conversion s’imposait à tous. On n’y échappait que par la fuite et l’émigration, ou la mort en martyr. Cependant les témoignages juifs et musulmans enseignent que la majeure partie de la population juive demeura sur place et – du moins en apparence – embrassa l’Islam.
Pendant cette génération, les Juifs continuent à subir la pression Almohade en Andalousie et au Maghreb qui leur impose l’Islam. De même, avec la troisième croisade, les Chrétiens font également pression aux Juifs pour se convertir au Christianisme. Cette pression ira croissante jusqu’à l’inquisition, de nombreux juifs suivront la voie des Juifs convertis en façade à l’Islam, mais cela sera sans retour possible au judaïsme : si les juifs convertis à l’Islam sous la domination Almohade purent revenir à leur vraie religion lors de la chute de ce régime, il n’en fut pas de même pour l’inquisition. Les conversos, en péninsule Ibérique, ne pourront jamais revenir à leur foi d’origine et seront piégés dans leur nouvelle religion d’adoption qu’ils ne voulaient que passagère.
Ainsi les Juifs dans cette génération subissent des pressions pour servir les dieux des autres, le bois (de la croix) des chrétiens et la pierre (noire de La Mecque) des musulmans.
La génération 107 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 106 du Deutéronome:
- (et) tu serviras là-bas les dieux des autres, de bois et de pierre,
Paul David
[1] Maurice –Ruben Hayoun : « Les lumières de Cordoue à Berlin ». (livre 1, page 170)
[2] Maïmonide (traduction de l’arabe par Salomon Munk) : « Le guide des égarés ». Deuxième partie, chapitre 21 : « L’origine de l’univers selon Aristote ». (p. 311)
[3] Simon Schwarzfuchs : « Les Juifs au temps des Croisades ». Chapitre : « Dans le deuxième royaume de Jérusalem » (p.164-165)
[4] Simon Schwarzfuchs : « Les Juifs au temps des Croisades ». Chapitre : « Les dernières croisades » (p.143 à 146)
[5] Suivant la traduction de « La Bible de Jérusalem » (éditions du Cerf), plus conforme à la traduction littérale de ce verset (le verset 17). Voire version « Tehilim de la délivrance » (éditeur Rav Benzaquen) qui donne la traduction suivante pour ce verset :
(il y a) les sots / (qui par) la voie / de leur péché / et par leurs fautes / furent tourmentés.
[6] Moïse Maïmonide (traduction de Salomon Munk) : « Le Guide des égarés ». Troisième partie. (p. 466)
[7] Moïse Maïmonide (traduction de Salomon Munk) : « Le Guide des égarés ». Troisième partie. (p. 403-404)
[8] (Préface de) Georges Duby : « Une histoire du monde médiéval ». Chapitre : « Le monde russo-byzantin, 980 – 1250 ». (p. 241-243)
[9] (sous la direction de) Shmuel Trigano : « Le monde sépharade, I – Histoire ». Menahem Ben Sasson: «La persécution almohade : mythes et histoire ». (p. 124)