Résumé:

Cette génération est celle des années 1930 à 1950.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 143 associée au psaume 143. C’est dans ce psaume 143 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

Les craintes exprimées à la génération précédente se confirment dès le début de cette génération avec l’arrivée au pouvoir des nazis qui ne cachent pas leurs intentions envers les Juifs, c’est « l’Émergence de la bête ».

Les premières communautés juives confrontées aux armées nazies sont les Ostjuden ou « Juifs de l’Est » qui subissent la première phase de la Shoah, la Shoah par balle. C’est « la fin d’un monde : les Ostjuden ».

A cette première phase « artisanale » d’élimination du judaïsme européen, succède une phase plus « industrielle », c’est le « Judéocide« .

A l’issue de ce génocide, les Ostjuden ne sont pas les seuls à disparaître. C’est aussi « la fin d’un monde : les Westjuden », les Juifs de l’Ouest.

Alors que cette génération est la plus noire de l’exil, elle se termine sur un fait exceptionnellement symbolique: « La résurrection d’un monde : les Juifs en Erets Israël ».

Développement:

Émergence de la bête.

Cette génération qui nous est proche est dans la mémoire collective.

La génération de la Seconde Guerre mondiale.

Pour les Juifs elle est celle de deux événements antagonistes dans son histoire. Le premier : la Shoah soit la tentative de destruction complète des Juifs, tentative malheureusement presque aboutie en Europe. Le second celui de la naissance officielle de l’État d’Israël, soit la renaissance officielle du peuple d’Israël sur sa terre.

Cette génération est ainsi marquée pour les Juifs par la destruction et la renaissance. Comme pour les autres générations, le psalmiste ne manque pas de s’y référencer.

La menace sur le peuple Juif est la plus forte depuis l’exil, la menace d’effacement du peuple Juif est réelle déjà à la fin de la génération précédente de par l’ascension irrésistible au pouvoir d’Hitler dans le pays le plus puissant de l’époque et celui pour lequel l’antisémitisme racial est le plus ancré, celui où les théoriciens de la suprématie de la race aryenne ont pavé la route à l’élimination des races inférieures ou « néfastes ».

Cette génération qui s’initialise avec la prise de pouvoir d’Hitler justifie que ce soit David qui prenne la parole et qui entame le psaume par une prière de clémence craignant une condamnation à mort de son peuple :

  1. Psaume de David. Seigneur, écoute ma prière, prête l’oreille à mes supplications, dans ta fidélité réponds-moi, et dans ta bienveillance :
  2. n’entre pas en jugement avec ton serviteur, car nul vivant ne peut se trouver juste à tes yeux.

Comme l’avait pressenti Theodor Lessing (voir psaume de la génération précédente: 1910 à 1930, psaume 142 : La Déflagration), l’élection de Von Hindenburg est de mauvais augure pour l’Allemagne, pour le monde, pour les Juifs.

Élu en 1925 et réélu en 1932, il porte une responsabilité dans l’échec de la République de Weimar et c’est lui qui permet l’accession « démocratique» d’Hitler au pouvoir en janvier 1933 qui, prenant prétexte de l’incendie du Reichstag, obtient les pleins pouvoirs le 23 mars 1933. La nuit des longs couteaux lui permet de supprimer ses anciens amis les plus gênants des SA. La mort de Hindenburg permet à Hitler le 2 août 1934 de devenir Président du Reich en plus d’en être chancelier.

La dictature nazie a les mains libres.

À l’est, la révolution russe avait mis Lénine au pouvoir. Avant sa mort en 1924, Lénine avait déjà expulsé plusieurs centaines d’intellectuels et mis en place la censure. Après d’habiles manœuvres, Staline lui succède ; il élimine les partis de gauche puis de droite et sacrifie des millions de paysans à sa politique, morts par les armes ou la famine.

Staline impose un régime de terreur avec des purges importantes dans tous les milieux. Face à la dictature nazie, la dictature Stalinienne se construit. Mais contre toute attente, les deux dictateurs n’étant pas prêts pour un affrontement prématuré signent un pacte de non-agression le 23 août 1939.

ADN-ZB/Archiv Sowjetunion, August 1939, Im Moskauer Kreml wird am 23.8.1939 ein Nichtangriffsvertrag zwischen dem deutschen Reich und der UdSSR unterzeichnet. Nach der Unterzeichnung im Gespräch J.W. Stalin und der deutsche Reichsaußenminister Joachim von Ribbentrop (r.).

Pour l’affrontement il faudra attendre juin 1941 avec l’opération Barbarossa, le temps que l’Allemagne nazie fasse ses emplettes en Europe de l’Ouest et en Europe centrale.

Les hostilités à cette génération sont initialisées par le Japon envers la Chine. Face aux effets de la crise de 1929 durement ressentie au Japon, la solution adoptée est l’expansion territoriale.

Avec l’annexion de la Mandchourie, le Japon défie les démocraties qui se montrent incapables de réagir et trace la voie en particulier au pouvoir nazi qui d’avance sait que celles-ci n’entraveront pas ses plans. L’alliance entre la Japon et l’Allemagne est ainsi parfaitement justifiée. L’Allemagne ne tardera pas à tester les démocraties à son tour en particulier avec sa politique envers les Juifs:

  • Dès le printemps[13] 1933, le gouvernement du IIIe Reich promulguait des lois qui excluaient les Juifs de la fonction publique et du barreau et prenait des mesures démagogiquement spectaculaires, telles qu’une journée de boycott des commerces juifs, et les autodafés des livres d’auteurs juifs, sur les places publiques. Mais ce n’est qu’en été 1935, lorsque l’Allemagne et les pays étrangers aussi s’étaient pour ainsi dire accoutumés à l’idée d’une discrimination raciste au centre de l’Europe et que les facultés d’indignation s’étaient émoussées, que Hitler fit édicter les fameuses « lois de Nuremberg », qui instituaient de nouvelles barrières raciales, interdisant sous peine de prison, tant les mariages que les « rapports extra-maritaux » entre Juifs et « sujets de sang allemand ». C’était mettre les Juifs hors la loi. […]
  • En novembre 1938, les autorités du IIIe Reich organisent la fameuse « Nuit de Cristal », une explosion de brutalité contrôlée au cours de laquelle des centaines de magasins appartenant à des Juifs furent démolis et pillés et des dizaines de synagogues incendiées ; en même temps, plus de vingt mille Juifs furent arrêtés et internés dans des camps de concentration. Ainsi s’ouvrait l’ère des violences physiques.

Parallèlement aux tests des nations sur leur passivité vis-à-vis de sa politique antisémite, Hitler teste leur combativité vis-à-vis de ses velléités d’expansion. Il occupe la Rhénanie démilitarisée suite au traité de Versailles en 1936, puis les annexions se succèdent avec la passivité voir la complicité des pays occidentaux.

Malgré cela, la guerre commence le 1er septembre 1939 par l’invasion de la Pologne, qui comprend alors 3 300 000 Juifs, la Russie envahissant sa part du pays. La France et l’Angleterre ont déclaré la guerre le 3 septembre 1939 suite à l’invasion de la Pologne, ce qui démarre ce qui a été dénommé la « drôle de guerre ».

Compiegne 1940, Generaloberst Keitel überreicht die Waffenstillstandsbedingungen

Les Français attendent l’attaque allemande, celle-ci arrive le 10 mai 1940, le front français est rapidement enfoncé. L’armistice est signé le 25 juin.

La fin d’un monde : les Ostjuden.

L’Allemagne domine quasiment toute l’Europe dont les Juifs sont maintenant à sa merci. Toutefois, si leur élimination est planifiée : port de l’étoile jaune, recensement et création de ghettos, celle-ci ne commencera réellement que lors du déclenchement de l’opération Barbarossa en 1941 quand Hitler rompt le traité avec l’URSS et part à sa conquête.

Avec celle-ci de nombreuses et nouvelles communautés juives à découvert et le feu vert pour les massacres.

Avant cette génération, l’Europe, en dehors de la dichotomie Ashkénaze/Sépharade plus trop d’actualité au vingtième siècle comporte principalement deux types de Juifs : les Westjuden et les Ostjuden.

Les Westjuden, Juifs de l’Ouest, qui ont profité de l’émancipation et du progrès, qui en conclusion de leur réussite veulent nombreux s’assimiler comme citoyen de leur pays d’accueil en effaçant autant que possible toute trace de leurs origines juives.

De l’autre, les Ostjuden, Juifs de l’Est qui tout au long du XIXe siècle sont restés dans des contrées où le progrès avait peu d’emprise et où l’émancipation n’était pas d’actualité, ces Juifs sont fiers de leur judaïsme qu’ils pratiquent souvent avec orthodoxie et ne conçoivent pas, pour la plupart un abandon même limité de la religion de leurs pères.

Les terres allemandes, terres d’élection des Westjuden ne sont pas sans attirer dans les générations d’avant-guerre de nombreux Ostjuden de Pologne et de Russie espérant fuir la misère et les brimades antisémites de leurs pays d’origine. La cohabitation entre ces deux mondes juifs n’est pas toujours simple :

  • L’Allemagne[14], réputée pour son industrie mais aussi pour ses traditions culturelles, ses universités et ses grands écrivains, attira un nombre non négligeable de ces « juifs de l’Est » (Ostjuden), qu’ils aient été mineurs, fondeurs, artisans, fourreurs ou étudiants. En 1910, sur une population juive en Allemagne estimée à 614 000 personnes, 79 000 étaient nées en Europe de l’Est. Cette arrivée assez massive compensait la diminution du nombre de juifs allemands due à une faible natalité et à l’émigration. La fin du (XIXe) siècle est marquée dès lors par l’opposition entre juifs de l’Est (Ostjuden) et juifs de l’ouest (Westjuden). « Frères étrangers » (« Brothers as strangers » Steven Ascheim) ou « étrangers importuns » (« Unwelcome strangers » Jack Wertheimer), les juifs de l’est ont effectivement suscité à l’époque une « dynamique de la dissimilation » (Shulamit Volkov) allant jusqu’à certaines formes de la haine de soi juive comme dans le cas célèbre de Walter Rathenau (fils du fondateur d’AEG et homme politique d’importance). […] Ayant lui-même quitté la communauté juive de Charlottenburg en 1895, il enjoignait à ces représentants d’une « barbarie orientale » de s’élever à la hauteur de la culture et de la civilisation allemande. Heine avait déjà dénoncé dans son « De la Pologne » (1822) ce « snobisme », cette « respectabilité » des juifs allemands en cours d’intégration à la bourgeoisie allemande. Longtemps le juif de l’Est fonctionna donc comme un miroir inversé, une antithèse du « juif de l’Ouest » (Westjude), du juif allemand, et incarna tous les aspects du judaïsme (le hassidisme, le mysticisme, le yiddish, le traditionalisme, etc..)

Les efforts des Westjuden pour se démarquer des Ostjuden et ainsi se faire accepter du pays hôte comme un citoyen à part entière seront vains. La vénérée culture allemande rejettera les deux. Les deux mondes, celui du Westjuden et celui du Ostjuden disparaissent à la présente génération.

Les Ostjuden, où juifs de l’est, en particulier les Juifs de Pologne et de Russie, ont subi depuis plusieurs générations les pogroms.

Malgré cela pour la plupart, à l’opposé des Westjuden, principalement représentées par les Juifs de l’espace allemand, sont restés dans l’orthodoxie de la loi juive et, malgré souvent une extrême pauvreté, ne renieraient pour rien au monde leur religion et leur foi.

