Résumé:
Cette génération est celle des années 990 à 1010.
Suivant notre comptage, cette génération est la génération 97 associée au psaume 97. C’est dans ce psaume 97 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.
Le califat de Cordoue est à son apogée, mais son déclin est proche.
Sous la pression des Fatimides, après 200 ans de pouvoir sans partage, la dynastie abbasside confie le gouvernement à des Perses, les Buyides. La vie intellectuelle et artistique se développe à cette période encouragée par le mécénat, aussi bien en Perse qu’à Bagdad. Y émergent des intellectuels célèbres comme Avicenne (Ibn Sina 980-1037) ou Alhazen un des plus grands physiciens de tous les temps.
Pour l’Allemagne, c’est une époque de renaissance qui la fait émerger parmi les nations européennes. Cette Renaissance est d’autant plus surprenante qu’elle brille dans un pays rude. Les Xe et XIe siècles voient un nouvel essor du commerce ; les empereurs fondent et contrôlent foires et marchés. Ils protègent les communautés juives, les marchands étrangers, les artisans.
Sous l’impulsion des empires germaniques et byzantins et avec l’aide des missionnaires de Grande Bretagne, l’Europe continue de se convertir massivement au Christianisme, jusqu’aux contrées et îles les plus reculées du Nord de l’Europe autrefois fief des Vikings. La conversion des Russes se consolide.
Ainsi, cette génération voit la fin du paganisme en Europe. Sous l’effet conjoint de l’Islam et du Christianisme, le paganisme a disparu du monde connu. À cet éveil de l’Europe, les Juifs y participent à leur manière.
Au-delà de son développement au Sud de l’Europe, que ce soit dans le sud de la France ou de l’Italie, le judaïsme se développe maintenant au cœur de l’Europe, bien loin des rivages méditerranéens qui ont été pendant de longs siècles le lieu quasi exclusif de refuge des Juifs en exil.
Au cœur de l’Allemagne qui s’est fait sa place au milieu des nations et des empires, un judaïsme nouveau prend naissance à Mayence où, vers le IXe siècle, deux grands rabbins s’établirent. Vers l’an 1000, la ville accueille un centre d’études talmudiques très réputé. Le plus brillant de ces étudiants fut Gershom ben Juda, la « lumière de l’exil », qui crée une académie d’études. Des étudiants venaient de toute l’Europe en repartaient pour enseigner à leur tour, dans leurs communautés. Rashi en est, indirectement, son disciple.
Développement:
Avicenne et Alhazen
Cette génération marque les dernières années fastes du califat de Cordoue. Al Mansur continue à contrôler le califat jusqu’à que son fils Abd Al Malik lui succède en 1002. A cette date le califat de Cordoue est à son apogée.
Abd Al Malik qui possède les mêmes qualités que son père pour gouverner, meurt prématurément en 1008 vraisemblablement empoisonné par son frère et successeur, ce qui marque le début du déclin de Cordoue.
Le pouvoir Abbasside voit son territoire se restreindre avec la poussée Fatimide, et depuis quelque temps est sous l’influence des Buwayhides :
- À Bagdad[1], après 200 ans de pouvoir sans partage, la dynastie abbasside confie le gouvernement à des Perses, les buwayhides, ou buyides, dynastie fondée par Buwayh. Ses trois fils et leurs successeurs règnent de fait, sinon de droit, sur l’Empire abbasside de 945 à 1045. Abul Hussein est le premier à occuper Bagdad, où le calife tout en conservant son titre, lui remet la réalité du pouvoir en le nommant el-Mu’izz al-Dawla, « le Glorificateur de l’État ». Ce dernier dépose le calife abbasside régnant et installe à sa place le jeune Al-Qadir, en espérant le maintenir fermement sous son autorité.
Al Qadir qui règne sur les restes de l’empire Abbasside de 992 à 1031 se démarque progressivement de la tutelle des Bouyides (surtout dans la deuxième partie de son règne). Bien que d’obédience chiite, la vie intellectuelle et artistique se développe à cette période encouragée par le mécénat, aussi bien en Perse qu’à Bagdad. C’est sous cette influence qu’émergent des intellectuels célèbres comme Avicenne (Ibn Sina 980-1037), dont l’œuvre médicale sera largement reprise tout d’abord en Espagne musulmane puis pendant de nombreux siècles en Europe chrétienne.
