Résumé:

Cette génération est celle des années 130 à 150 après JC.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 54 associée au psaume 54. C’est dans ce psaume 54 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

Cette génération est celle de tous les dangers pour le peuple Juif, après que la diaspora Juive se soit laissée entraîner à la révolte sous Hadrien à la génération précédente, cette fois c’est de la Judée que la révolte gronde. C’est le théâtre de la deuxième guerre des Juifs, la révolte de Bar Kokhba, sans cette fois de Flavius Josèphe pour servir les historiens.

La plupart des historiens s’accordent à penser que la révolte naquit suite à la décision de remettre en cause des symboles religieux prépondérants du Judaïsme, telle l’interdiction de la circoncision.

Bar Kokhba, fils de l’étoile pour ses partisans, ou fils du mensonge (Bar Koziba) pour ses détracteurs, arrive à tenir tête à Rome pendant au moins deux ans, période pendant laquelle il frappe monnaie et se comporte en monarque sur la Judée. Nombreux le suivent soit par foi, soit par peur.

L’aventure se termine, Rome fait l’effort nécessaire pour vaincre l’armée de Bar Kokheba, vraisemblablement avec de grandes difficultés et sans pitié pour les vaincus.

Développement:

Hadrien

Au niveau de l’Empire romain, Hadrien poursuit son règne (117/138), suit celui d’Antonin le Pieux (138/161).

Cette génération est celle de tous les dangers pour le peuple Juif, après que la diaspora Juive se soit laissée entraîner à la révolte sous Hadrien à la génération précédente, cette fois c’est de la Judée que la révolte gronde. C’est le théâtre de la deuxième guerre des Juifs sans cette fois de Flavius Josèphe pour servir les historiens.

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Cette génération est celle de la révolte de Bar Kokhba (132/début de la révolte, -135/Chute de Béthar) qui mène le peuple Juif à une nouvelle défaite contre Rome qui aurait bien pu signifier la fin du peuple Juif. Mais le peuple Juif a continué à survivre et à traverser les siècles.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le titre de ce psaume:

  1. Au chef des chantres. Avec les instruments à cordes. Maskîl de David,
  2. lorsque les gens de Ziph furent venus dirent à Saül : « David se tient caché dans notre voisinage. »

Sans espoir de vaincre

En effet l’événement qu’il rappelle voit David se confronter à nouveau avec son ennemi et allié de toujours : le roi Saül. De même que dans la génération actuelle, le peuple Juif doit affronter une nouvelle fois Rome, son ennemi héréditaire mais également le peuple frère. C’est ainsi que le danger envers David est annoncé :

  • Les[1] gens de Ziph vinrent trouver Saül à Ghibea pour lui dire que David se tenait caché sur la colline de Hakhila, à la lisière du désert. Et Saül se mit en marche, suivi de trois mille hommes de l’élite d’Israël, et descendit vers le désert de Ziph pour y chercher David.

David prit alors l’initiative de la bataille en allant lui-même dans le camp de Saül pour lui dérober sa lance et un pot à eau, se contentant de ses objets alors qu’il avait possibilité de tuer Saül. Fort de cela, David fut en mesure alors d’affronter Saül:

  • « Et[2] maintenant, regarde (David s’adresse à Abner qui avait pour mission de veiller sur Saül) où sont la lance du roi et le pot à eau placés à son chevet ». Saül reconnut la voix de David et dit : « Est-ce ta voix que j’entends, David, mon fils ? » David répondit : « C’est ma voix, seigneur. Pourquoi, continua-t-il, mon seigneur persécute-t-il son serviteur ? Qu’ai-je donc fait ? Et quel est mon crime ? Et maintenant, que mon seigneur le roi daigne écouter les paroles de son serviteur : si c’est l’Éternel qui t’a excité contre moi, qu’il accueille mon offrande ; mais si ce sont des hommes, ils seront maudits de Dieu, parce qu’ils m’ont empêché, en me chassant, de m’attacher à l’héritage de l’Éternel et m’ont dit : Va servir des dieux étrangers ! Et maintenant, que mon sang ne coule pas à terre, contrairement aux vues de l’Éternel ! Car le roi d’Israël s’est mis en campagne à la poursuite d’une simple puce, comme on va pourchasser une perdrix dans les montagnes ! » Saül répondit : « J’ai péché… Reviens, mon fils, ô David ! Je ne te ferai plus de mal, puisqu’en ce jour tu as respecté ma vie. Certes j’ai été sot et insensé au dernier point. » « Voici, reprit David, la lance du roi ; qu’un des serviteurs vienne la prendre. L’Éternel rendra à chacun selon son mérite et sa loyauté ; car il t’a mis tout à l’heure à ma merci, mais je n’ai pas voulu porter la main sur l’oint du Seigneur. Et maintenant, comme ta vie a été, en ce jour, chose précieuse à mes yeux, puisse la mienne être précieuse aux yeux du Seigneur et puisse-t-il me sauver de toute peine ! » Et Saül dit à David : « Béni es-tu, mon fils David ! Quoi que tu entreprennes, tu réussiras. » David continua son chemin, et Saül retourna à sa demeure.

De même que David avec Saül, le peuple Juif doit subir Rome sans espoir ni volonté réelle de la vaincre. De même que David devint roi lorsque Saül périt parce que Dieu l’avait abandonné, le peuple Juif retrouvera sa suprématie lorsque Dieu aura décidé de clore la puissance de Rome.

Dans la génération qui nous intéresse, le peuple Juif combat une fois de plus Rome mais pas dans un espoir de faire tomber cette puissance mais simplement pour essayer de sauvegarder la sainteté de Jérusalem.

Si la répression romaine fut rude et que le peuple Juif paya cher sa résistance, son unité fut consolidée et paradoxalement, tout en ayant perdu cette nouvelle guerre contre les romains, le peuple Juif en sortit plus fort même si de nombreux Juifs périrent.

C’est ce qui permet le parallèle avec l’épisode de David confronté avec Saül, qui lui aussi n’infligea pas de défaite à Saül mais se sortit grandi de la confrontation. Ainsi la bénédiction de Saül s’applique avec d’autant plus d’acuité à la génération qui nous intéresse qui n’a pas hésité à « entreprendre » un combat perdu d’avance contre Rome mais sans lequel le peuple Juif au lieu de disparaître physiquement aurait disparu en tant que peuple.

Les valeurs du judaïsme

En effet, même si nous ne possédons pas de beaucoup d’éléments pour relater cette guerre, ses causes et ses conséquences, la plupart des historiens s’accordent à penser que la révolte naquit suite à la décision de remettre en cause des symboles religieux prépondérants du Judaïsme:

  • La[3] problématique (pour expliquer la raison de la révolte) se réduit donc à l’interdiction de la circoncision et à l’édification d’Aelia Capitolina (sur l’emplacement de Jérusalem), et la majeure partie des savants tient ces deux raisons simultanées pour les causes de la guerre.
  • Concernant la circoncision, nous savons que déjà les empereurs Domitien et Nerva avaient prohibé la castration à la fin du Ier siècle, qu’Hadrien renforça l’interdiction (sous peine de mort) et enfin qu’Antonin le Pieux, successeur d’Hadrien, autorisa les Juifs de façon explicite à pratiquer la circoncision sur leurs fils (mais pas sur les prosélytes). Bien qu’une défense de la circoncision émanant d’Hadrien ne soit pas attestée, l’autorisation de cette même circoncision par son successeur laisserait penser qu’elle était bel et bien interdite sous Hadrien et qu’elle fut responsable du déclenchement de la guerre. […] (l’auteur argumente pour minimiser cette thèse). Ce n’est pas un Hadrien malveillant – ou au mieux inconscient — qui aurait déclenché une guerre aberrante par son interdiction de la circoncision, mais les raisons sont plutôt à rechercher du côté d’un judaïsme palestinien qui était loin d’être aussi respectueux de la Loi et hostile aux Romains que la plupart des sources rabbiniques et l’historiographie ultérieure veulent bien nous faire croire. La fondation d’Aelia Capitolina, cause possible du conflit, se replace très bien dans pareil cadre. À travers tout l’Empire romain, Hadrien tenait à passer pour un restitutor, un restaurateur et rénovateur de grandes cités. Concernant la Judée, nous savons qu’il fit ériger un temple païen à Tibériade et même à Séphoris sans qu’une quelconque résistance de la population juive locale soit attestée. Pourquoi aurait-il dû renoncer à rebâtir Jérusalem en cité gréco-romaine quand une partie non négligeable de la population juive accueillait ces plans avec désirs ? La révolte ne serait donc pas le soulèvement du judaïsme contre l’autorité romaine cruelle et détestée, mais la rébellion d’un groupe bien précis de « pieux » (hassidim) – peut-être même pas très important quant à leur nombre, au départ – non seulement contre les Romains, mais aussi contre un parti influent à l’intérieur même du judaïsme. Le parallèle le plus approprié serait celui de la révolte des Maccabées où là aussi il s’est agi d’un groupe de « pieux » fidèles à la Torah tout d’abord relativement insignifiant qui ne s’est pas dressé seulement contre le joug étranger des Séleucides mais aussi, au sein de son propre peuple, contre le parti hellénistique devenu trop puissant.
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Bar Kokhba, fils de l’étoile pour ses partisans, ou fils du mensonge (Bar Koziba) pour ses détracteurs, arrive à tenir tête à Rome pendant au moins deux ans, période pendant laquelle il frappe monnaie et se comporte en monarque sur la Judée.

Nombreux le suivent soit par foi, soit par peur.

Par foi, car nombreux voyaient en lui le messie tant attendu, à l’instar du respectable Rabbi Akiba, dont le talmud nous rappelle cet « égarement » :

  • Rabbi[4] Siméon Bar Yohaï enseignait : « Mon maître Aqiba interprétait (le verset de la bible) ‘Un astre issu de Jacob devient chef (Nombres 24,17)’ (de la façon suivante) : Koziba sortira de Jacob ! » En effet, Rabbi Aqiba dit, en apercevant Bar Koziba : « Voici le roi Messie ! » Alors Rabbi Yohanan ben Torta lui dit : « Aqiba, l’herbe aura poussé entre les mâchoires avant que le fils de David paraisse ! »
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La défaite

Mais l’aventure se termine, Rome fait l’effort nécessaire pour vaincre l’armée de Bar Kokheba, vraisemblablement avec de grandes difficultés et sans pitié pour les vaincus :

  • Quand[5] aux autres détails sur le déroulement de la guerre, ils sont également très maigres. Nous connaissons le nom de gouverneur de la province de Judée au début de la révolte – Tinéius Rufus – et nous savons que les Romains ne parvinrent à endiguer le soulèvement qu’à grand-peine. La preuve en est que plusieurs légions étaient engagées dans la lutte contre les insurgés : la légion III Cyrenaïca sans aucun doute, la légio III Gallica, la légio X Fretensis, la légio VI Ferrata ainsi que de nombreuses troupes auxiliaires ; la légio X Fretensis et aussi probablement la légio VI Ferrata constituaient les deux garnisons stationnées en Judée au début de la guerre. Non seulement le gouverneur de Syrie, Publicus Marcellus, dut intervenir, mais Hadrien transféra son meilleur général, Julius Sévérus, de Bretagne en Palestine et lui confia le haut commandement des troupes romaines.
  • La littérature rabbinique et les documents du désert de Juda ne nous donnent une idée plus précise que de la fin de la guerre. Les écrits rabbiniques nous livrent un ensemble considérable de traditions qui relatent la prise de Better (Béthar) ; des fouilles systématiques n’y ont malheureusement pas été effectuées, mais il semble que la conquête se soit déroulée selon le schéma de celle de Massada en 74 après J.-C. D’après la tradition rabbinique, la ville tomba le 9 ab de l’an 135, c’est-à-dire le même jour -dit-on- que la destruction des deux Temples. L’évocation rabbinique de la chute de Better n’est certainement pas un récit au sens strict du terme, mais elle laisse entrevoir toutefois comment cet événement fut ressenti et quel poids les rabbis lui accordèrent :
    • « Ils (les Romains) égorgèrent tant de Juifs que les chevaux s’enfonçaient dans le sang jusqu’aux naseaux. Et le sang soulevait des quartiers de rocs pesant quarante séah et les roulait à la mer…
    • On disait : on trouva les cervelles de trois cents petits enfants sur une pierre. [De même] on trouva trois corbeilles remplies de phylactères [d’une contenance de] neuf séah. D’aucuns disaient : neuf [corbeilles d’une contenance de] trois séah. […] »
  • Les documents trouvés dans le désert de Juda (avant tout dans le Nahal Heber, au sud d’En-Guédi) se rapportent à la dernière phase de la guerre. Les derniers insurgés qui s’étaient réfugiés dans les cavernes d’En-Guédi furent affamés jusqu’à ce que les Romains pussent les tuer, d’après la tactique déjà employée avec succès par Hérode.