Ces communautés disparues aujourd’hui sont assez bien synthétisées par Frans Rosenzweig[15], Juif allemand, d’une famille typique dont les membres n’hésitent pas à se convertir au christianisme afin de mieux s’assimiler au Volk (peuple) allemand, lui-même désirant se convertir décide d’aller une dernière fois à la synagogue à l’office de Kippour. À l’issue de l’office (en 1913), il décide de rester juif et redécouvre la richesse du patrimoine juif. En 1918, il découvre la foi des Ostjuden de Pologne :

  • J’ai débarqué[16] dans un stibl (petit lieu de prière) hassidique à l’heure du troisième repas, vers la fin du shabbat. Le manger en tant que tel était, il est vrai, accessoire et presque symbolique (je ne sais si c’est usuel ou dû à la guerre). L’essentiel, c’étaient les chants. Jamais je n’ai entendu quelque chose de pareil. Ces Juifs n’avaient pas besoin d’orgue ! Quel enthousiasme débordant, associant en une même vague enfants et vieillards […] Je n’ai jamais connu non plus un office aussi fervent que celui auquel j’ai assisté là-bas. Comment a-t-on pu parler à ce propos de dégénérescence ?
  • Hier, j’étais à Varsovie. Et c’était de nouveau très beau. J’ai assisté à une représentation de théâtre juif. C’est là certainement le sol duquel peut émerger une littérature véritablement grande. […]
  • Les soldats allemands n’ont pas, au début, su distinguer entre les jeunes filles polonaises et les jeunes filles juives. Ils ont cru possible qu’une juive mente, dans le désir de se faire passer pour polonaise, car ils sont habitués à ce que « leurs » Juifs occidentaux renient leur judaïsme. Mais aucune jeune fille juive de l’Est, fût-elle dépravée, n’y consentirait jamais. Voilà justement la différence essentielle entre le « Juif de l’Est » et le « Juif de l’Ouest », c’est que le premier n’en viendra jamais à ce qui constitue l’attitude normale du second : se renier en tant que Juif […]. Au fond c’est le « petit Juif de l’Est » qui est le véritable aristocrate du judaïsme.

Cette aristocratie du judaïsme, suivant Rosenzweig, disparaîtra. Tous ceux qui se trouveront sous le pouvoir de la botte allemande seront massacrés sans restriction.

Le début du psaume de cette génération qui supplie « n’entre pas en jugement avec ton serviteur » est illustré par les débuts de la guerre et en particulier l’envahissement de la Pologne, dont un des premiers massacres a lieu en 1939 à Rosh Roshana, jour ou traditionnellement les Juifs considèrent qu’ils entrent en jugement auprès de leur créateur qui décide alors de leur sort:

  • La conquête[17] de la Pologne occidentale en septembre 1939 place dans l’orbite nazie deux millions de Juifs, dont une partie importante vit sur des territoires qui deviennent, par leur annexion allemands. Les violences antisémites se déchaînent dès les premiers jours, donnant lieu à des milliers d’exécutions sommaires de Juifs. Ainsi le 13 septembre 1939, jour de Rosh Hashanah (le nouvel an juif), dans la ville de Mielic (à 60 km de Cracovie), des soldats allemands incendient la synagogue et tuent 55 personnes.

C’est le jour de Yom Kippour, autre jour de jugement des Juifs par leur Dieu qu’est commis un autre massacre d’Ostjuden à Babi Yar près de Kiev en septembre 1941 :

  • C’est dans la clairière[18] de Babi Yar, près de Kiev, que les Einsatzgruppen (Commandos de la mort nazis) ont commis, en septembre 1941, l’un de leurs massacres les plus terribles immortalisés après guerre par le poète Evtouchenko. Des affiches placardées dans la capitale ukrainienne par des miliciens invitaient les Juifs à se présenter le 29 septembre, jour du Grand Pardon (Yom Kippour), aux apports du cimetière juif pour être réinstallés ailleurs. Ils devaient apporter leur nourriture, des vêtements chauds, de l’argent ainsi que leurs objets de valeur ; « C’était comme une migration de masse, les Juifs chantaient des hymnes religieux », témoigna plus tard le responsable de l’opération durant son procès.
  • À leur arrivée à l’endroit indiqué, on leur prend tous leurs effets. Ils doivent ensuite remettre leurs papiers, bijoux et argent ainsi que les clés de leurs appartements aux gendarmes. Vêtus de leurs seuls sous-vêtements, femmes, enfants, vieillards et malades sont transportés par camions au bord d’un ravin dans la clairière de Babi Yar. Les autres s’y rendent à pied, flanqués de soldats armés de massues et accompagnés de chiens qui se jettent sur ceux qui tombent en route. Alignés par groupes successifs au bord du ravin, ils sont abattus, les uns après les autres : 33 700 Juifs ont perdu ainsi la vie.

Avant ce massacre consécutif à l’entrée en guerre contre les Russes, la Pologne, terre d’Ostjuden subit dès son envahissement en 1939 un traitement particulier, une ghettoïsation généralisée qui permettra par la suite l’élimination planifiée des Juifs :

  • Dans les semaines[19] qui suivent la victoire allemande sur la Pologne, des mesures drastiques commencent à être promulguées. D’emblée, des « conseils juifs » (Judenräte) sont créés et placés à la tête des communautés, afin de servir d’intermédiaires avec les nazis et faire appliquer les mesures à venir. Peu à peu, les communautés sont enfermées dans des ghettos, dont le premier est ouvert le 8 octobre (1939), dans la ville de Piotrkow. […]
  • Des centaines de communautés juives sont peu à peu enfermées. Après Lodz, dont le tiers de la population était juive à la veille de la guerre et où est mis en place un ghetto en février-mars 1940, c’est à Varsovie le 16 octobre 1940 qu’est donné l’ordre aux Juifs de la ville et des environs de gagner le ghetto. 450 000 personnes (le tiers de la population de la capitale) sont regroupées dans un espace de trois kilomètres carrés, soir moins de 3 % de la superficie de la ville. Cent mille personnes trouvent la mort dans ce ghetto en moins de deux ans en raison des conditions sanitaires et de la malnutrition. C’est ensuite en mars 1941 au tour des villes de Cracovie, Radom et Lublin de voir des ghettos s’établir. Au printemps 1941, la quasi-totalité des Juifs vivant dans l’ancien territoire polonais occupé par les Allemands est ghettoïsée.

Ce traitement particulier est facilité par la volonté des Polonais de se débarrasser de leurs Juifs :

  • La place[20] faite aux Juifs dans la Pologne de l’entre-deux-guerres se réduit chaque jour davantage. La puissante mobilisation nationaliste de l’entre-deux-guerres ira jusqu’à leur contester le droit de résidence. La violence antijuive en Pologne culmine au XXe siècle, d’abord à la fin de 1918, puis dans les années trente et quarante (jusqu’en 1947). La Pologne qui avait été un centre du judaïsme mondial au XVIe siècle, un État sans bûchers largement ouvert aux Juifs, et qui n’avait jamais pratiqué les expulsions médiévales, s’achemine vers une « dé-judaïsation » de son territoire.

Pendants que les Juifs polonais sont parqués pour être éliminés industriellement le moment venu, l’autre territoire des Ostjuden, la Russie, tombe partiellement dans la domination allemande. Ainsi le déclenchement de la guerre contre les Russes et aussi le réel déclenchement de la guerre d’extermination des Juifs d’Europe avec une succession de massacres et bien souvent la complicité active des pays où ils s’y déroulent :

  • Le 22 juin 1941[21], Hitler lance l’opération Barbarossa : 4 000 000 d’hommes, 5 000 avions de combat et plus de 3 000 blindés. En moins de six mois, la Wehrmacht est aux portes de Moscou. Quatre unités mobiles d’Einsatzgruppen (A, B, C et D) d’un millier de SS chacune accompagnent les troupes d’invasion. Elles bénéficient du soutien logistique de l’armée mais sont, en réalité, indépendantes, recevant directement leurs ordres de Himmler et Heydrich. Affectées chacune à un front, le Nord, la Biélorussie, l’Ukraine et la Crimée, elles ont pour mission de massacrer systématiquement les Juifs, les Tziganes et les saboteurs ainsi que les commissaires politiques de l’Armée rouge, les membres du Parti et le personnel administratif soviétique.
  • Plus de deux millions de Juifs tombent en leurs mains entre le 22 juillet et le 22 novembre 1941. N’agissant jamais seuls, les Einsatzgruppen sont aidés par des auxiliaires ukrainiens, croates, lettons et lituaniens, ainsi que par des soldats roumains qui bénéficient d’une totale liberté d’action. Sans attendre d’ordre des Allemands, les hommes du maréchal Antonescu massacrent dès le 25 juin 1941 les 7 000 Juifs de Jassy, en Moldavie, en réaction à un raid aérien soviétique. […]
  • Après avoir enlevé la Bessarabie aux Soviétiques, les Roumains participent avec les SS au massacre des Juifs d’Odessa, 19 000 dans la seule journée du 23 octobre 1941. Ailleurs ce sont les Lituaniens et les Ukrainiens qui sont mis à contribution pour la liquidation des Juifs de Kovno, Lvov, Jitomir, Ouman et Berditchev. Encouragée par la venue des Allemands et le départ des Soviétiques, la population polonaise de la région de Lamza, dans l’est du pays, s’est attaquée pour sa part à une vingtaine de bourgades juives, y commettant les pires atrocités, notamment à Jedwabne. Torturés et rassemblés dans des granges, les 1 600 Juifs de cette localité ont été brûlés vifs sous le regard des soldats allemands. […]
  • La guerre d’Hitler contre les Juifs est alors entrée dans l’une de ses phases les plus meurtrières. Des communautés entières sont décimées par balles dans toute l’aire de l’expansion de l’armée allemande, depuis l’ancienne ligne de démarcation germano-soviétique de 1940 jusqu’au front qui passait à quelques dizaines de kilomètres seulement de Moscou. […]
  • (À Babi Yar, près de Kiev, 33 700 juifs sont exécutés ; 15 000 à Rovno, 27 000 à Riga le 8 décembre, 32 000 juifs de Vilna-Vilnius le 22 décembre).
  • L’extermination des Juifs par balle se poursuit jusqu’au printemps 1943. […]
  • On ne saura jamais le nombre exact des victimes des Einsatzgruppen. Il varie selon les historiens entre un million et un million et demi de morts.

