Dans le chapitre précédent, nous nous sommes intéressé au Maghreb.

Dans le présent article, la disparition des communautés juives des autres pays à majorité musulmane du moyen-orient sont évoqués.

Pour répondre à des premières réactions à cet article, je rappelle que j’englobe volontairement par abus de langage dans le terme séfarade tous les communautés juives d’orient vivant dans des pays à majorité musulmane. Pour en comprendre la raison, se référer au premier article de cette série: « préambule » (lien directe en fin d’article).

Libye

  • La communauté[1] juive de Libye comptait plus de 38 000 Juifs en 1948 et 36 000 d’entre eux émigrèrent vers Israël peu après la création de l’État hébreu, lorsque la situation de cette communauté devint des plus précaires. Le reste d’entre eux quittèrent eux aussi la Libye, et émigrèrent surtout vers l’Italie.
  • Kadhafi arrivé au pouvoir en 1969, déclara la confiscation officielle de tous les biens juifs – privés et communautaires – et annonça qu’il n’y aurait pas de recours pour obtenir de dédommagements de la part des autorités libyennes.

La Libye qui n’était qu’une petite province de l’empire Ottoman devint un état artificiellement après la Seconde Guerre mondiale en s’appliquant à se débarrasser des non musulmans pourtant ancrés dans la région depuis des siècles :

  • Entre 1551 et 1911[2], la Libye faisait partie de l’Empire turc ; entre 1911 et 1943 ce fut une colonie italienne ; de 1943 à 1952 elle fut placée sous administration militaire britannique et depuis 1952, la Libye est un État indépendant. […]
  • Le roi Idris (de 1951 à 1969) – en dépit de ses promesses officielles et de son engagement à protéger la communauté juive – n’avait aucune influence sur le gouvernement libyen, lequel promulguait régulièrement des lois spéciales restreignant les activités commerciales des Juifs. Les Juifs ne purent obtenir la citoyenneté libyenne et les droits civils les plus élémentaires.

La population de la Libye est aujourd’hui (2011) à 97 %[3] musulmane

Égypte

On peut clore l’Afrique par l’Égypte parmi les pays à majorité musulmane qui possédait une forte population juive avant guerre :

  • Pour les Juifs[4] d’Égypte, la guerre du Sinaï (1957) marque la fin d’un monde. Les mesures prises en réaction à la « Triple et lâche agression » frappent en premier lieu les Français et les Britanniques : les ressortissants des deux colonies sont expulsés d’Égypte et leurs biens et avoir confisqués. On compte parmi eux un certain nombre de juifs. Mais ces mesures de rétorsion touchent de la même façon les « Juifs du Nil » : quelque 460 entreprises appartenant à des Juifs sont confisquées et placées sous séquestre, un millier d’entre eux sont internés dès le début de la guerre. Ce sont pour moitié des ressortissants de ces anciennes puissances capitulaires, l’autre moitié étant constituée de citoyens égyptiens brutalement suspects d’activité sioniste. Les expulsions directes, qui frappent en outre 600 Juifs apatrides, cessent dès la mi-novembre pour céder la place à des formes de pression plus ou moins officielles, mais tout aussi efficaces. Un décret présidentiel de novembre prévoit la déchéance de la nationalité égyptienne pour toute personne reconnue sioniste. Un véritable mouvement de panique se déclenche, alimenté par la presse, la rumeur, et les tracasseries teintées de prévarication de l’administration ou de la police. Plus de 20 000 juifs quittent l’Égypte au cours de l’année 1957, laissant derrière eux la plupart de leurs biens et un patrimoine immobilier important. Comme cela s’était produit en Irak, les titulaires d’un passeport égyptien sont pressés de signer, à leur passage à la frontière, un document de renonciation à leur nationalité. […] À la veille de la guerre de 1967, on estime à un peu plus de 8000 le nombre de juifs demeurés dans le pays. Ils ne seront plus que quelques centaines après la crise.

