Résumé:

Cette génération est celle des années 1830 à 1850.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 138 associée au psaume 138. C’est dans ce psaume 138 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

Cette génération qui est incluse entre les trois glorieuses (1830) et la révolution de 1848 est « une génération de révolte », en France mais également en Europe.

Elle est marquée par la « révolution industrielle et la naissance du capitalisme ».

« Israël est remis au premier plan » à travers le conflit entre les grandes puissances européennes et l’empire ottoman.

Le règne d’Ibrahim Pacha est accompagné par un fort retour des Juifs avec pour conséquence la « renaissance de Jérusalem ».

La quiétude des Juifs en orient est remise en question à travers « l’affaire de Damas », import de l’antisémitisme occidental en orient.

Celle-ci entraîne un « regain de Solidarité des Juifs d’Europe envers ceux d’orient ».

Celui-ci est associé à des efforts économiques qui permet un « Renouveau de la présence juive en Israël ».

Cela confirme la place de « Jérusalem, ville juive ».

Développement:

Une génération de révoltes

Charles X succède à son frère Louis XVII en 1824. Ses tentatives pour rétablir une royauté de droit divin amène la réaction du peuple en 1830 pendant les Trois Glorieuses (27,28 et 29 juillet 1830). Celles-ci ont pour conséquence l’arrivée au pouvoir le 9 août de Louis-Philippe 1er, neveu de Charles X qui à défaut d’instaurer la République, redéfinit la Monarchie.

Si cette génération commence par une mini révolution, elle se termine également par des mouvements de révoltes en 1848.

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À cette époque, les Italiens, les Tchèques et les Hongrois tentent sans succès de se détacher de la tutelle autrichienne. Des agitations ont également lieu en Allemagne mais sans en changer le destin. L’échec relatif de ces mouvements n’est peut-être que temporaire.

Révolution industrielle et capitalisme

En marge des mouvements des nations, cette génération est celle de l’éclosion du capitalisme poussé par la révolution industrielle. La génération précédente a vu la création de la classe ouvrière, celle-ci voir la création de la classe moyenne et l’essor de la bourgeoisie. Cette révolution touche également les États-Unis d’Amérique que  la conquête de l’Ouest transformera en poids lourd mondial à la fois économique et politique des prochaines générations.

Ces différentes révolutions, incluant la révolution industrielle, accélèrent le mouvement d’émancipation des Juifs en Europe :

  • Les révolutions[1] de 1830 qui éclatent dans différents pays d’Europe n’atteignent pas à proprement parler l’Allemagne ; les idées nouvelles y gagnent cependant du terrain. Le parti libéral relève la tête et va jouer un rôle de plus en plus important. Il sera le meilleur auxiliaire des Juifs dans leur lutte pour l’émancipation. […]
  • Au fur et à mesure que les partis libéraux deviennent plus influents dans les États allemands, la question de l’amélioration du sort des Juifs revient à l’ordre du jour. Dans le grand duché de Hesse, un décret d’octobre 1833 accorde la pleine citoyenneté aux Juifs, sans aucune restriction. Dans le Wurtemberg et le duché de Bade, ainsi qu’en Bavière, des projets sont mis en chantier.
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Ailleurs en Allemagne, l’émancipation arrivera plus tardivement. En Prusse, elle est annoncée en 1848, puis un retour en arrière se fait dans les années 1850. Il faut attendre 1871 pour que l’émancipation soit réelle et complète en territoire allemand. C’est à peu près à cette même époque (1867) que l’émancipation est obtenue dans l’empire austro-hongrois. Quelques avancées tout de même ont lieu à la présente génération ; ainsi, en Hongrie, les Juifs peuvent, dès 1839, devenir propriétaires d’immeubles.