Cet enclenchement de la solution finale avait été annoncé par Hitler de façon explicite :

  • La supériorité[22] des forces de l’Axe paraît invincible. À la fin de 1941, Hitler est maître de la presque totalité du continent européen, mis à part l’Angleterre et quelques États neutres […].
  • Hitler a en apparence toutes les cartes en main. En apparence seulement, car, outre l’entrée en guerre des États-Unis qui a considérablement modifié le rapport des forces, la Wehrmacht éprouve de sérieuses difficultés sur le front de l’Est. Le 1er décembre 1941, l’opération « Typhon » contre Moscou est stoppée. Le « général Hiver » oblige l’armée allemande à improviser face à une armée soviétique revigorée. Dès lors, pour la première fois depuis le début de la guerre, derrière les messages de victoires montées en épingle par la propagande nazie, se cachent des revers militaires bien réels.
  • C’est ce qui conduit le Führer à prendre le commandement suprême de son armée et, dans le même temps, à pousser vers sa phase ultime le processus, déclenché en 1933, de mise à mort totale et collective des Juifs, désignés dans le langage nazi par l’expression codée de « Solution finale ». La fin de la lutte à mort entre Juifs et Aryens, appelée de leurs vœux, depuis des décennies, par les antisémites allemands. N’ayant pas peur des mots, Hitler s’y réfère ouvertement dans son discours au Reichstag le 30 janvier 1942 : « Nul ne devrait douter, déclare-t-il à cette occasion que cette guerre ne peut finir que par l’extermination des peuples aryens ou la disparition de la juiverie d’Europe. »

L’élimination des Juifs dans cette première phase de la guerre d’extermination se fait de façon méthodique :

  • Le soldat[1] chargé d’abattre était assis à l’extrémité de la fosse, ses pieds pendaient dedans ; fumant une cigarette, la mitrailleuse sur les genoux.
  • Quand un camion arrivait, ceux qui étaient dedans – des Juifs, hommes, femmes et enfants de tous âges – devaient se déshabiller et mettre leurs vêtements à des endroits déterminés, triés en grandes piles – chaussures, habits et sous-vêtements.
  • Le SS de la fosse criait à son camarade, et lui, en comptait vingt, maintenant complètement nus, et leur disait de descendre les marches taillées dans le mur d’argile de la fosse : là ils devaient grimper sur la tête des morts jusqu’à l’endroit que montrait le soldat.
  • Une vieille femme avec des cheveux blancs tenait un enfant d’un an environ dans ses bras, elle chantait pour lui et le chatouillait, et l’enfant gazouillait de plaisir ; et un père tenait la main de son petit garçon – l’enfant prêt à fondre en larmes – il parlait à l’enfant doucement, lui caressait la tête et lui montrait le ciel.
  • Les corps furent bientôt entassés dans la grande fosse, étendus les uns sur les autres ; on voyait encore des têtes et du sang qui coulait sur les épaules ; mais certains bougeaient encore, levaient les bras et tournaient la tête.

Les massacres perpétrés lors de la guerre contre les Russes ne sont que le début de la « solution finale ». Celle-ci est officialisée lors de la conférence de Wansee le 20 janvier 1942, où Eichmann confie à Heydrich le soin de l’annoncer officiellement aux dirigeants nazis:

  • Chargé[24] dès son entrée en fonctions d’épurer racialement l’Allemagne, Eichmann s’était attaqué en premier lieu, dès qu’il reçut le feu vert pour les déportations, aux Juifs du territoire « grand-allemand ». […]
  • Au cours de l’automne 1941, Eichmann eut à s’acquitter, entre autres choses, d’une toute autre tâche. La « solution finale » hitlérienne ayant été mise en route, il convenait de mettre au courant, dans les grandes lignes, un certain nombre de ministres et de hauts fonctionnaires. Le chef du IV B 4 (bureau chargé de l’élimination des juifs) eut donc non seulement à préparer le dossier, mais à rédiger l’exposé que Heydrich, le chef de toutes les polices allemandes, voulait faire en personne devant toute cette assemblée. Prévue d’abord pour le 9 décembre, la réunion fut reportée au 20 janvier 1942, en raison de l’attaque de Pearl Harbour, le 7 décembre et de l’entrée en guerre des États-Unis.
  • Heydrich annonça d’abord à ses auditeurs qu’il venait d’être nommé au nouveau poste de « plénipotentiaire pour la préparation de la solution finale du problème des Juifs d’Europe », et qu’il était chargé de « nettoyer l’espace vital allemand de ses Juifs ». Cet espace embrassait l’Europe entière ; le nombre de Juifs s’y élevait, suivant les statisticiens du IV B 4, à onze millions au total. Pour ce qui était du sort qui leur était réservé, il est remarquable que même devant cet auditoire trié sur le volet, Heydrich, tout en révélant qu’ils allaient être exterminés jusqu’au dernier, préférait s’exprimer à demi-mot. À savoir :
  • Dans le cadre de la solution finale du problème, les Juifs doivent être transférés sous bonne escorte à l’Est et y être affectés au service du travail. Formés en colonne de travail, les Juifs valides, hommes d’un côté, femmes de l’autre, seront amenés dans ces territoires pour construire des routes ; il va sans dire qu’une grande partie d’entre eux s’éliminera tout naturellement par son état de déficience physique.
  • Le résidu qui subsisterait en fin de compte – et qu’il faut considérer comme la partie la plus résistante – devra être traitée en conséquence. En effet, l’expérience de l’histoire a montré que, libérée, cette élite naturelle porte en germe les éléments d’une nouvelle renaissance juive.
  • En vue de la réalisation pratique de la solution finale, l’Europe sera balayée d’ouest en est. Les difficultés de logement et d’autres considérations de politique sociale nous ont amenés à commencer par le territoire du Reich, y compris le protectorat de Bohême et de Moravie.

Le déclenchement de la solution finale et, en particulier, sa première phase, l’élimination par balles dans des fossés, est évoqué par le psalmiste dans la suite du psaume de cette génération :

  1. C’est que l’ennemi s’est jeté à ma poursuite, a broyé ma vie sur le sol, me plongeant dans les ténèbres, comme ceux qui, dès longtemps appartiennent à la mort.

La quasi-totalité des Juifs de Pologne sera détruite par les nazis. Les Juifs de Russie paient également un lourd tribut, mais une large partie d’entre eux, ne tombant pas sous la botte allemande, échappe au massacre :

  • À nouveau[25] réunis à ceux des territoires annexés après le pacte germano-soviétique, en 1939-1940 – une partie de la Pologne, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie et la Bessarabie —, les Juifs étaient en URSS environ cinq millions en 1941 lors de l’entrée en guerre. Quelques milliers de nouveaux inclus jugés dangereux furent évacués dans l’intérieur du pays, notamment dans des camps, ce qui, paradoxalement, les sauva. Puis, avec l’occupation par les nazis des territoires occidentaux de l’URSS, l’exode et plus encore une évacuation chaotique firent refluer vers l’est les « éléments utiles » ainsi que les jeunes pouvant être mobilisés, les femmes et les enfants, sans distinction de nationalité contrairement aux affirmations ultérieures du pouvoir soviétique qui prétendit que le sauvetage des Juifs avait été planifié. OR, plus de la moitié des Juifs soviétiques furent pris au piège lors de l’avancée des troupes allemandes. Faute de statistiques par nationalités, on ne dispose que d’estimations sur le nombre de victimes juives soviétiques : il se serait élevé à 2,8 millions, dont plus d’un million en relation directe avec la politique nazie d’extermination.

Si les Juifs russes ne sont pas tous éliminés par le nazisme, l’action laïcisante de l’URSS détruira le judaïsme d’une autre façon contribuant à une extinction du judaïsme des Ostjuden presque aussi efficace dans ce cadre que l’élimination physique.

  • Comme[26] tout le judaïsme d’Europe orientale, le judaïsme russe est resté, face à la laïcisation occidentale du XIXe siècle, un bastion religieux. La révolution d’Octobre transforme radicalement, en quelques années seulement, ces régions privilégiées de la ferveur juive en un désert religieux quasi-total.
  • La Russie d’avant octobre 1917 comptait des dizaines de milliers de synagogues. Vingt années plus tard, on en dénombre difficilement cinquante. Des écoles religieuses juives, il y en avait des milliers, de tous les niveaux, depuis le heder, où l’on apprend les rudiments, jusqu’aux plus célèbres yeshivot. Il n’en subsiste pratiquement aucune trente ans plus tard. Sur les dizaines de milliers de rabbins et adjoints au culte (chantres, circonciseurs, etc..), une dizaine à peine sont encore en fonction en 1935. C’est l’extirpation religieuse la plus complète qui se soit produite un Union soviétique, où les autres cultes, ébranlés eux-aussi, n’ont cependant pas subi une pareille atteinte.

Le judéocide[2].

Les meurtres de masse des Juifs de l’Est pendant l’avancée des armées allemandes ne sont que les prémices de la Solution finale que les nazis veulent appliquer à tous les Juifs d’Europe, et si possible à tous les Juifs de la terre :

  • La tenue[28] de la conférence de Wannsee le 20 janvier 1942 signe la planification technocratique de l’extermination systématique des Juifs, non pas uniquement en Europe mais partout où les nazis pourront s’en saisir. Le compte rendu de la réunion comporte un tableau chiffré des populations juives des pays européens, qui constituent autant d’objectifs. […] Cette répartition illustre les objectifs que se donnent les planificateurs de la « solution finale » ; atteindre tous les Juifs, où qu’ils se trouvent, soit grâce à la conquête (URSS et Angleterre), soit grâce à des tractations et accords avec les alliés et les neutres sur le continent où doit s’étendre l’imperium nazi millénaire. […]
  • À l’été 1942, au plus fort de l’avancée de l’Afrika Korp est mis sur pied un Einsatkommando dont le commandement est confié à Walter Rauff, le créateur des « camions à gaz ». L’objectif est évident : les Juifs d’Égypte, une fois celle-ci conquise, et surtout ceux de Palestine, dont la conquête semble inéluctable tant la marche de Rommel est victorieuse. […] Si la défaite de l’Afrika Korps en Égypte en novembre 1942 empêche le déploiement de l’Einsatkommando de Rauff et met un terme quasi définitif aux objectifs nazis dans le monde arabe, en revanche la brève occupation de la Tunisie, où Rauff et son unité sont finalement déployés en novembre 1942, illustre également les visées meurtrières hors d’Europe. (la brièveté de l’occupation de la Tunisie a probablement empêché le passage au meurtre de masse).
  • La « solution finale » prend toute sa singularité : désormais, chaque Juif vivant dans l’orbite nazie est vouée à mourir. […] L’extermination est largement entamée à l’Est. […] L’ensemble du continent européen est quadrillé et ratissé, tandis que des tractations sont menées avec les pays alliés du Reich pour qu’ils livrent les Juifs sous leur contrôle. […]
  • Les sites de mise à mort qui sont apparus durant les derniers jours de 1941 dans certaines régions afin de liquider une partie des Juifs locaux vont avoir pour mission l’élimination de l’ensemble de la population juive, et d’autres lieux de mort, parfois plus perfectionnés vont venir s’ajouter. Le Yiddishland, là où se trouvent les densités de population juive les plus importantes en Europe, est ainsi jalonné, région par région, de lieux destinés à la destruction des Juifs, des pays baltes au Nord jusqu’à Kiev au Sud. […] Les plus perfectionnés de ces sites sont équipés de structures de gazage homicides, permettant une plus grande efficacité meurtrière. À Kulmhof, les victimes sont tuées par des camions à gaz. Belzec, Treblinka et Sobibor, tous trois dotés de chambres à gaz, constituent les camps de l’Aktion Reinhard, nom donné à l’opération (qui sera déclenchée au printemps 1942). Un quatrième site, Majdanek, qui est par ailleurs un camp de concentration sert de lieu de mise à mort (à la fois par fusillade et gazage) complémentaire. Le dernier site est quant à lui le centre de mise à mort à dimension européenne, à proximité de la ville d’Auschwitz : non loin du camp de concentration de Birkenau (Auschwitz II), deux fermes sont transformées en chambres à gaz. Graduellement, chaque région est peu à peu « vidée », au gré des décisions des planificateurs de Berlin ou des pouvoirs locaux, de ses Juifs, acheminés par convoi ferroviaire, routier ou parfois à pied, en direction de ces lieux de mise à mort. […]
  • Rien n’arrête la machine de mort du IIIe Reich. Ce sont sans doute près de la moitié des victimes de la Shoah qui sont tuées durant l’année 1942, au cours de laquelle 2 700 000 Juifs ont été anéantis (Hilberg). […] La logique du processus de destruction est telle que les corps des victimes, jetés dans des milliers de fosses communes à travers l’Europe, sont à partir de l’été 1942 déterrés et réduits en cendres sous l’égide des SS spécialement affectés à la supervision de cette tâche.