On peut[5] entrevoir les sentiments des Juifs égyptiens en lisant une lettre adressée à l’éditeur du journal Akhir Sa’a, traduite en français et publiée dans une revue de presse dans « La Bourse Égyptienne » du 22 juillet 1948 :

  • « Il semblerait que la plupart des gens en Égypte ne savent pas que certains musulmans égyptiens ont la peau blanche. Chaque fois que je monte dans un bus, les gens pointent du doigt en disant « Juif ! Juif ! » On m’a battu plus d’une fois à cause de cela. C’est pourquoi je demande très humblement que vous publiiez ma photo en expliquant que je ne suis pas juif et que mon nom est Adham Mustafa Galeb ».

La présence plus que deux fois millénaire des Juifs en Égypte se clôt. La population de l’Égypte est aujourd’hui (2011) à 95 %[6] musulmane. Pour les 5 % restant – la communauté chrétienne copte – l’actualité montre que leur présence est assez précaire.

Irak

Pour le Moyen-Orient, on peut s’intéresser déjà à l’Irak, ou on a déjà vu qu’un pogrom avait été organisé pendant la Seconde Guerre mondiale à défaut d’une application plus stricte de la solution finale.

Sous couvert de conflit avec Israël, l’Irak organise la spoliation des Juifs d’Irak et leur transformation progressive en paria, les poussant, y compris ceux qui se sentaient profondément irakiens ou sans attache avec Israël à prendre la route de l’exil et dans le même temps d’être contraint de perdre la nationalité irakienne :

  • Les conditions[7] de vie des Juifs d’Irak se dégradèrent rapidement après la création de l’État d’Israël. […] Les Juifs furent, à partir de 1948, victimes de toute une série de mesures discriminatoires de caractère économique. Sous le couvert de lois présentées comme générales, les autorités entreprirent de détruire les sources de revenus des Juifs d’Irak. […] Des centaines de Juifs furent licenciés des services publics irakiens et le gouvernement irakien imposa à de nombreuses compagnies étrangères le licenciement de leurs employés juifs (peut-être plus de 1500 au total). À partir de septembre 1948, les Juifs furent exclus de toute occupation ayant un rapport quelconque avec l’import-export et interdits de contracter des contrats publics quels qu’ils soient.
  • En mars 1950, dans un contexte de crise économique et d’inflation galopante, le gouvernement irakien décida d’autoriser le départ/l’émigration des Juifs d’Irak, et ce par le biais d’une loi « portant déchéance de la citoyenneté irakienne » devant s’appliquer à tout Juif qui demanderait à émigrer vers Israël. […]
  • La situation économico-financière des Juifs d’Irak empira encore avec le vote par le Parlement irakien de la loi du 10 mars 1951 gelant les biens juifs irakiens. […] La même loi autorisa la fermeture et la séquestration de tous les magasins et entrepôts par les populations locales. En outre, les autorités ne firent rien pour éviter le pillage systématique de ces mêmes magasins et entrepôts par les populations locales. […]
  • Le choc et le désespoir des Juifs qui furent la conséquence de ces mesures poussèrent nombre d’entre eux à vendre leurs biens les plus chers à n’importe quel prix.

La population de l’Irak est aujourd’hui (2011) à 99 %[8] musulmane. L’actualité montre que le 1 % restant risque d’avoir beaucoup de mal à survivre en Irak, cette ancienne province de l’empire Ottoman.