Israël remis au premier plan

Pendant que l’Europe avance vers l’émancipation totale des Juifs et avant que l’antisémitisme en réaction à celle-ci vienne en contrebalancer les effets, la terre d’Israël est remise au premier plan de l’actualité politique internationale à cette génération :

  • La Palestine[2] depuis l’expédition de Bonaparte, était quelque peu sortie de la scène internationale. Elle y rentre, vers 1830, avec l’aggravation de ce que l’on appelle à cette époque « la question d’Orient ». Le point chaud en est la péninsule balkanique, où les populations cherchent à s’affranchir de la domination turque pour affirmer leur identité nationale. La Palestine est projetée, elle aussi, en plein conflit parce que les intérêts opposés des puissances européennes et de l’Empire ottoman s’y affrontent.

Né en Albanie[3] en 1769, Méhémet-Ali, un musulman, fait ses premières armes en Égypte dont il devient le pacha obligeant les Turcs à le reconnaître. En échange ces derniers réclament son aide pour combattre les Grecs promettant en échange la possession de l’Égypte à titre héréditaire ainsi que la domination sur la Syro-Palestine au moins pour la « durée d’une vie ». Les Grecs sont battus, mais l’implication des grandes puissances, Russie puis la France et l’Angleterre obligent les Turcs à reconnaître l’indépendance de la Grèce qui est conclue en 1829 par le traité d’Andrinople. Les Turcs ayant « oublié » leurs promesses envers Méhémet Ali, celui-ci envahit alors la Syro-Palestine en décembre 1831. Jaffa tombe, puis Jérusalem où Ibrahim le fils de Méhémet Ali entre le 7 décembre 1831. Acre est vaincu et en ruines le 26 mai 1832. Poussant jusqu’à la mer de Marmara, les Turcs demandent l’aide des Russes ce qui entraîne l’implication dans le conflit des Anglais puis des Français. L’aventure de Méhémet Ali est stoppée mais il conserve néanmoins le contrôle de la Syro-Palestine confiée à son fils Ibrahim qui en devient le pacha. Celui-ci changera le devenir de cette région.

Renaissance de Jérusalem

Le règne d’Ibrahim Pacha ouvre une nouvelle ère pour les juifs en terre d’Israël:

  • Mis à part[4] les exactions entraînées par la révolte des paysans (Ibrahim avait introduit de nouvelles taxes sur les récoltes, les paysans dans leurs révoltes s’en étaient alors également pris aux Juifs), le règne d’Ibrahim Pacha sur Erets Israël apporte de grandes améliorations. Il réussit à augmenter la sécurité sur les routes en luttant contre les razzias des Bédouins. On lui doit les premières tentatives de les sédentariser afin de les détourner du pillage. Il fait disparaître le rançonnement des voyageurs, et encourage l’agriculture, ainsi que l’artisanat et le commerce.
  • D’une manière générale, le développement économique du pays est bénéfique pour tous les habitants y compris les juifs.
  • Ouvrant les portes aux étrangers, il leur permet de fonder des établissements religieux et éducatifs. Cette approche, tout à fait révolutionnaire pour l’époque au sein d’une société extrêmement fermée à la modernité, est symbolisée par l’ouverture, à Jérusalem, du premier consulat européen.
  • Non seulement Ibrahim Pacha autorise des ordres religieux chrétiens à se développer dans Jérusalem, mais sa tolérance s’étend même aux Juifs. La réfection des anciennes synagogues est autorisée, contrairement aux principes traditionnels de l’islam. Des plans de constructions nouvelles sont acceptés. Les juifs peuvent aller prier au Kotel, le Mur occidental, sans les autorisations spéciales qu’il fallait renouveler chaque année.
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  • Les juifs séfarades[5] purent reconstruire la synagogue Ben Zakkaï, une des quatre synagogues du quartier juif de Jérusalem, les Ashkénazes revinrent à la Hourva, détruite en 1720.

Le retour des juifs à Jérusalem qui présage du retour final en terre promise et l’accès ouvert sur le temple à travers le Kotel fait l’objet du début du psaume de cette génération :

  1. De David. Je Te rendrai hommage de tout mon cœur en ta présence, ô Dieu, je Te célébrerai.
  2. Je me prosternerai dans ton saint Tabernacle, et je louerai Ton Nom pour ta bonté et ta bienveillance ; car tu as élevé au-dessus de tout Ton Nom, Ta parole.