Lorsque les alliés du Reich résistent à l’application de la solution finale ils sont rappelés à l’ordre. Ainsi Hitler fait la leçon à Mussolini via son ambassadeur à Rome en 1943 concernant les juifs italiens de Tunisie pour lesquels Mussolini souhaite qu’ils conservent la protection due aux Italiens :

  • Je vous demande[29] de souligner l’immense danger présenté par les Juifs partout où ils se trouvent. […] Vous pouvez rapporter aux Italiens des exemples de notre propre expérience en soulignant que la Juiverie dans sa totalité est notre plus grand ennemi et l’adversaire le plus résolu de notre cause. Ceci vaut aussi bien pour l’Allemagne que pour l’Italie. C’est pourquoi nous n’acceptons de faire aucune dérogation. Nous considérons les Juifs de nationalité italienne comme Juifs et, en tant que tels, ils tomberont sous le coup de notre législation concernant les Juifs.

Les Juifs dans la tourmente qui essaient d’échapper à la traque nazie sont obligés de se terrer avec toute l’angoisse sur un avenir incertain tel que peut l’exprimer Anne Franck avant que sa cachette soit découverte quelques mois avant la fin de la guerre :

  • Qui nous[3] a imposé cela ? Qui fait de nous, les juifs, une exception parmi tous les autres peuples ? Qui nous a fait tant souffrir jusqu’à présent ? C’est Dieu qui nous a créés ainsi, mais c’est Dieu aussi qui nous élèvera. Si nous supportons toute cette misère et s’il reste toutefois encore des juifs, alors les juifs cesseront d’être des damnés pour devenir des exemples. Et qui sait, peut-être est-ce notre foi qui apprendra au monde, et avec lui à tous les peuples, ce qu’est le bien et est-ce pour cette raison, et cette raison seulement, que nous devons souffrir ? Nous ne pourrons jamais devenir uniquement néerlandais ou uniquement anglais, quel que soit le pays, nous resterons toujours des juifs en plus, nous devrons toujours rester juifs, mais nous voulons aussi le rester. Courage ! Restons conscients de notre tache et nous ne plaignons pas, la fin arrivera. Dieu n’a jamais abandonné notre peuple.
AnneFrankSchoolPhoto

Cette réflexion d’Anne Franck qui malheureusement trouvera la mort en déportation résume bien la réflexion des Juifs ballottés dans les années de guerre qu’ils arrivent à survivre ou non.

Cette appréhension devant la folie nazie est exprimée dans la suite du psaume de cette génération :

  1. Mon esprit tombe en défaillance en moi, en mon sein mon cœur est frappé de stupeur.
  2. J’évoque le souvenir des jours antiques, je pense à l’ensemble de tes actes, et médite sur l’œuvre de tes mains.
  3. Je tends les mains vers toi ; mon âme, telle une telle aride, (a soif) de toi, Sélah !

Cette foi en Dieu est même exprimée alors que la mort ne fait plus de doute :

  • Bien que[4] dans tous les camps se trouvent des faibles et des délateurs, qu’on appelle les « kapos », l’énergie de la plupart des prisonniers force l’admiration. Une volonté surhumaine de survivre anime les déportés, une espérance jaillit au plus profond de l’enfer. Le symbole en est ce chant de la tradition juive que, dit-on, les déportés ont sur lèvres en allant à la mort, « Ani maamin » : « Je crois en la venue du Messie, et même s’il tarde à venir, chaque jour qui passe je l’attends. »

Lorsque la mort arrive, les Juifs proclament la profession de foi juive comme l’atteste un témoignage d’Élie Rosenberg, un survivant de « l’équipe des cadavres » qui décrit les derniers instants d’un convoi de Juifs déportés à Treblinka:

  • Des SS[5] avec des chiens, cravache et baïonnette à la main, se tenaient le long de la Himmelsstrasse (« voie du ciel »). Les Juifs marchaient en silence. Ils ne savaient pas où ils allaient. À l’entrée des chambres à gaz, il y avait deux Ukrainiens ; l’un s’appelait Ivan et l’autre Nicolaï. Ce sont eux qui donnaient les gaz. Le gaz provenait d’un moteur. On y mettait quelque chose comme du pétrole ou du mazout. Les derniers arrivés aux chambres à gaz recevaient des coups de baïonnette ; parce que les premiers voyaient déjà ce qui se passait à l’intérieur et ne voulaient pas entrer. Quatre cents personnes pouvaient entrer dans cette chambre à gaz. C’est tout juste si l’on arrivait à fermer la porte extérieure de la chambre. Lorsqu’on les enfermait, nous nous trouvions de l’autre côté. À ce moment, nous entendions seulement les cris de « Chema Israël » (« Écoute Israël », titre de la plus sacrée des prières juives), « Papa », « Maman ». Au bout de trente-cinq minutes, ils étaient morts. Deux allemands se tenaient là et ils écoutaient ce qui se passait à l’intérieur. Ensuite, ils disaient « Tout dort… »

Si l’enfer a existé sur terre, alors il a sûrement pris place à Auschwitz. Pourtant au milieu de l’horreur, les Juifs du camp fêtent tous ensemble la nouvelle année qui s’annonce défiant ainsi les prévisions d’anéantissement des nazis, comme en témoigne Elie Wiesel :

  • La veille[6] de Rosh Hashana, dernier jour de cette année maudite (5704, 17 septembre 1944), tout le camp (Auschwitz) était électrisé par la tension qui régnait dans les cœurs. […]
  • Sur la place d’appel, entourés de barbelés électrifiés, des milliers de Juifs silencieux se sont rassemblés, le visage décomposé […]
  • Dix mille hommes étaient venus assister à l’office solennel, chefs de blocs, kapos, fonctionnaires de la mort.
  • Bénissez l’Éternel…
  • La voix de l’officiant venait de se faire entendre. Je crus d’abord que c’était le vent.
  • Béni soit le Nom de l’Éternel !
  • Des milliers de bouches répétaient la bénédiction, se prosternaient comme des arbres dans la tempête.
  • Béni soit le Nom de l’Éternel !
  • Pourquoi, mais pourquoi Le bénirais-je ? Toutes mes fibres se révoltaient. Parce qu’il avait fait brûler des milliers d’enfants dans ses fosses ? Parce qu’il faisait fonctionner six crématoires jour et nuit, les jours de Sabbat et les jours de fête ? Parce que sans Sa Grande Puissance Il avait créé Auschwitz, Birkenau, Buna et tant d’usines de la mort ? Comment Lui dirais-je « Béni Sois-Tu, l’Éternel, Maître de l’Univers, qui nous a élus parmi les peuples pour être torturés jour et nuit, pour voir nos pères, nos mères, nos frères finir au crématoire ? Loué soit Ton Saint Nom, Toi qui nous as choisis pour être égorgés sur Ton autel » ?
  • J’entendais la voix de l’officiant s’élever puissante et brisée à la fois, au milieu des larmes, des sanglots, des soupirs de toute l’assistance :
  • Toute la Terre et l’Univers sont à Dieu !
  • Il s’arrêtait à chaque instant, comme s’il n’avait pas la force de retrouver sous les mots leur contenu. La mélodie s’étranglait dans sa gorge […]
  • L’office s’acheva par le Kaddish. Chacun disait Kaddish sur ses parents, sur ses enfants, sur ses frères et sur soi-même.
  • Un long moment nous restâmes sur la place de l’appel. Personne n’osait s’arracher à ce mirage.

Cette action ultime des Juifs au sein de l’enfer d’Auschwitz est illustrée par la suite du psaume de cette génération :

  1. Sans retard exauce-moi, ô Seigneur, mon esprit se consume, ne me dérobe point ta face, sinon je ressemblerais à ceux qui descendent dans la tombe.
    • L’esprit qui se consume est une métaphore illustrant bien l’élimination des Juifs dans les camps où les corps encore chauds sont incinérés dans les fours crématoires.
    • Si la puissance nazie n’est pas contrecarrée, les Juifs seront anéantis, c’est ce qu’exprime la fin du verset.

La prière du psalmiste est entendue, l’Allemagne est vaincue ne pouvant atteindre son but dans l’élimination du judaïsme et des Juifs en Europe et dans le monde. La saignée dans le judaïsme européen ne pourra être guérie:

  • La défaite[34] du Reich en mai (1945) scelle la fin de la « solution finale ». Mais dans les semaines et les mois qui suivent, des milliers de Juifs continuent de mourir après leur libération des camps en raison de leur état.
  • Le judaïsme européen a alors été liquidé et le monde juif irrémédiablement défiguré. Seules subsistent en Europe des communautés juives aux frontières de ce que fut l’empire nazi : en France où les trois quarts de la population juive métropolitaine ont échappé à la mort, en en URSS, où trois millions de Juifs ont pu survivre au-delà de l’espace occupé par les troupes de l’axe. Entre ces deux pays, là où s’était épanoui et développé durant des siècles le Yiddishland, ce n’est plus qu’un espace béant, où les quelques dizaines de milliers de Juifs polonais, baltes, roumains ou ukrainiens qui ont réussi à survivre ne trouvent plus à leur retour que la désolation, quand ce n’est pas l’hostilité ou la violence des populations locales. Les trois Jérusalem d’Europe, Vilnius, Amsterdam et Salonique, n’existent plus. Les civilisations et cultures qu’elles symbolisaient ont été détruites à jamais. Le judéo-espagnol et le yiddish, langues des Juifs sont morts. La plupart des traces mêmes de l’existence des Juifs ont été rasées, anéanties à jamais : synagogues, cimetières, bâtiments de tous types ont été méticuleusement détruits, de Vilnius et ses 105 synagogues à Salonique, où se trouvait le plus grand cimetière juif d’Europe.

La fin d’un monde : les Westjuden.

Les Westjuden sont les Juifs de la sphère allemande, ceux de l’Allemagne et de l’ex empire Austro-hongrois, que l’on peut résumer en quatre grandes métropoles aux communautés juives florissantes avant-guerre : Berlin, Vienne, Prague et Budapest.

Contrairement aux Ostjuden sur lesquels les troupes nazies sont tombées sans leur laisser de possibilités réelles de fuite, de nombreux Westjuden en contact direct avec le pouvoir nazi dès son accession en subirent les premières brimades et purent chercher leur salut en s’expatriant.

Ainsi de nombreux Juifs allemands trouvèrent refuge en terre d’Israël dans les années 1930 lorsque l’émigration était encore possible voire encouragée par le pouvoir nazi.

Les sionistes « westjuden », avant la montée du nazisme, avaient milité pour un foyer Juif en Palestine afin d’orienter les flux migratoires d’Ostjuden vers la Palestine plutôt que de leur faire de l’ombre en choisissant les territoires allemands. Par une ironie de l’histoire, ils durent nombreux se résoudre à émigrer en Palestine y apportant d’ailleurs des forces nouvelles non négligeables:

  • Au début[35], les sionistes proclamaient avec orgueil leur enracinement dans la civilisation occidentale et dans la culture allemande ; la création d’un État juif en Palestine leur semblait une perspective valable pour les Ostjuden opprimés et persécutés de l’empire tsariste, non pas pour les Juifs allemands.