Toute cette révolte est évoquée dans le psaume de cette génération :

  1. Ô Dieu, secours-moi par Ton Nom, et rends-moi justice par Ta puissance.
  2. Écoutes ma prière, ô Dieu, prêtre l’oreille aux paroles de ma bouche ;
  3. car des barbares se dressent contre moi, des gens violents en veulent à ma vie : ils n’ont pas de pensée pour Dieu. Sélah !
    • En voulant rebâtir Jérusalem comme une ville païenne ou en interdisant la circoncision, Rome s’attaquait directement à Dieu en bafouant la sainteté de sa ville et en méprisant l’alliance établie avec le peuple d’Israël. Le peuple Juif en défendant ces valeurs se vit confrontée à une armée féroce qui menaça le peuple de Dieu jusqu’à risquer son extinction.
  4. Oui certes, Dieu vient à mon aide, le Seigneur est le soutien de ma vie.
  5. Il fera retomber le mal sur mes adversaires ; dans Ton équité, Tu les anéantiras.
  6. De tout cœur je veux t’offrir des sacrifices ; je louerai ton nom, car il signifie bonté.
  7. Oui il me délivre de toute angoisse, et mes yeux se repaissent de la vue de mes ennemis.
    • De cette grande menace qui sera terrible sur le plan humain, le peuple Juif en sortira plus fort et plus soudé gardant sa fidélité et sa confiance en son Dieu. Dieu qui à la fin de la nuit fera trébucher Rome pour permettre au peuple Juif de s’établir à nouveau en terre d’Israël et à Jérusalem, ville pour laquelle le peuple élu s’est sacrifié une nouvelle foi dans cette génération.
  • Cette génération fait partie de la 2ème garde de la nuit (générations 50 à 98).
  • Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
  • En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.

Ce soulèvement marque la fin de la proéminence juive sur la Judée, Bar Kokheba sera en quelque sorte son dernier roi. Suite à cette révolte, la Judée fut vidée de ses Juifs, d’une part par les massacres de la guerre mais aussi et surtout, vraisemblablement par des exodes et déportations massifs.

La génération 54 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 105 du Deutéronome:

  1. L’Éternel te conduira ainsi que ton roi que tu auras établi pour toi vers une nation que tu ne connaissais pas, ni toi, ni tes pères,

Paul David

[1] I SAMUEL, Chapitre 26, versets 1 et 2

[2] I SAMUEL, Chapitre 26, versets 16 à 25

[3] Peter Schäfer/Histoire des Juifs dans l’antiquité/Chapitre : « Le soulèvement de Bar Kokheba » (P172/173/174)

[4] Talmud de Jérusalem cité par Peter Schäfer dans « Histoire des Juifs dans l’antiquité », chapitre « le soulèvement de Bar Kokheba (p. 176)

[5] Peter Schäfer/Histoire des Juifs dans l’antiquité/Chapitre : « Le soulèvement de Bar Kokheba » (P185/186)