L’affaire de Damas

À cette génération survint dans la sphère islamique une affaire qui aurait plus sa place en l’Europe: l’affaire de Damas en 1840. De fait, ce sont des Européens qui la déclenchent exportant en terre d’Islam certaines de leurs traditions antisémites :

  • Le 5 février 1840[6], un ressortissant français, le père Thomas, supérieur du couvent des franciscains de Damas, disparaît mystérieusement avec son serviteur. Très vite le bruit se répand dans la ville qu’il s’agit d’un « meurtre rituel ». Le consul de France à Damas, Ratti-Menton, se laisse influencer par ces bruits et, avec l’accord du pacha gouverneur de Damas, prend l’affaire en main.
  • Il commence par opérer plusieurs arrestations dans le quartier juif : un pauvre barbier, sous les coups et les supplices finit par « avouer » ce qu’on veut le forcer à dire – qu’il s’agit bien d’un « meurtre rituel ». Il nomme au hasard sept notables juifs parmi les plus connus de la ville, qui auraient, dit-il, trempé dans le crime. Ils sont immédiatement torturés que deux d’entre eux meurent sous les coups.
  • N’ayant pas obtenu les aveux souhaités, Ratti-Menton s’empare de soixante enfants en bas âge qu’on enferme sans nourriture sous les yeux de leurs mères, poussant des hurlements. D’autres arrestations ont lieu. L’émoi est à son comble, on craint jusqu’à un massacre général des juifs de Damas.

Solidarité des Juifs d’Europe envers ceux d’orient

Cette situation entraîne une réaction des communautés juives d’Europe avec le soutien de la plupart des représentants des états européens:

  • Rapportée[7] en Europe par une presse attentive à la question d’Orient, l’affaire fait grand bruit, notamment dans les communautés juives émancipées, parce qu’elle marque le transfert en Orient d’accusations qu’on croyait révolues en Occident. Puissamment soutenus par la famille Rothschild et par une opinion publique juive qui les presse d’agir en tant que tels pour la défense de leurs coreligionnaires, Sir Moses Montefiore, l’ancien sheriff de Londres et, venus de France, le savant orientaliste Salomon Munk et l’avocat Adolphe Crémieux se rendent à Alexandrie au cours de l’été 1840, pour y rencontrer Muhammad ‘Ali. Sous la pression des consuls européens qui, à l’exception du représentant français, soutiennent l’initiative, le vice-roi d’Égypte reconnaît l’innocence des inculpés et les fait relaxer. L’affaire de Damas a véritablement rapproché le judaïsme d’Orient de celui d’Occident, revendiquant pour le premier l’émancipation politique dont le second commençait à bénéficier. Pour la première fois, la manipulation de solidarité internationale sort des synagogues pour s’inscrire dans le jeu politique.

C’est cette action concertée des Juifs d’Europe au secours des Juifs d’Orient qui est évoquée dans la suite du psaume de cette génération :

  1. Le jour où je T’appelais, Tu me répondis, Tu me donnas du courage en fortifiant mon âme.

Ce courage a permis non seulement d’obtenir la libération des juifs de Damas injustement mis en cause mais a permis une reconnaissance de la part des « rois de la terre », car en plus du soutien de l’ensemble des consuls (le consul français n’a pas suivi dans un premier temps pour des raisons purement politiques) et du prince Metternich à Vienne, d’autres « rois » s’associent à ce succès, telle la reine d’Angleterre :

  • Le voyage[8] de retour (après avoir obtenu gain de cause à Damas puis Constantinople) de sir Moses Montefiore dura quatre mois. […] Fêté pour le succès de sa mission dans de nombreuses villes, il finit, après plusieurs haltes par arriver à Londres. Il fut reçu par Lord Palmerston d’abord, et par la reine Victoria le 24 mars 1841. Montefiore raconte : « Je reçus un accueil tout à fait cordial et basai la main de la Souveraine».