Mon père qui est né en Tunisie en 1913 m’avait raconté que des émissaires allemands de l’agence juive étaient venus en Tunisie avant guerre pour trouver des volontaires au départ pour la Palestine. Lorsqu’on leur demandait pourquoi eux n’émigraient pas, ils répondirent qu’eux étaient allemands avant tout et que pour eux leur pays et leur avenir étaient l’Allemagne…

Hannah Arendt fait partie des Westjuden ayant réussi à s’extirper du piège nazi. Toutefois elle ne dut son salut qu’à sa notoriété, en effet internée en 1941 en France après sa fuite de l’Allemagne nazie, elle fait partie des élites juives allemandes que les États Unis ont bien voulu s’approprier laissant les anonymes à leur funeste sort. Après guerre, elle fait remonter au début de l’émancipation l’erreur des Juifs allemands :

  • Lors d’une[36] conférence sur Theodor Lessing, tenue en Allemagne après la guerre, […] à propos du passage célèbre de Nathan le Sage, dans lequel ce dernier, sommé par les mots « Approche-toi, Juif », répondait « Je suis un homme », Hannah Arendt n’hésitait pas à affirmer que cette conduite lui apparaissait comme une fuite de la réalité et que, pendant toute la période des persécutions antisémites, elle n’aurait pu répondre à la question « qui êtes vous ? » que par le simple mot : « Une Juive ».

L’avènement du nazisme représente la catastrophe que l’on sait pour le judaïsme européen, il matérialise aussi l’échec des Juifs allemands à se faire accepter comme des citoyens normaux. Contrairement aux Ostjuden, nombreux sont ceux qui n’ont pas hésité à abandonner la religion de leurs pères pour tenter de se faire accepter, mais cela a été vain. Ils ne furent plus Juifs mais ne devinrent pas allemands, ils naviguaient entre deux mondes sans appartenir à aucun d’eux.

En France la déclaration des droits de l’homme permit aux Juifs de vivre en citoyen à part entière sans nécessité de renier leur foi, ce n’était pas le cas en Allemagne ou le ticket d’entrée dans la germanité nécessitait la conversion au christianisme comme le déclarait Heinrich Heine, sans que le ticket d’entrée d’ailleurs soit réellement valide.

Si la Révolution française a permis la contagion en Europe de l’émancipation des Juifs, ceux-ci en terres allemandes ont perdu leur identité et leurs racines sans pouvoir s’approprier celles du peuple hôte. Petit à petit le Westjuden est devenu une Juif sans Dieu :

  • (L’émancipation des Juifs en terres allemandes) est dans[37] une large mesure une conséquence de la Révolution française et de ses répercussions en Europe sous Napoléon plutôt que le résultat d’un développement endogène. L’Aufklärung allemande – de Gothold Ephraïm Lessing à Wilhelm von Dohm – n’avait pas forgé l’idée d’émancipation mais celle de « tolérance », comme l’indiquait l’édit promulgué par l’empereur habsbourgeois Joseph II en 1781, ensuite, le modèle français s’imposa et l’intégration des Juifs dans la nation fut conçue et réalisée comme une mesure concernant les individus plutôt que la communauté. L’octroi des droits civiques devait permettre aux Juifs d’abandonner leurs spécificités culturelles ; en perspective, ils auraient dû s’affranchir de la judéité elle-même. Lentement émoussée, la conséquence fut l’assimilation des Juifs comme individus et la préservation de la judéité, non plus définie par la religion mais plutôt transformée en « qualité psychologique ». Prenait ainsi forme une figure nouvelle, celle du « Juif non juif » ou du « Juif sans Dieu » (gottloser Jude).

En fait comme le remarque Hanna Arendt, les Juifs allemands ont fait le mauvais choix dès le départ de l’Aufklärung en voulant être des Allemands « normaux », ils ont de fait abandonné leur spécificité et leurs racines juives sans finalement se faire accepter comme allemand. À l’image d’Hannah Arendt ils devinrent apatrides chez eux et sans racines.

Après la Révolution française, l’invasion napoléonienne a réveillé au sein des terres allemandes conquises un sentiment national fort centré autour de la notion de peuple (volk) et surtout autour de la notion de race, la race aryenne qui lentement mais sûrement mènera à la catastrophe du vingtième siècle.

Si les Juifs ne furent pas les seuls à souffrir de la Seconde Guerre mondiale, ils sont les seuls dont la présence souvent millénaire a été effacée durablement d’Europe que ce soit à l’Est ou à l’Ouest :

  • En quatre ans[38] à peine, le nazisme a entièrement exterminé le monde juif d’Europe orientale : la yiddishkeit, qui désormais ne survit plus que dans les tableaux de Chagall, les romans d’Isaac Bashevis Singer et les photos de Roman Vishniac. Dans la Mitteleuropa, il s’était acharné dès 1933 à détruire la culture judéo-allemande créée depuis un siècle d’émancipation. La signification de cette perte énorme pour l’humanité est bien évoquée par Michel Lôwy dans une image allégorique saisissante : « Cette culture judéo-allemande, produit d’une synthèse spirituelle unique en son genre qui a donné au monde Heine et Marx, Freud et Kafka, Ernst Bloch et Walter Benjamin, nous apparaît aujourd’hui comme un monde disparu, un continent effacé de l’histoire, une Atlantide engloutie sous l’océan avec ses palais, ses temples et ses monuments. » Les cimetières juifs abandonnés de Berlin, Prague, Vilnius ou Varsovie nous rappellent un monde qui n’existe plus, mais qui était encore vivant et porteur d’une immense richesse humaine et culturelle il y a soixante ans (écrit avant 1992) ; un monde qui n’a pas été lentement absorbé par les transformations inéluctables de la société, mais qui a été tué lorsqu’il était encore en plein essor.

C’est un peu tardivement que les Westjuden perçurent la valeur de l’héritage qu’ils avaient abandonné en finissant par découvrir le monde de leurs coreligionnaires de l’Est :

  • C’est[39] durant la guerre de 14-18 que de nombreux jeunes soldats juifs allemands engagés sur le front de l’Est furent confrontés aux communautés traditionnelles de l’Europe de l’Est. Le juriste et journaliste Sammy Gronemann, le dessinateur Hermann Struck, le romancier et essayiste Arnold Zweig, mais aussi le philosophe Franz Rosenzweig, découvrirent à Lemberg (Lvov), Kovno ou Vilna, la solidarité juive face au dénuement extrême, la magie du shabbat, l’enthousiasme des juifs de l’Est pour la culture allemande et la culture en général, un élan vital qui les charma et les marqua durablement. Dans son ensemble, cette expérience du monde juif d’Europe de l’Est est une des origines de la « renaissance de la culture juive sous Weimar » (Michael Brenner) comme un ample mouvement qui toucha aussi bien la vie scientifique (ethnologie, traditions populaires), les arts du spectacle (théâtre yiddish), la vie musicale ou littéraire.

666, le nombre de la bête

Si 1790 est l’initialisation de l’émancipation des Juifs d’Europe et est donc un événement positif en soi, c’est aussi le lancement du compte à rebours de la construction de la solution finale qui s’initialise déjà de façon sournoise par le réveil des sentiments nationaux en terres allemandes.

Dans le comptage classique du calendrier Juif, l’année 1790 est l’année 5550 soit la 6e décennie du 6e siècle du 6e millénaire. Ce qui nous donne 666 qui est le chiffre de la bête dans l’Apocalypse :

  • C’est le moment[40] d’avoir du discernement ; celui qui a de l’intelligence, qu’il interprète le chiffre de la bête car c’est un chiffre d’homme : et son chiffre est six cent soixante-six.

C’est bien une œuvre du diable, si celui-ci existait, de faire produire à un événement positif des retombées négatives.

Depuis près de deux millénaires, les Juifs aspirent à sortir de leur vie de paria et à vivre normalement au sein des peuples. 1790 semble être l’aboutissement de ces vœux, et les Juifs d’Europe pendant près de deux siècles œuvreront pour être des vrais européens.

Mais pendant ce temps, pendant qu’ils rêvent de devenir des citoyens « normaux », ils ne feront que nourrir la bête qui attend simplement d’être assez grasse et forte pour pouvoir dévorer définitivement les Juifs qui pensent la dompter. À cette génération, la bête a atteint la maturité suffisante.

Ainsi tel un agneau sans défense, les Juifs seront donnés en pâture à la bête, la bête immonde telle qu’elle fut nommée plus tard.

Tels des agneaux, les Juifs étaient désarmés et sans défense. Un même SS, serviteur de la bête, pouvait abattre dans la même journée d’une balle dans la tête plusieurs centaines de Juifs, hommes, femmes, enfants vieillards sans être lui-même en quelconque danger.

Le leurre de la symbiose judéo-allemande

Pourquoi, l’agneau côtoya la bête ? En fait la symbiose judéo-allemande n’a toujours été qu’un leurre :

  • Ce que les Juifs[41] ont essayé de mettre en valeur comme une symbiose créative et fructueuse, apparaissait souvent aux Allemands (et notamment à un secteur important de l’intelligentsia) comme l’intrusion d’un élément étranger – d’un parasite dangereux – au sein de leur nation et de leur culture.

Le dialogue judéo-allemand n’a jamais réellement existé :

  • Dans un essai célèbre[42], le grand historien de la Kabbale Gershom Scholem a nié l’existence même d’un dialogue judéo-allemand qui, à son avis, « est mort à sa naissance même et n’a jamais eu lieu », car les Juifs furent toujours perçus comme des éléments étrangers à la nation allemande et, en dépit de leur volonté d’assimilation, ne réussirent à aucun moment à s’y intégrer. Après avoir abandonné la perspective d’une « totalité juive », la seule prémisse possible d’un dialogue, la rencontre des Juifs avec la culture allemande se transforma en réalité à la fois en une auto-négation et en une sorte de monologue : « Je nie qu’il ait jamais existé un dialogue judéo-allemand d’une quelconque authenticité, c’est-à-dire qu’il ait eu une réalité historique. Pour entrer en dialogue, il faut deux interlocuteurs, qui s’écoutent mutuellement, qui sont prêts à percevoir l’autre tel qu’il est et pour ce qu’il représente, et à lui répondre. Rien ne peut être plus fallacieux que d’appliquer un tel concept aux discussions entre Allemands et Juifs pendant les deux cents dernières années. » Par conséquent, conclut Scholem, lorsqu’on se pose la question de savoir « à qui donc les Juifs s’adressaient-ils dans ce dialogue judéo-allemand dont on a tant parlé ? » sa réponse est nette : « Ils se parlaient à eux-mêmes, pour ne pas dire qu’ils s’assourdissaient eux-mêmes… Quand ils croyaient parler aux Allemands, ils se parlaient à eux-mêmes ».

La république de Weimar

Malgré tout, la coexistence judéo-allemande a défaut d’être une symbiose a permis une créativité juive sans précédent :

  • Sans[43] se complaire aux spéculations métaphysiques, on peut légitimement rapprocher les Allemands des Juifs sous le rapport du dynamisme intellectuel et de l’efficacité pratique ; mais surtout, on peut constater qu’aux temps modernes, « l’apport juif à la culture » a été surtout un apport des Juifs austro-allemands, bien qu’ils ne constituaient qu’un dixième à peine de la population juive mondiale. À la triade Marx-Freud-Einstein, qui domine encore notre culture contemporaine, le lecteur pourra facilement ajouter d’autres noms de son choix, et l’on peut supposer en effet qu’une certaine tension ou relation spécifique, dont le mode d’action est obscur, fut pour quelque chose dans cette floraison de génies.