On peut citer également Alhazen :
- Alhazen[2] (965-1039), un des plus grands physiciens de tous les temps formulent les lois de l’optique bien avant Roger Bacon (1220-1292), ainsi que la loi d’inertie, qui deviendra la première loi du mouvement de Newton (1642-1727).
La « Renaissance ottonienne »
Dans l’empire germanique, Otton II mort en 983, laisse théoriquement la place à son fils Otton III qui n’a alors que trois ans. Après la régence exercée par sa mère la princesse byzantine Théophano (puis après la mort de cette dernière en 991 par sa grand-mère Adélaïde), Otton III prend officiellement le pouvoir en 995 à sa majorité et cherche à reprendre en main la chrétienté en Europe.
Après une première tentative infructueuse, où il impose difficilement son cousin comme pape de 996 à 999 ; Otton, à la mort de ce dernier, vraisemblablement empoisonné, fait nommer Gerbert, archevêque de Ravenne comme pape sous le nom de Sylvestre II. Mais[3] la tentative d’Otton d’unification des pouvoirs temporel et spirituel échoue du fait de l’opposition romaine. Otton meurt en 1002 sans être parvenu à ses fins.
Henri II lui succède d’abord comme roi d’Allemagne, il est couronné empereur à Rome en 1014.
Cette époque est tout de même pour l’Allemagne celle d’une renaissance qui la fait émerger parmi les nations européennes :
- Les empereurs[4] saxons, entourés de lettrés, protégeant de riches abbayes, faisant copier des manuscrits, sont à l’origine de la « Renaissance ottonienne ». L’architecture, la sculpture et la peinture des manuscrits sont les principaux domaines dans lesquels se manifeste la créativité de la période. Cette Renaissance est d’autant plus surprenante qu’elle brille dans un pays rude, où la féodalité est moins développée qu’en Occident, où les routes sont mauvaises et les villes rares et petites. En 973, un voyageur arabe qui passe à Mayence note que la ville n’occupe qu’une infime partie de la cité romaine antique.
- Les Xe et XIe siècles voient pourtant un nouvel essor du commerce ; les empereurs fondent et contrôlent foires et marchés, où l’on échange « du sel, des armes et des bijoux, contre des esclaves, de la cire et des chevaux ». Ils protègent les communautés juives, les marchands étrangers, les artisans.
Une Europe chrétienne
Sous l’impulsion des empires germaniques et byzantins et avec l’aide des missionnaires de Grande Bretagne, l’Europe continue de se convertir massivement au Christianisme. La conversion des Russes réellement initialisée à la génération précédente se consolide, d’autres contrées qui feront partie des futurs empires européens se convertissent également.
Cette christianisation de l’Europe est générale jusqu’aux contrées et îles les plus reculées du Nord de l’Europe autrefois fief des Vikings :
- En Angleterre[5], l’irruption des Danois en 865 se traduit par la disparition de la plupart des monastères et de la moitié des évêchés d’East-Anglia ainsi que de la Northumbrie. Tandis que la situation se retourne au Xe siècle lorsque les successeurs du roi Alfred le Grand (mort en 899) partent à la reconquête du Danelaw, l’évangélisation continue sur un front missionnaire situé de la Scandinavie à la Bulgarie, et se déplaçant vers le nord-est. S’agissant des Scandinaves, elle se fait à la fois par l’activité sur place des missionnaires anglo-saxons et par les descentes des Vikings vers le sud. La Norvège est convertie à la fin du Xe siècle par des Vikings, eux-mêmes baptisés en Angleterre. Haakon le Bon (mort vers 960) et surtout Olaf Tryggvason y implantent ainsi le christianisme, ce dernier faisant ensuite pression sur l’Islande dont l’Assemblée des hommes libres (Althing) adopte le christianisme en 999. Au Danemark, la conversion va de pair avec l’unification du pays sous le règne d’Harald à la Dent bleue, baptisé en 965. La Suède reçoit elle aussi des missionnaires anglais et accueille des communautés chrétiennes, comme dans le centre commerçant de Birka (près de Stockholm).
Ainsi, cette génération voit la fin du paganisme en Europe, sous l’effet conjoint de l’Islam et du Christianisme, le paganisme a disparu du monde connu.