Auparavant, non satisfait de la libération des Juifs de Damas sans qu’ils aient été mis réellement hors de cause, il avait rencontré le sultan à Constantinople et obtint le 7 novembre 1840, le « firmano » suivant :

  • « firmano » présenté[9] au Premier juge de Constantinople, en tête de quoi Sa Majesté Impériale a écrit de sa propre main les mots suivants : « Que soit exécuté ce qui est prescrit dans ce Firmano. »
  • Un ancien préjugé prévalut contre les Juifs. L’ignorant croyait que les Juifs avaient l’habitude de sacrifier un être humain, pour utiliser son sang dans leurs fêtes de Pâque.
  • En conséquence d’une telle opinion, les Juifs de Damas et Rhodes (sujets de notre empire), ont été persécutés par d’autres nations. Les calomnies qui furent prononcées contre les Juifs et les vexations auxquelles ils ont été soumis ont fini par arriver à notre trône impérial. […]
  • Outre que les livres religieux des Juifs ont été examinés par des hommes savants, bien versés dans leur littérature théologique, le résultat de tels examens est qu’il fut trouvé que, chez les Juifs, ont strictement prohibé l’usage du sang humain et même celui des animaux. D’où il ressort que les accusations portées contre eux et contre leur religion, ne sont que de pures calomnies.
  • Pour cette raison, et pour l’amour que nous portons à nos sujets, nous ne pouvons permettre que la nation juive (dont l’innocence à propos du crime en question est évidente) soit humiliée et tourmentée sur des accusations qui n’ont pas le plus petit fondement de vérité, mais voulons que, en conformité de l’Hatti Sherif proclamé à Gulhani, la nation Hébraïque possède les mêmes avantages et jouisse des mêmes privilèges accordés aux autres nombreuses nations sujettes à notre autorité.
  • La nation juive devra être protégée et défendue. Pour améliorer cela, nous avons donné les ordres les plus positifs pour que la nation Juive demeurant en tout lieu de notre empire soit parfaitement protégée, autant que tous les autres sujets de la sublime Porte, et que personne n’aille les tourmenter en quelque manière (sauf pour une juste cause) ni dans le libre exercice de leur Religion, ni en ce qui concerne leur sauvegarde et leur tranquillité.

La plaidoirie basée sur la loi mosaïque (les paroles de ta bouche) a permis aux émissaires juifs (Montefiore, Crémieux) à changer le sort des juifs en orient avec une approbation des têtes couronnées venant compléter l’évolution des Juifs d’occident vers l’émancipation.

C’est ce qu’exprime la suite du psaume de cette génération :

  1. Tous les rois de la terre, ô Éternel, te rendront hommage, après avoir entendu les paroles de ta bouche ;
  2. ils chanteront les voies du Seigneur, car grande est la gloire du Seigneur.

Cet hommage des nations envers l’Éternel est également matérialisé par l’ouverture nouvelle de consulats à Jérusalem :

  • Il y avait depuis[10] longtemps déjà, des consulats européens à Damas et Beyrouth, villes de commerce international. Mais Jérusalem, enserrée dans ses murailles et sa pauvreté économique semblait vouée à un conservatisme religieux très fermé. L’ouverture d’un prestigieux consulat britannique est un des événements marquants des dernières années de la domination égyptienne. […] Il a été un des signes visibles de la modernisation lors de la domination égyptienne. Après 1841 et le retour de la Palestine sous la coupe du sultan (de l’empire ottoman), le pays ne revient pas exactement à l’état où il était dix ans plus tôt. La modernisation continue à se frayer peu à peu un chemin. L’apparition de nouveaux consulats européens à Jérusalem en est la preuve.
  • Dès 1843, la France, la Russie et la Prusse ouvrent chacune un consulat dans la Ville sainte. C’est en 1849, le tour de l’Autriche et, en 1854, celui de l’Espagne.