La symbiose Judéo-allemande n’a pas eu lieu, mais la république de Weimar (1918-1933 et surtout 1923-1929) a été un laboratoire qui a montré ce qui aurait pu être le monde si elle avait été réellement mise en œuvre:

  • L’époque[44] de Weimar, dans le domaine de la culture, de l’éducation, des sciences, des arts, par des brusques surgissements et des chutes brutales, est vraiment une « grande époque ». Non pas que l’Empire Wilhelmien eût été un temps de censure tatillonne et de répression, mais le respect des valeurs officielles et convenues n’avait alors que rarement besoin d’en appeler à la loi. À la justice ou à leurs représentants. L’écroulement des trônes, les terribles pertes de prestige subies par les autorités et par l’autorité, la violence et la contre-violence vécues au quotidien : les barrières qui tombent, celles du dehors et celles du dedans, la république, la démocratie, la découverte des profondeurs de l’inconscient, les bouleversements de la société et de la technique, créent ou dégagent de formidables potentiels de protestations, de refus et de création, et cela non seulement dans le camp du déchaînement, mais aussi chez les défenseurs des ordres traditionnels, des règles et des formes. La contre-révolution a ses génies, aussi bien, ou mal, que la révolution, et beaucoup de penseurs et d’artistes, jeunes et moins jeunes, oscillent entre l’une et l’autre, tour à tour attirés et repoussés par des excès contraires, certes, mais en même temps complémentaires. La provocation, de ce temps, a encore de beaux jours à vivre qui, aujourd’hui, ne fait plus guère froncer les sourcils. Expressionnisme littéraire et pictural, cubisme, musique atonique ou dodécaphonique, dadaïsme, surréalisme, philosophie existentialiste, renaissance religieuse dans des théologies personnalistes soulèvent des adhésions et font naître des aversions passionnées, suscitent des débats interminables. Le film est soudain promu à la dignité d’art, et bientôt d’art suprême, avec des « stars » qui brillent pour les masses et non seulement pour les élites ; le Bauhaus, école d’élaboration d’un style de vie rigoureux et dépouillé, coexiste avec les foisonnements luxuriants et choquants des boîtes de nuit berlinoises. Einstein, sublime charlot d’une science qui reste une morale, et de véritables cohortes de prix Nobel font briller une gloire pacifique. […] Rivale de Paris en plus jeune, plus ardente, Berlin est aux yeux des uns la nouvelle Jérusalem des arts, pour les autres, la nouvelle Sodome de toutes les perditions. Persécutés, exilés (ceux qui partirent tôt ou eurent une chance tardive), massacrés dans les camps de concentration, gazés à Auschwitz, les créateurs et les imitateurs, les purs et les spéculateurs furent nombreux à payer cher ces quelques années d’exaltation. Beaucoup étaient juifs ; les libertés et les licences de l’ère weimarienne achevaient une émancipation qui, parfois, apparaissait à la fois provocatrice et essoufflée, mais qui portait en elle la belle impatience des limites, l’inquiétude devant les menaces, hélas que trop réelles, d’un retour oppressif et hypertrophié de l’ordre.

La crise de 1929 marque la fin de la récréation weimarienne et le dur retour à la réalité de l’histoire:

  • Quand se nouent les cordes de la tragédie, le spectateur, qui connaît l’issue fatale, se surprend à espérer contre toute raison. Déjà en 1914, si cet empereur un peu trop porté sur la grandiloquence, ce président un peu trop notaire, ce tsar stupide mais brave homme s’étaient soudain réunis entre honnêtes gens pour empêcher le monde de rouler dans l’abîme… Mais, non, encore une fois, dès 1929, les cinq années de calme et de prospérité qui avaient été accordés à la République de Weimar touchent à leur fin.

Bien que cette triade Marx-Freud-Einstein (évoquée dans la citation précédente de Poliakov) ait bouleversé notre vision du monde, la parenthèse Weimar se termine, elle n’engendre pas l’euphorie coté allemand surtout avec l’avènement du nazisme:

  • Dès avril 1933[45], les SA ont carte blanche pour s’en prendre aux magasins juifs, cependant qu’un décret interdit aux Juifs les emplois de fonctionnaires. En mai, à Berlin, des étudiants jettent dans un immense brasier les œuvres de Freud et Marx…

De même pour l’œuvre d’Einstein :

  • En 1920[46], une véritable campagne anti-Einstein voit le jour. Un certain Paul Weyland organise une manifestation anti-relativiste le 24 août 1920. […] Un de ses mécènes n’est autre que l’industriel Henry Ford. Weyland a bien préparé son meeting anti-Einstein, et s’est constitué d’une petite troupe de choc dont les cautions scientifiques sont les physiciens Ernst Gehrcke et Philipp Lenard. Le premier a la réputation d’être un bon physicien expérimental mais s’avère incapable de comprendre les constructions théoriques d’Einstein. Quand à Philipp Lenard (qui n’a pas participé au meeting), c’est un physicien de premier ordre qui a reçu le prix Nobel […] qui deviendra le conseiller scientifique d’Hitler. Il voit la « science allemande » comme antinomique avec la « science juive ». Dans « Deutsche Physik », il écrit : « La science, comme tout ce que produit l’homme, est racialement déterminée, déterminée par le sang ». Lenard est obsédé par Einstein et distille sa haine avec générosité considérant que, pour caractériser sommairement la physique juive, « il suffit de rappeler les activités de son représentant le plus remarquable, le Juif pur-sang A. Einstein. Ses « théories de relativité » voulaient transformer et dominer la physique en son entier ; mais, face à la réalité, leur inanité s’est déjà révélée entière… ».

La triade Marx-Freud-Einstein: Karl Marx

Marx, Freud et Einstein représentent trois générations de Juifs et trois types de Juifs différents ayant chacun des rapports différents avec le judaïsme.

Karl Marx qui est né en 1818 et baptisé à sept ans suivant le désir de son père est le prototype de la « haine de soi » décrite par Theodor Lessing :

  • Le déchirement[47] du Juif émancipé (face à l’antisémitisme) tend désormais à porter sur lui-même le jugement de la société majoritaire chrétienne, à se voir tel que les autres le voient. S’il se surestime parfois, plus souvent, il se met en accusation, et les deux attitudes vont facilement de pair. « Le patriotisme des Juifs consiste dans la haine de soi-même », constatait le philosophe juif Theodor Lessing. […] Les principales figures de proue juives des premières générations post-émancipatrices se complaisaient le plus souvent dans un antisémitisme de surenchère, qu’elles se soient réclamées de la religion chrétienne – tel un Friedrich Stahl – ou de l’irréligion – tel un Karl Marx -.

Ainsi que :

  • « La Question juive » fut rédigée[48] par Marx au cours de l’hiver 1843-1844, pour une partie à Kreuznach, pour un autre à Paris ; elle date de l’année décisive de sa vie, celle de son mariage, de son exil et de sa conversion au communisme. […] Rejeton d’une lignée de rabbins, il est loisible d’admettre un second objectif (le premier consistant à critiquer une société bourgeoise identifiée au judaïsme), un objectif plus secret […] : en identifiant le judaïsme à cette société (bourgeoise), en transformant magiquement tous les autres Juifs en hommes d’argent, ce juif désargenté, converti à l’âge de sept ans, n’aurait-il pas inconsciemment cherché à prendre ses distances par rapport au judaïsme, à produire son certificat de non-judaïté, à exhiber un alibi auquel, surtout à l’époque, aspiraient vainement tant de ses congénères ?
  • […] Un coup d’œil sur la correspondance de Karl Marx suffit pour nous apprendre qu’il se complaisait à des pointes antisémites jusqu’à la fin de ses jours. À noter qu’il appliquait l’épithète de « juif » qu’aux autres, jamais à lui-même:
  • « Le Juif Steinthal, au sourire mielleux… » (1857) ;
  • « L’auteur, ce cochon de journaliste berlinois, est un Juif du nom de Meier… » (1860)
  • « Ramsgate est plein de poux et de Juifs » (1879)
  • Son médecin est qualifié de Juif parce qu’il est pressé de se faire payer (1854). Pire encore, si le Juif est banquier : Bamberger fait partie « de la synagogue boursière de Paris », Fould est un « Juif de bourse », Oppenheim est « le Juif Süss d’Égypte ». Quant à Lasalle, « la forme de sa tête et de ses cheveux montre qu’il descend des Nègres qui se sont joints à la troupe de Moïse, lors de l’exode d’Égypte », ou bien il est « le plus barbare de tous les youpins de Pologne », ou encore il est Lazare le lépreux, qui est à son tour « le type primitif du Juif ».

La triade Marx-Freud-Einstein: Sigmund Freud

Freud né en 1856 est un Juif qui assume son judaïsme même si sa foi est limitée :

  • La période[49] durant laquelle les libéraux dominent la vie politique autrichienne à partir des années 1860, est aussi l’âge d’or de l’intégration des Juifs dans la société et la culture viennoise. […]
  • A Vienne se vérifie le cruel paradoxe de l’époque contemporaine : ayant fondé leur émancipation, leur intégration, leur ascension sociale sur les idées modernes, incarnant l’idée même de modernité, adhérant à l’idéologie « supranationale » de la monarchie habsbourgeoise soucieuse de préserver la cohésion d’un ensemble éminemment international, les Juifs viennois seront les premières cibles des nouveaux courants nationalistes, populistes et hostiles à la modernisation économique, sociale et culturelle. L’émergence d’un antisémitisme politique d’un type nouveau, dans les années 1880, permet de parler, deux décennies plus tard, d’un nouveau code antisémite dans toutes les sphères de la société. […]
  • Désormais l’optimisme libéral des années 1860 est brisé. Les réactions juives à l’antisémitisme sont extrêmement diverses : de « l’hyper-assimilationnisme » autodestructeur d’Otto Weininger au sionisme de Theodor Herzl ; de l’esthétisme de Richard Beer-Hofmann à la critique de l’esthétisme et de la corruption des médias de masse chez Karl Krauss ; des déchirements post-wagnériens de Gustav Mahler à la mise à nu des dissonances chez Arnold Schönberg. Dans le cas de Sigmund Freud, on peut parler d’une invention à nouveaux frais de l’identité juive, résolument non orthodoxe, mais inspiré par « l’homme Moïse », congédiant toute identité nationale, refusant la position sioniste et définissant un nouvel idéal éthique et scientifique.

Freud né en 1856 est un Juif qui assume son judaïsme même si sa foi est limitée :

  • La période[49] durant laquelle les libéraux dominent la vie politique autrichienne à partir des années 1860, est aussi l’âge d’or de l’intégration des Juifs dans la société et la culture viennoise. […]
  • A Vienne se vérifie le cruel paradoxe de l’époque contemporaine : ayant fondé leur émancipation, leur intégration, leur ascension sociale sur les idées modernes, incarnant l’idée même de modernité, adhérant à l’idéologie « supranationale » de la monarchie habsbourgeoise soucieuse de préserver la cohésion d’un ensemble éminemment international, les Juifs viennois seront les premières cibles des nouveaux courants nationalistes, populistes et hostiles à la modernisation économique, sociale et culturelle. L’émergence d’un antisémitisme politique d’un type nouveau, dans les années 1880, permet de parler, deux décennies plus tard, d’un nouveau code antisémite dans toutes les sphères de la société. […]
  • Désormais l’optimisme libéral des années 1860 est brisé. Les réactions juives à l’antisémitisme sont extrêmement diverses : de « l’hyper-assimilationnisme » autodestructeur d’Otto Weininger au sionisme de Theodor Herzl ; de l’esthétisme de Richard Beer-Hofmann à la critique de l’esthétisme et de la corruption des médias de masse chez Karl Krauss ; des déchirements post-wagnériens de Gustav Mahler à la mise à nu des dissonances chez Arnold Schönberg. Dans le cas de Sigmund Freud, on peut parler d’une invention à nouveaux frais de l’identité juive, résolument non orthodoxe, mais inspiré par « l’homme Moïse », congédiant toute identité nationale, refusant la position sioniste et définissant un nouvel idéal éthique et scientifique.