Dans le même temps, de nombreux savants, issus de ce monde monothéiste commencent à éluder les lois qui régissent l’univers.
C’est cette victoire du Dieu d’Israël sur les idoles que le début du psaume de cette génération évoque:
- L’Éternel règne ! Que la terre soit dans l’allégresse, dans la joie – les îles nombreuses !
- Il s’enveloppe de nuées et de brume épaisse, la justice et le droit sont la base de son trône.
- Devant Lui une flamme s’avance, qui embrase, à l’entour ses ennemis.
- Les éclairs illuminent le monde, la terre les voit et tremble.
- Les montagnes fondent comme la cire devant l’Éternel, devant le Maître de toute la terre.
- Les deux racontent son équité, tous les peuples sont témoins de sa gloire.
- Ils sont déçus tous les adorateurs d’idoles, qui se gonflent de leurs vaines divinités. Tous les dieux se prosternent devant Lui.
Mayence
À cet éveil de l’Europe, les Juifs y participent à leur manière. En développant dans un premier temps des écoles religieuses, mais également en apportant leur savoir aux nouvelles écoles et universités qui se créent en terre chrétienne. En Italie également, l’activité juive se développe.
À la renaissance du judaïsme séfarade, au cœur de l’Espagne musulmane, ainsi le judaïsme « ashkénaze » n’est pas en reste. Au-delà de son développement au Sud de l’Europe, que ce soit dans le sud de la France ou de l’Italie, il se développe maintenant au cœur de l’Europe, bien loin des rivages méditerranéens qui ont été pendant de longs siècles le lieu quasi exclusif de refuge des Juifs en exil.
Au cœur de l’Allemagne qui s’est fait sa place au milieu des nations et des empires, un judaïsme nouveau prend naissance à Mayence :
- Vers[6] le IXe siècle, un certain nombre de familles du sud de l’Italie émigrèrent en France. Puis elles s’enfoncèrent jusque dans la vallée du Rhin. Deux grands rabbins s’établirent dans la ville de Mayence, au sud de Francfort, et en amont de Cologne. Ces deux érudits s’appelaient Rabbi Moïse l’Ancien et Rabbi Abun le Grand. Ils commencèrent à enseigner. Le fils du premier était également rabbin et s’appelait Rabbi Kalonymus. Une douzaine de ses commentaires sur des points précis de la loi juive sont parvenus jusqu’à nous. Les spécialistes les considèrent comme les écrits rabbiniques les plus anciens des Juifs d’Europe, ils précèdent de vingt-cinq ans les commentaires de Rabbi Moïse ben Hanoch de Cordoue.
- Vers l’an 1000, alors que la communauté juive de la vallée du Rhin se développe, la ville de Mayence accueille un centre d’études talmudiques très réputé qui attire des étudiants venant même d’Espagne ou d’Italie.
- Le plus brillant de ces étudiants fut Rabbenu – ce qui signifie « notre maître »- Gershom ben Juda, né à Metz en 960 et mort en 1028. Il créa une académie d’études à Mayence. Les étudiants venaient de toute l’Europe pour recevoir son enseignement, ils restaient de nombreuses années et repartaient pour enseigner à leur tour, dans leurs communautés, ce qu’ils avaient appris. […]
- Les générations ultérieures décrivirent Rabbenu Gershom comme la « lumière de l’exil ». Sa poésie liturgique fit partie des prières de toutes les communautés juives allemandes. Ce talmudiste et poète allait marquer par son œuvre une étape dans le développement culturel des juifs ashkénazes. […]
- Parmi les disciples de Rabbenu Gershom se trouvait Rabbi Jacob ben Yakar. Celui-ci devint à son tour le maître de Rabbi Salomon ben Isaac, connu sous le nom de Rashi.
Ainsi, l’expansion du monothéisme sur l’ensemble de l’Europe est dans un premier temps l’occasion pour les Juifs d’accompagner cette expansion par leur propre expansion culturelle.
Ainsi Sion et Juda (les Juifs) que ce soit dans le monde séfarade (aux contacts des musulmans) ou dans le monde ashkénaze (au contact des chrétiens) sont en train de bousculer dans un renouveau intellectuel dans lequel ils redécouvrent la richesse de leur héritage culturel et comprennent comment celui-ci leur permettra de survivre dans l’exil.