Cette installation à Jérusalem (sur les hauteurs) fait le lien avec la suite du psaume :

  1. Oui, l’Éternel réside dans les hauteurs (…)

L’affaire de Damas entraîne également une prise de conscience au sein du judaïsme européen qui se rendant compte de la misère de nombreux Juifs en particulier en Orient entreprend des actions concrètes afin d’y remédier.

Les Juifs européens en voie vers l’émancipation sont persuadés que les exactions contre les Juifs en Europe font partie du passé. Espérant sincèrement que l’Europe, héritière de l’esprit des Lumières ne pourrait être qu’un lieu de cohabitation heureux entre des hommes de croyances divergentes, ils veulent faire profiter de ce progrès leurs coreligionnaires d’orient soumis « encore » à des statuts humiliants. L’affaire de Damas déclenche ainsi la solidarité des Juifs d’Occident envers ceux d’Orient.

Renouveau de la présence juive en Israël

Déjà lors de son voyage en Palestine en 1837, Moses Montefiore avait constaté l’extrême pauvreté des Juifs en Terre sainte, en particulier dans la région de Safed dévasté par un tremblement de terre au début de la même année :

  • « Je (c’est Montefiore qui s’exprime) crois[11] que la pauvreté de Juifs de Safed va bien au-delà de tout ce qu’on peut imaginer en Angleterre ou en Europe continentale. » Il distribue de l’argent sans trêve, de neuf heures du matin à six heures du soir, et se fait un devoir d’inclure des non-juifs dans sa distribution. […] Il est parfaitement conscient que ces aumônes sont un palliatif qui ne résout aucun problème de fond. Les Juifs auxquels il parle souhaiteraient tous pouvoir gagner leur pain :
  • Ils semblent considérer que l’agriculture est le moyen le plus souhaitable pour les faire sortir de leur présente situation de déchéance […] Il y a de la bonne volonté et avec un aide peu importante de personnes bien choisies en Europe, on pourrait rapidement restaurer la santé et l’abondance, avec l’aide du Ciel.

Suite[12] à cette visite afin de procéder à ce développement agricole, Montefiore a déjà pour but de demander des cessions de terres pour l’établissement de cent à deux cents villages, cela bien avant l’initialisation du sionisme. Même si ce projet n’aboutit pas, il jette les bases du renouveau de la présence juive en terre d’Israël.

La volonté de Montefiore associé à d’autres grands philanthropes Juifs s’inscrit dans la durée et permet une élimination progressive de la misère des Juifs en Terre sainte et dans d’autres contrées d’Orient. Un des résultats est la création de l’alliance israélite qui œuvrera bientôt en ce sens.

Cette solidarité jouera également pour les Juifs du Maghreb en particulier en Algérie devenue française en 1830 et pour la Tunisie en 1857 suite à l’exécution pour blasphème du Juif Batto Sfez. Quant aux projets agricoles de Montefiore, ils finiront par prendre forme en terre d’Israël donnant peu à peu leur indépendance aux Juifs de Terre sainte.

Cette solidarité « Nord-Sud » au sein du judaïsme est évoquée dans la suite du psaume de cette génération :

  1. (Oui, l’Éternel réside dans les hauteurs) et il voit celui qui est humble, comme il discerne celui qui est élevé.

Cette solidarité a été le résultat des exactions menées contre les Juifs sous l’instigation du Consul français à Damas, même s’il y eut des victimes juives, cette affaire a permis le recul de ceux qui avaient monté l’affaire (« les ennemis »), la renaissance de Jérusalem et la survie des Juifs en terre d’Israël. L’assistance des Juifs d’Europe permet aux Juifs de Palestine de survivre et de s’installer réellement sur leurs terres et ainsi de pouvoir accueillir de nouveaux candidats au retour à Sion.