Ainsi que :

  • Dans sa lettre du 6 mai 1926 aux membres de l’association B’nai B’rith, Freud reprend la citation de « l’Ennemi du peuple » de Henrik Ibsen évoquant la « majorité compacte » dont il se sentait tenu à l’écart :
  • La communication[50] de mes découvertes déplaisantes avait eu pour résultat de me faire perdre, à cette époque [en 1897, au moment de l’adhésion de Freux au B’nai B’rith], la plupart de mes relations personnelles ; je me sentais une sorte de hors-la-loi, rejeté par tous. Cet isolement fit naître en moi le désir ardent de découvrir un cercle d’hommes choisis, d’esprit élevé, qui voudraient bien m’accueillir avec amitié, en dépit de ma témérité. […] Le fait que vous soyez juifs ne pouvait que me plaire car j’étais moi-même juif, et le nier m’a toujours semblé non seulement indigne, mais aussi franchement insensé. Ce qui me rattachait au judaïsme n’était pas la foi – je dois l’avouer – ni même l’orgueil national car j’ai toujours été incroyant, j’ai été élevé sans religion, mais non sans le respect de ce que l’on appelle les exigences « éthiques » de la civilisation. Chaque fois que j’ai éprouvé des sentiments d’exaltation nationale, je me suis efforcé de les réprimer comme funestes et injustes, averti et effrayé que j’étais par l’exemple des peuples parmi lesquels nous vivons, nous autres Juifs. Mais il restait assez de choses capables de rendre irrésistible l’attrait du judaïsme et des Juifs, beaucoup d’obscures forces émotionnelles […] ainsi que la claire conscience d’une identité intérieure, le mystère d’une même construction psychique. […] Je compris que c’était seulement à ma nature de Juif que je devais les deux qualités qui m’étaient devenues indispensables dans ma difficile existence. Parce que j’étais juif, je me suis trouvé libéré de bien des préjugés qui limitent chez les autres l’emploi de leur intelligence ; en tant que Juif, j’étais prêt à passer dans l’opposition et à renoncer à m’entendre avec « la majorité compacte ».

Également :

  • L’antisémitisme[51] contemporain ne provoque pas de « crise d’identité » chez Freud, mais une prise de conscience qui le conduit à affirmer sa judaïté à chaque fois qu’il est question d’appartenance nationale ou « ethnique ». […] (vers 1926) D’un ton affermi, Freud affirme : « Ma langue est l’allemand. Ma culture, mes attaches sont allemandes. Je me considérais intellectuellement comme un Allemand avant de remarquer la montée des préjugés antisémites en Allemagne et dans l’Autriche allemande. Depuis lors, je ne me considère plus comme un Allemand. Je préfère me dire Juif. »

La triade Marx-Freud-Einstein: Albert Einstein

Einstein est né en 1879 et a d’abord une éducation juive poussée. Il restera un juif fervent, même si sa découverte des sciences lui fait douter de la véracité des livres bibliques, il garde une certaine foi tout au long de sa vie. Il est issu d’un milieu bourgeois, son père bien que non pratiquant, fréquente quand même la synagogue et désire inculquer à son fils les rudiments du judaïsme auquel adhère le jeune Albert Einstein comme l’indique sa sœur Maja :

  • À l’école[52], commencèrent les cours d’instruction religieuse, alors obligatoire en Bavière […]. Mais puisque la loi voulait qu’Albert reçoive une instruction religieuse [juive], on fit appel à un parent éloigné pour lui donner quelques leçons qui éveillèrent en lui un profond sentiment religieux. Il entendit parler d’une volonté divine et des œuvres qui plaisent à Dieu, de la manière de vivre en conformité avec la volonté de Dieu. Tout cela ne lui était pas présenté comme un dogme cohérent. Toutefois son zèle religieux était si fort qu’en toute chose il s’en tenait exactement au détail des prescriptions religieuses. Par exemple, il ne mangeait pas de porc (contrairement à son père), par simple scrupule de conscience plus que pour suivre un quelconque exemple familial. Pendant de nombreuses années il resta fidèle à ce mode de vie qu’il avait choisi.

Il reçut une éducation juive complète devant le mener à la Bar-Mitsva ce qui lui laissa la conviction profonde de la grande valeur morale de la tradition biblique dont il rendra hommage plus tard:

  • (la tradition juive) s’exprime[53] magnifiquement dans certains psaumes : sorte de joie enivrée et d’étonnement devant la beauté et la grandeur de ce monde dont l’homme ne peut se faire tout au plus qu’une vague idée. C’est dans ce sentiment que la recherche authentique va puiser son énergie intellectuelle, mais c’est lui aussi qui semble s’exprimer dans le chant des oiseaux. Le lien avec l’idée de Dieu n’apparaît ici que comme simplicité d’esprit enfantine.

S’intéressant aux ouvrages scientifiques, le sentiment religieux le quitte à l’âge de douze ans, mettant en doute la véracité de certains récits bibliques, refusant même de faire sa Bar-Mitsva. Toutefois, il est probable que sa foi était toujours présente, même si celle-ci est adaptée :

  • Pour Einstein[54], le judaïsme est une religion sans Dieu, ou plutôt une religion qui n’a pas besoin de Dieu : la morale, les traditions, les valeurs issues de la culture juive n’ont rien à voir avec la transcendance et ne concernent que les hommes, car c’est une histoire d’hommes. Comme un murmure, les Psaumes lui parlent et Moïse s’incarne dans les actes.
  • Quand[55] on lui demande s’il croit en Dieu, Einstein répond : « Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l’harmonie ordonnée de ce qui existe, non pas en un Dieu qui s’intéresse au sort et aux actes des êtres humains. »
  • Et lorsque[56] l’historien Eric Kahler lui soumet son livre en 1943, à la mention : « Le Dieu juif est au-delà des forces de la nature, lointain, il n’a ni père, ni mère, ni épouse. Il n’a pas d’origine », Einstein annote « Bien. »

La prédiction du temps final dans le livre de Daniel

Ces trois personnages issus de la « symbiose » unilatérale judéo-allemande ont ouvert les voies de la connaissance dans les trois directions fondamentales d’accomplissement (ces 3 directions ont déjà été évoquées pour la génération du psaume 75) :

  • Soi-même,
    • Assimilable à l’axe des x. Avancer c’est s’accomplir (soi-même) positivement, reculer s’est s’accomplir (soi-même) négativement,
  • L’autre,
    • Assimilable à l’axe des y. Dévier à droite c’est s’accomplir envers l’autre positivement, dévier à gauche s’est s’accomplir envers l’autre négativement,
  • Dieu,
    • Assimilable à l’axe des z. S’élever c’est s’accomplir vers le divin positivement, descendre s’est s’accomplir vers le divin négativement,

Les théories établies par ses trois personnages ne sont peut être ni exactes ni définitives mais ont permis d’ouvrir la voie de la connaissance a d’autres savants dans chacun de ces domaines. Avec pour conséquence que l’époque qui a suivi le cataclysme de la Seconde Guerre mondiale est celle où l’homme maîtrise le mieux son avenir dans tous les domaines.

Sans lui garantir malgré tout la maîtrise de son destin.

Freud a exploré et ouvert la connaissance de soi (accomplissement « soi-même »). Depuis la science du moi s’est développée, confirmant, complétant ou infirmant les conclusions de Freud.

Dans le développement économique et industriel et effréné du dix neuvième siècle Marx a introduit la prise en compte de l’autre dans la création de richesses et a ainsi développé le développement de l’accomplissement vers l’autre. La aussi, depuis Marx, la science de l’autre, la science du social s’est largement développée. Confirmant, complétant ou infirmant les conclusions de Marx.

Einstein a remis en cause notre perception du temps qui n’est pas plus comme on pouvait l’admettre avec la physique Newtonienne une composante de notre univers qui s’écoule de façon régulière. La perception du temps c’est la perception de l’irrationnel, de Dieu. Une meilleure appréhension du temps c’est la aussi le développement de l’accomplissement vers Dieu. Et depuis de nombreux scientifiques tentent de compléter les travaux d’Einstein. Confirmant, complétant ou infirmant les conclusions de Einstein.

Cet accès à la connaissance est l’événement que Daniel introduit dans ses prévisions en prélude du « temps final »:

  • Quant à toi[57], Daniel tiens cachées ces révélations et scelle le livre jusqu’au temps final, où beaucoup se mettront en quête et où augmentera la connaissance. Et moi, Daniel, je remarquai comme deux autres personnages se tenaient là, l’un d’un côté, sur la rive du fleuve, et l’autre sur l’autre rive du fleuve. L’un (d’eux) demanda au personnage vêtu de lin qui se trouvait en amont des eaux du fleuve : « Jusqu’à quand (se fera attendre) la fin de ces événements extraordinaires ? » Et l’entendis le personnage vêtu de lin et placé en amont des eaux du fleuve (faire cette déclaration), tout en levant la main droite et la main gauche vers le ciel et en jurant par Celui qui vit éternellement, qu’au bout d’une période, de deux périodes et demie (soit trois ans et demi), quand la puissance du peuple sera entièrement brisée, tous ces événements s’accompliraient. Moi, j’entendis cela, mais sans comprendre, et je dis : « Mon Seigneur, quelle sera l’issue de tout cela ? » Il me répliqua : « Va Daniel ! Car ces choses demeureront cachées jusqu’au temps final. Beaucoup seront triés, épurés et passés au creuset ; mais les impies exerceront leurs impiétés, et tous les méchants manqueront de compréhension, tandis que les sages comprendront. Et depuis le moment où sera supprimé l’holocauste perpétuel et établie l’abomination horrible, il se passera mille deux cent quatre-vingt-dix jours. Heureux celui qui attendra avec confiance et verra la fin de mille trois cent trente cinq jours ! Et toi marche vers la fin ; tu entreras dans le repos, puis tu te relèveras pour recevoir ton lot, à la fin des jours ».

C’est bien malheureusement pendant trois ans et demi (une période est égale à un an) depuis le début des massacres de masse à la fin 1941 jusqu’à la reddition de l’Allemagne en 1945 que dure la Shoah.

Quand au comptage des jours, les massacres de masses commencèrent réellement avec l’opération Barbarossa en 1941. Dès leur entrée en Russie, les Allemands n’hésitent pas à tuer les Juifs à bout portant chez eux ou en pleine rue comme à Kovno les 25 et 26 juin 1941 (3500 Juifs massacrés) ou à Lvov les 2 et 3 juillet 1941 (7000 Juifs massacrés). Ces massacres « improvisés » ne peuvent satisfaire l’Allemagne déjà champion de l’industrialisation avant la guerre.

Ces pogroms sont stoppés pour une élimination mieux planifiée. Dans un premier temps une élimination par balles directement dans la fosse devant les ensevelir, puis une réelle « industrialisation » avec parcage dans des ghettos pour envois planifiés dans les camps d’extermination, véritables usines de la mort, avec des règles de productivité comparables à celles de toute autre industrie avant guerre.

Des massacres ont lieu à Yassi et Babi Yar (Kiev) mais ont été « justifiés », dans la logique allemande, comme représailles a des actions hostiles:

  • À Kiev[58], le NKVD (police politique russe) connaissant la tactique d’occupation des Allemands prépare un gigantesque piège. L’armée allemande avait pour habitude d’utiliser les installations officielles comme poste de commandements, symbolisant leur prise officielle de pouvoir en s’établissant dans les sièges locaux du gouvernement soviétique mais aussi dans les locaux du Parti Communiste. Ce faisant, le NKVD avait dissimulé plus d’une dizaine de milliers de charges explosives et de mines dans la plupart des bâtiments publics et laissé un commando sur place chargé de les faire sauter une fois les Allemands en position dans l’espoir de décimer le commandement de la Wehrmacht de la zone et renouvelant la longue tradition russe de politique de la terre brûlée. Les charges furent mises à feu le 24 septembre déclenchant un gigantesque incendie qui dura cinq jours et tua des milliers de soldats allemands. Ce sont les Juifs de Kiev qui payèrent pour cette ruse de guerre avec le massacre de Babi Yar préparé dès le lendemain, le 25 septembre et perpétré le 29, jour de Kippour.