Syrie

Autre pays du Moyen Orient qui possédait une forte communauté juive avant guerre et dont la présence et plus de deux fois millénaires, la Syrie :

  • En 1943[9], quelque 30 000 Juifs habitaient la Syrie, la plus grande communauté étant celle d’Alep, avec 17 000 Juifs, suivie de près par la communauté de Damas, avec 10 000 Juifs environ. […]
  • La situation des Juifs syriens empira de manière significative à la suite de la création de l’État d’Israël. Le surlendemain de la décision de séparer la Palestine en deux États, la ville d’Alep fut la scène d’un pogrom important pendant lequel de nombreux Juifs furent tués ou blessés et de nombreuses synagogues, habitations et magasins juifs détruits. Au-delà des manifestations de violence spontanée, le mois de décembre 1947 vit l’adoption de quantité de mesures officielles gouvernementales à l’encontre des Juifs qui rendirent le quotidien de ceux-ci de plus en plus précaire. […]
  • La guerre des Six Jours de juin 1967 et surtout l’arrivée au pouvoir d’Hafez el-Assad en 1970 furent l’occasion d’une grave détérioration des Juifs de Syrie.

Les témoignages montrent que la vie des Juifs syriens était devenue impossible :

  • La communauté[10] juive de Syrie se trouve constamment placée sous étroite surveillance. […] Une absence d’un jour à l’école de la part d’un élève juif se traduit par une visite immédiate de la police à son domicile. […] La Mukhabarat (police secrète) a un bureau au cœur même du ghetto, et les habitants juifs vivent sous sa menace permanente. […]
  • Les Juifs sont les seuls citoyens de Syrie qui ont leur religion inscrite sur leur passeport et sur leurs pièces d’identité, autrefois en grosses lettres rouges, aujourd’hui en lettre bleues plus petites : « Mussawi » (« juif »).

La population de la Syrie est aujourd’hui (2011) à 93 %[11] musulmane. Pour les 7 % restant, les chrétiens, comme pour l’Égypte et l’Irak, l’avenir est pour le moins incertain  comme le montre le conflit actuel.

Yémen

  • À Aden[12], le 2 décembre 1947, soit trois jours après le vote de partage par l’Assemblée générale des Nations Unies, une violente émeute détruit la grande synagogue et ravage le quartier juif, faisant 82 victimes. Les autorités britanniques du Protectorat improvisent un camp de relogement à la périphérie de la ville, dans lequel s’entassent, au cours de l’année 1948, des centaines de migrants venus du Nord, notamment de Sanaa ou de Dhamar, dans un profond dénuement : un décret de l’imam oblige en effet les candidats à l’émigration à vendre tous leurs biens avant de quitter le pays, et le trajet fournit nombre d’occasions de dépouiller les voyageurs de leurs économies. C’est seulement en septembre 1948 que les Britanniques autorisent un départ massif vers Israël et installent à Aden des camps de transits. La voie maritime étant fermée, un pont aérien baptisé « opération Tapis volant » transfère, en l’espace de quelques mois, près de 50 000 Juifs yéménites, soit les neuf dixièmes de la communauté.

La population du Yémen est aujourd’hui (2011) à 99 %[13] musulmane.

Pour accéder aux articles associés à ce sujet:

Paul David


[1] « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Chapitre de Jean Marc Liling : « La confiscation des biens juifs en pays arabes ».  (p. 170)

[2] (collectif) « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Témoignage de Lillo Arbid devant le tribunal de Washington. (p. 247 et 250)

[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays

[4] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Frédéric Abécassis et Jean-François Faü: « Le monde musulman : effacement des communautés juives et nouvelles diasporas depuis 1945 ». (p. 823,824).

[5] (collectif) « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Chapitre de Ya Akov Meron.(titre identique à celui du livre)  (p. 123)

[6] http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays

[7] (collectif) « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Chapitre de Jean Marc Liling : « La confiscation des biens juifs en pays arabes ».  (p. 162,163)

[8] http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays

[9] « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Chapitre de Jean Marc Liling : « La confiscation des biens juifs en pays arabes ».  (p. 170 à 172)

[10] (collectif) « L’exclusion des Juifs des pays arabes ». Témoignage d’un juif de Damas. (p. 212,213)

[11] http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays

[12] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Frédéric Abécassis et Jean-François Faü: « Le monde musulman : effacement des communautés juives et nouvelles diasporas depuis 1945 ». (p. 818,819).

[13] http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_musulmans_par_pays