C’est ce qu’exprime la suite du psaume de cette génération :

  1. Quand je m’avance en pleine détresse, c’est toi qui me préserves ma vie, tu appesantis ta main sur mes ennemis en fureur, et ta droite me prête assistance.

En 1840[13], la population juive de Jérusalem dépasse la population musulmane et la population chrétienne, puisque, d’après les moyennes établies à partir de différents recensements on peut estimer que sur un total de 13000 habitants, 5000 sont juifs, 4650 sont musulmans et 3350 sont chrétiens, rappelons que la présence musulmane à Jérusalem était principalement due aux pèlerinages chrétiens et juifs qui assuraient leur subsistance soit directement par les taxes perçues soit indirectement par l’activité générée. À cette génération toute la population de Jérusalem est concentrée entre les murs, il faudra attendre la génération suivante pour que Montefiore crée le premier quartier hors des murs, ce premier quartier juif sera suivi d’autres initiatives aussi bien de la part des chrétiens et des musulmans. Il n’y a donc pas avant la naissance du sionisme de présence significative, musulmane ou non, dans ce qu’aujourd’hui les Palestiniens et le monde dénomment Jérusalem Est.

La même année[14], la Palestine compte 70 000 habitants dont 10 000 juifs. La population[15] mondiale est alors d’environ 1,2 milliard d’habitants soit environ 6 fois moins que la population mondiale actuelle (2013). Ainsi si on fait une projection, la population actuelle de la Palestine, si le sionisme n’avait pas eu lieu devrait comprendre environ 400 000 habitants toutes religions confondues, soit quatre fois (cinq fois si on se restreint à la population musulmane) moins que la population arabe israélienne actuelle, sans y inclure la population dite palestinienne de Cisjordanie, de Gaza et de la « diaspora ».

Le pays est quasiment désertique ce qui permettra dans quelques années au sionisme naissant de prôner le retour à Sion. D’autant plus aisément que le retour à Sion, malgré les conditions difficiles et les humiliations est déjà bien initialisé à cette génération poursuivant un mouvement entrepris depuis maintenant de nombreuses générations.

La révolution industrielle et intellectuelle du XIXe siècle accélère le développement de la population en Terre sainte et à Jérusalem.

Jérusalem, ville juive

Suite à l’affaire de Damas[16], la presse juive se développe en Orient comme en Occident favorisant l’importation et la circulation d’idées nouvelles. Les bateaux apportent des énergies nouvelles en terre d’Israël tel Samuel Salant qui contribuera largement au développement de Jérusalem dans les décennies suivantes :

  • Samuel[17] Salant (1816-1909), venant de Pologne-Russie, se rend, quant à lui, directement à Jérusalem, en 1841. Transitant par la Turquie, il arrive en Erets Israël sur un des tout premiers bateaux à vapeur mis en service. Sa forte personnalité en fait très vite le rabbin le plus respecté de la communauté Ashkénaze. Ayant étudié à la célèbre yeshiva de Volozhin, animée par un disciple du Gaon de Vilna, il est également écouté et reconnu par les hassidim. Il est le fondateur de nombreuses institutions d’enseignement traditionnel et participe aussi à la création de l’hôpital Bikour Holim. Il se tourne vers l’avenir et encourage les Juifs à développer de nouveaux quartiers en dehors des murailles. Durant sa longue vie, il assiste au développement remarquable de la communauté ashkénaze de Jérusalem, dont il est reconnu officiellement grand rabbin. De 500 à son arrivée en 1841, les Ashkénazes sont passés à 30000 à sa mort, près de cinquante ans plus tard.

Nous sommes donc à une génération charnière, la fidélité des Juifs à leur terre et à Jérusalem depuis le début de l’exil se trouve récompensée dès la présente génération qui consacre Jérusalem comme une ville juive. Les brimades que les Juifs ont essuyées depuis des générations depuis qu’ils ont réactivé le retour à Sion n’ont pas entamé leur détermination et à cette génération, Jérusalem est déjà à nouveau une ville juive.