C’est cette lumière qui se répand sur le monde Juif en même temps que se répand le monothéisme sur l’Europe anciennement royaume du paganisme.qui est louée dans la suite du psaume de cette génération, lumière particulièrement bien incarnée par Rabbenu Gershom, justement surnommé la « lumière de l’exil » :
- Sion l’apprend et s’en réjouit, les filles de Juda tressaillent d’allégresse, à cause de tes jugements, Éternel !
- Car toi, Éternel, Tu es le souverain de toute la terre, infiniment élevé au-dessus de tous les dieux.
- Vous qui aimez l’Éternel, haïssez le mal ! Il protège la personne de ses pieux serviteurs, les délivre de la main des pervers.
- La lumière se répand sur les justes, et la joie sur les cœurs droits. Réjouissez-vous, ô justes, en l’Éternel, et rendez hommage à sa gloire sainte.
- Cette génération fait partie de la 2ème garde de la nuit (générations 50 à 98).
- Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
- En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.
Dans le nouvel empire Fatimide, une nouvelle ère de tolérance s’ouvre pour les Juifs en attendant les ravages des croisades. L’avènement d’Al Hakim, remet en cause quelque temps ce régime favorable :
- De religion[10] chiite, et donc opposé aux sunnites, el-Mu’izz fait du Caire le siège d’un califat ismaélien, rival du califat abbasside de Bagdad, bastion de l’islam sunnite. Il étend son empire à la Palestine et à la Syrie, et contrôle les lieux saints de l’Orient : La Mecque, Médine et Jérusalem. Son règne et celui de son successeur, Al Aziz (975-996), se caractérisent par leur tolérance à l’égard des chrétiens et des juifs : on construit des églises et des monastères coptes, on protège les synagogues. La nomination de chrétiens et de juifs à des postes de vizirs et de hauts fonctionnaires dénote une large ouverture d’esprit en même temps qu’elle écarte du pouvoir les sunnites, demeurés majoritaire dans la population égyptienne.
- Mais tout change avec le sixième calife, al-Hakim (996-1021), qui se distingue par son comportement extravagant et énigmatique, tour à tour cruel et ascétique, fanatique et généreux.
Parmi les mesures prises par ce calife illuminé :
- D’abord[11] il ordonna que les Juifs qui n’accepteraient pas les croyances des chiites fussent contraints, en souvenir du veau d’or, de porter au cou l’image d’un veau et de se soumettre aux autres lois restrictives édictées autrefois contre eux par Omar. Les coupables étaient punis de la confiscation de leurs biens et de l’exil (1008). Des mesures analogues étaient prises contre les chrétiens. Quand Hakim apprit que les Juifs éludaient ses ordres en portant au cou de tout petits veaux en or, il les obligea à s’attacher au cou un bloc de bois de six livres et à garnir leurs vêtements de clochettes pour signaler leur présence de loin (vers 1010).
La génération 97 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 120 du Deutéronome:
- Ils (tes ennemis) te mettront un joug de fer sur ton cou jusqu’à qu’ils t’aient anéanti.
Paul David
[1] (Préface de) Georges Duby : « Une histoire du monde médiéval ». Chapitre : « Les divisions de l’Islam – (680-980) ». (p. 123-124).
[2] (Préface de) Georges Duby : « Une histoire du monde médiéval ». Chapitre : « Les divisions de l’Islam – (680-980) ». (p. 116).
[3] Suivant : Wikipedia
[4] (Préface de) Georges Duby : « Une histoire du monde médiéval ». Chapitre : « Les Carolingiens et les rêves d’empires – (680-980) ». (p. 108).
[5] Jean Pierre Moisset : « Histoire du Catholicisme ». Chapitre : « Une église, deux cultures : Orient et Occident » (p. 163-164)
[6] Chaïm Potok : « Une histoire du peuple Juif ». Chapitre : « Le Christianisme : perdus dans le pays enchanté ». (p. 470 à 474)
[10] (Préface de) Georges Duby : « Une histoire du monde médiéval ». Chapitre : « Les divisions de l’Islam – (680-980) ». (p. 123).
[11] Henri Graetz : « HISTOIRE DES JUIFS / TROISIÈME PÉRIODE — LA DISPERSION ». Deuxième époque — La science et la poésie juive à leur apogée. Chapitre II – Fin du gaonat en Babylonie, aurore de la civilisation juive en Espagne (970-1070)