Miraculeusement, malgré les deux millénaires d’exil, la terre d’Israël est quasiment désertique et a vomi tous les autres peuples qui ont essayé de la peupler et cette terre est prête à nouveau à accueillir le peuple que Dieu a désigné pour la peupler : le peuple Juif.

Le prix payé par le peuple juif pour sa fidélité a été élevé et il continuera à payer cher celle-ci dans les prochaines générations, mais le mouvement de retour à Sion est enclenché et est inexorable. Les malédictions subies par le peuple Juif depuis le début de la nuit et le retour amorcé sur sa terre sont conformes aux prédictions de Moïse.

Le mouvement annoncé à cette génération est également conforme à ce que Moïse définit dans sa prédiction comme l’initialisation du « terme de l’exil », malheureusement si celui-ci est amorcé, l’exil globalement n’est pas terminé et avant qu’il s’achève, de nouvelles générations de l’exil se succéderont avec leur lot de malédiction et pour le peuple juif des malheurs sans précédents.

C’est pourquoi le psalmiste conclut son psaume en priant Dieu d’aller jusqu’au bout de ses promesses car la nuit du peuple Juif n’est pas achevée :

  1. L’Éternel mettra le comble à mes bienfaits envers moi ; ta bonté, ô Seigneur, dure à jamais, ne laisse pas inachevées les œuvres de tes mains.
  • Cette génération fait partie de la 3ème garde de la nuit (générations 99 à 147).
  • Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
  • En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.

L’inquiétude du psalmiste se justifie car le retour à Sion n’est pas sans douleurs nouvelles.

À cette génération, un violent tremblement de terre vient éprouver les nouvelles communautés juives en terre d’Israël :

  • Un tremblement[18] de terre survient le 1er janvier 1837 (24 Tébet), vers cinq heures de l’après-midi, à l’heure de la prière de Minha. On l’a légèrement ressenti à Jérusalem, mais les dégâts sont minimes. Hébron est restée complètement en dehors de la secousse sismique. En revanche, Tibériade et Safed ont subi de lourdes pertes humaines et en dommages matériels.
  • Tibériade compte, au moment du tremblement de terre, trois mille habitants dont plus de la moitié, mille sept cents, sont juifs. Les témoignages décrivent un spectacle terrifiant :
  • Du feu a jailli du lac, et l’eau a inondé la ville […] En un instant, je n’ai plus rien distingué qu’un épais nuage de poussière noire recouvrant toute la ville. Aussitôt après, on a entendu comme du tonnerre, et des cris et des hurlements poussés par des milliers de gens.
  • On décompte entre sept cents et mille victimes, dont plus de la moitié sont juives, car le quartier juif se trouve au sud de la ville et longe le lac. Les murailles qui entouraient la ville se sont effondrées. Les maisons du quartier juif sont détruites en grand nombre, de même que celles du quartier musulman.
  • Le comble de l’horreur se déroule à Safed, où se situe l’épicentre du séisme : environ cinq mille victimes, dont deux mille sont juives selon certains témoignages, et quatre mille selon d’autres. […] La ville a été, en un instant, transformée en un immense amoncellement de pierres. « C’est comme si les colonnes soutenant la terre s’étaient écroulées. »
  • En une seconde, les êtres chers ont été tués et sont montés au ciel. Depuis que le sanctuaire a été détruit, il n’y a pas eu de pareille catastrophe dans laquelle les villes saintes de Safed et de Tibériade ont été anéanties jusqu’au fondement. À Safed, il y avait quatorze synagogues. Toutes se sont écroulées, leur couronne est tombée à terre. […]

En marge[19] de ces malheurs qui accablent les populations de Safed et Tibériade qui comprend une majorité de Juifs, un fort soutien provient d’Europe à travers les témoignages parvenus à la communauté d’Amsterdam qui renforce les liens entre la diaspora et la population juive d’Erets Israël, ces liens seront amplifiés après l’affaire de Damas. D’autre part de nombreux Juifs survivants de la région dévastée vont migrer vers Jérusalem ce qui aura pour résultat positif de confirmer la renaissance de cette ville comme ville juive. Israël Bak s’était installé à Safed en 1831 établissant une imprimerie Hébraïque. Celle-ci est vandalisée en 1834 lors d’une révolte paysanne, Bak étant lui-même blessé. Bak après sa guérison rouvre l’imprimerie en 1835. Après le tremblement de terre de 1837, Bak transporte son imprimerie à Jérusalem, où elle est la première imprimerie hébraïque, et, pendant près de trente ans, la seule. D’autre part la visite de Montefiore à Safed quelques mois après la catastrophe permettra le développement agricole de la terre d’Israël présageant du renouveau de la terre promise comme terre juive.

Le lourd[20] bilan à Safed est dû à la nature des constructions dans le quartier juif de Safed construit autour et sur les pentes d’une montagne escarpée. C’est ainsi une sorte d’escaliers de maisons l’une au dessus de l’autre. Quand la secousse a eu lieu, les premières rangées sont tombées sur les deuxièmes, les deuxièmes sur les troisièmes et ainsi de suite. Comme à Tibériade, le résultat de la secousse à Safed dans la destruction du quartier Juif est qualifié de « spectacle épouvantable » par l’un des témoins.

La génération 138 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 102 du Deutéronome:

  1. Tu deviendras fou du spectacle de tes yeux que tu verras.

Paul David

[1] Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’État d’Israël ». (p. 162)

[2] Renée Neher-Bernheim : «La vie juive en Terre sainte, 1517-1918 ». (p. 167)

[3] D’après : Renée Neher-Bernheim : «La vie juive en Terre sainte, 1517-1918 ». (p. 167 à 170)

[4] Renée Neher-Bernheim : «La vie juive en Terre sainte, 1517-1918 ». (p. 172)

[5] Simon Sebag Montefiore : « Jérusalem : Biographie ». (p. 398)

[6] Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’État d’Israël ». (p. 373-374)

[7] (Sous la direction de) Antoine Germa, Benjamin Lellouch et Evelyne Patlagean : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Frédéric Abécassis et Jean François Faü : « Les Juifs dans le monde musulman, 1840-1945 ». (p.553).

[8] Riccardo Calimani : « L’Errance juive ». (p.468).

[9] Riccardo Calimani : « L’Errance juive ». (p.467, 468).

[10] Renée Neher-Bernheim : « La vie juive en Terre sainte ». (p. 177 et 190)

[11] Renée Neher-Bernheim : « La vie juive en Terre sainte, 1517-1918 ». (p. 180)

[12] Voir : Renée Neher-Bernheim : « La vie juive en Terre sainte, 1517-1918 ». (p. 181)

[13] D’après Renée Neher-Bernheim : « Jérusalem, trois millénaires d’histoire ». (p 142, 143).

[14] D’après Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’État d’Israël ». (p. 361). Il existe d’autres estimations de la population en Palestine avec de grosses variations dans les chiffres. Toutefois quelque soit l’estimation, la terre de Palestine et Jérusalem en particulier, étaient très peu peuplées au milieu du dix neuvième siècle au moment ou l’immigration juive s’intensifia.

[15] D’après : http://en.wikipedia.org/wiki/World_population_estimates

[16] (Sous la direction de) Antoine Germa, Benjamin Lellouch et Evelyne Patlagean : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Frédéric Abécassis et Jean François Faü : « Les Juifs dans le monde musulman, 1840-1945 ». (p.554)

[17] Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’État d’Israël ». Chapitre : « Vers un mieux-être ». (p. 364)

[18] Renée Neher-Bernheim : « La vie juive en Terre sainte, 1517-1918 ». (p. 174-175)

[19] D’après : Renée Neher-Bernheim : « La vie juive en Terre sainte, 1517-1918 ».

[20] D’après : Renée Neher-Bernheim : « La vie juive en Terre sainte, 1517-1918 ». (p. 176)