Le premier massacre perpétré « méthodiquement » directement sous contrôle des nazis et sans justification de représailles eut lieu le 23 octobre 1941 à Odessa, suivi de peu de la construction du premier camp d’extermination le 1er novembre 1941 à Belzec ou seront gazés 450 000 juifs.

La fin de la Shoah est matérialisée par la libération du dernier camp de concentration celui de Mauthausen le 5 mai 1945. Il s’écoule entre ces deux dates 3 ans et demi et plus exactement 1290 jours, ce qui est à rapprocher aux prédictions de Daniel, ou les termes « triés, épurés et passés au creuset » sont explicites par rapport aux événements tragiques de cette génération. Pour arriver à 1335 il faut rajouter les jours d’impureté de la femme suite à l’accouchement d’un garçon[59] (8 jours jusqu’à la circoncision + 33 jours + offrande au temple). Rappelons que parmi les Juifs qui furent libérés des camps, nombreux sont ceux qui ne survécurent pas et moururent dans les jours qui suivirent, justifiant ainsi l’expression de Daniel : « Heureux (..) celui qui verra la fin des Mille trois cent trente cinq jours », car seuls ceux-là malheureusement pourront recevoir leur « lot ». On peut d’ailleurs faire un parallèle entre cette période complémentaire correspondant aux jours suivant l’accouchement avant que la femme retourne à la vie aux textes des Évangiles qui font un parallèle entre la fin des temps, à définir évidemment, et les douleurs de l’accouchement[60].

Rappelons que cette période de trois ans et demi (quarante-deux mois) évoquée par Daniel est largement reprise dans l’Apocalypse de Jean qui est vraisemblablement inspiré d’ouvrage purement juif antérieur au christianisme :

  • Et l’on adora[61] la bête en disant : qui est comparable à la bête et qui peut la combattre ? Il lui fut donné une bouche pour proférer arrogances et blasphèmes, et il lui fut donné pouvoir d’agir pendant quarante-deux mois. Elle ouvrit sa bouche en blasphèmes contre Dieu, pour blasphémer son nom, son tabernacle et ceux dont la demeure est dans le ciel. Il lui fut donné de faire la guerre aux saints et de les vaincre, et lui fut donné le pouvoir sur toute tribu, peuple, langue et nation. Ils l’adoreront, tous ceux qui habitent la terre, tous ceux dont le nom n’est pas écrit, depuis la fondation du monde, dans le livre de vie de l’agneau immolé.

La résurrection d’un monde : les Juifs en Erets Israël.

Pour les survivants de la Shoah, se pose la question de l’après.

Le peuple Juif a été décimé, maintenant que le pouvoir nazi est à terre, c’est la fin des ténèbres et l’aurore qui pointe mais pour quelle destinée pour le peuple Juif ?

Cette interrogation est exprimée dans la suite du psaume de cette génération :

  1. Dès le matin, annonce-moi ta grâce, car j’ai mis confiance en Toi ; fais-moi connaître le chemin que je dois suivre, car vers Toi j’élève mon âme.

La vision de Daniel précédemment citée. ne prévoit pas que des éléments funestes. Pur ceux qui auront échappé au massacre, ils se relèvent pour recevoir leur lot. Ce lot c’est la terre promise qui retourne au peuple d’Israël dans la même génération que celle qui a vu s’écouler les années les plus noires de l’exil.

La Palestine est aussi un enjeu important du plan nazi auquel se rallient sans problème de conscience certains dirigeants arabes. Ainsi le grand mufti de Jérusalem, n’hésita pas à rechercher des appuis pour combattre les Juifs auprès des dictatures d’Europe, d’abord avec Mussolini puis avec Hitler avec lequel il obtint une entrevue en novembre 1941, pendant laquelle la position nazie ne put que lui convenir :

  • Hitler[7] se réjouit de constater qu’ils avaient les mêmes ennemis : « L’Allemagne était engagée dans un combat à mort avec deux bastions du pouvoir juif – la Grande Bretagne et l’Union Soviétique. »
  • Et naturellement il n’y aurait jamais d’État juif en Palestine. Le Führer fit même une allusion discrète à sa « Solution finale » au problème juif : « L’Allemagne était déterminée, pas à pas, à demander à chaque pays européen de résoudre son problème juif. » Dès que « les armées allemandes auront atteint l’extrémité sud du Caucase, l’unique objectif de l’Allemagne sera de détruire l’élément juif résident dans la sphère arabe », lui assura Hitler.

Auparavant, en terre[8], d’Israël, les événements en Europe du début du siècle dopent l’émigration et l’essor économique de la communauté juive. Entre 1924 et 1926, la quatrième alya est constituée de 70 000 immigrants, surtout en provenance de Pologne. C’est la belle époque de la Palestine juive. Le Yishouv, dont la population s’élève à 157 000 habitants, connaît une prospérité économique inégalée.

L’optimisme est partout, jusqu’à la dépression économique de 1929 qui frappe de plein fouet la très fragile économie de l’entreprise sioniste.

Le livre blanc de 1930 restreint l’immigration juive en Palestine. La prise de pouvoir par Hitler rend la question de l’immigration brûlante, grâce à la nouvelle orientation de Ramsay Macdonald et à la largeur de vues du nouveau haut-commissaire, le général Arthur Wauchope (1931-1937), l’intégration de 40 000 immigrants allemands en 1934 et de 62 000 en 1935 se fait dans des conditions satisfaisantes : plus de deux cent dix mille immigrants entre 1933 et 1939.

Constituant la cinquième Aliyah, les nouveaux venus dopent à nouveau l’économie du Yishouv.

Sans aucun doute, le dynamisme et la bonne santé économique du Yishouv sont parmi les causes majeures de la révolte arabe qui, entre 1936 et 1939, embrase la Palestine. Les premiers incidents graves éclatent des 1931, mais la rébellion ne se généralise à l’ensemble du pays qu’à partir de novembre 1935, à la suite de la mort, dans un accrochage avec les Anglais, du Shaykh ‘Izz al-Din al-Qassam, né en Syrie et arrivé en Palestine en 1926. Installé à Haïfa, il crée une association de jeunes musulmans qu’il lance immédiatement dans des actes de guérilla contre les Anglais et les sionistes.

En avril 1936, après une tentative de grève générale infructueuse à l’initiative du Mufti de Jérusalem (qui s’illustrera dans sa collaboration avec les nazis) une paix précaire s’instaure en Palestine, émaillée d’attentats sur les routes, d’incendies des récoltes, de manifestations et de campagnes de boycott des marchandises juives, jusqu’en juillet 1937, date à laquelle la commission Peel propose un plan de partage de la Palestine ente un État arabe et un État juif. Le premier, s’étendant de part et d’autre du Jourdain, devait couvrir 75 % de la superficie du pays. Le second, moins de 20 % du territoire.

Le plan Peel limite aussi l’immigration à 12 000 juifs par an. Le partage est approuvé du bout des lèvres par les instances sionistes, mais rejetées en bloc par les Palestiniens. Anti-britannique et antisioniste, la révolte arabe reprend aussitôt. Appuyés par des volontaires venus de Syrie et d’Irak, les rebelles parviennent à contrôler de vastes étendues autour de Hébron, Naplouse, Béer Sheva et Jérusalem, dont la vieille ville a été abandonnée massivement par ses habitants juifs, ainsi que Jaffa.

La situation est jugée suffisamment explosive pour que Londres décide en 1938 de dépêcher 25 000 hommes supplémentaires qui permettront de mater la révolte avec de nombreux morts dans les rangs arabes. Des centaines de cadres parmi les plus entreprenants périssent, les autres sont soit expulsés soit en fuite, ce qui facilitera la tache des troupes juives pour les combats à venir jusqu’à la première guerre israélo-arabe en 1947-1948.

Mais la proximité de la Seconde Guerre mondiale pousse l’Angleterre à se rapprocher des pays arabes, surtout l’Égypte et l’Irak. La conséquence est la publication d’un nouveau livre blanc qui interdit pratiquement aux Juifs d’acheter de nouvelles terres et qui remet largement en cause les promesses de la déclaration Balfour :

  • Le 17 mai 1939 Londres publie un nouveau Livre blanc, limitant l’immigration juive à 75 000 personnes pour les cinq années à venir et la subordonnant, à partir de 1944, au consentement des Arabes. Perspective non moins menaçante pour les sionistes : dans un délai de dix ans serait créé un État indépendant en Palestine dans lequel les Juifs ne devraient pas excéder plus d’un tiers de la population. C’était la mort annoncée du Foyer national juif, promis par la déclaration Balfour de 1917.

Pendant que les restrictions sont apportées à l’immigration juive à la veille de la Seconde Guerre mondiale, avec ce qui sera pour de nombreux Juifs d’Europe l’équivalent d’un arrêt de mort, une immigration arabe importante se produit ce qui ne sera pas sans conséquence sur les futurs conflits israélo-arabes ;

  • (du fait entre autres des conséquences de la crise économique de 1929) les années 1928-1931[64] sont les plus décourageantes de l’histoire du Foyer national.
  • Paradoxalement, l’arrivée d’immigrants fuyant l’Allemagne, où monte le nazisme, n’intensifie pas la crise, mais permet au contraire sa solution. C’est que la majorité des Juifs allemands ont de hautes qualifications professionnelles et souvent un certain capital, du moins dans les années 1933-1936, où ils peuvent encore faire sortir d’Allemagne une part importante de leurs biens. […]
  • C’est à la fois les villes et les centres pionniers qui bénéficient de cet apport. C’est ce qui explique la réussite de cette alya. […]
  • Dès qu’ils se rendent compte de l’ampleur des arrivées, les Anglais alertés par les Arabes, diminuent le nombre des certificats d’immigration octroyés et veulent par le Livre blanc de 1939 en réduire le chiffre à 5 000 par an. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, il y a moins de 400 000 Juifs dans le foyer national, alors que des dizaines de milliers de réfugiés fuyant l’Europe et désireux d’aller en Palestine sont obligés de se trouver, au prix de grandes difficultés, d’autres refuges.
  • Il faut préciser que l’immigration juive n’est pas la seule. Une immigration arabe au moins aussi importante se poursuit durant la même période. Attirés par le développement de la Palestine et par les nouvelles possibilités de travail qui s’y offrent, des Arabes, officiellement et souvent clandestinement, affluent en Palestine des régions pauvres avoisinantes, surtout d’Iraq et de Transjordanie, deux pays eux aussi sous influence britannique. Ce double mouvement d’immigration pourrait avoir des conséquences heureuses, mais en raison de la différence de niveaux professionnels et culturels, il ne fait qu’aggraver la tension entre les deux groupes ethniques. C’est un fait que les Juifs donnent le ton au développement du pays.

De fait, la résistance arabe à une coexistence entre Juifs et Arabes sur la Terre d’Israël alors que celle-ci a de quoi abriter les deux communautés et que les Juifs y sont présents sans discontinuité depuis des siècles étant majoritaires à Jérusalem depuis des générations active la volonté juive de posséder un État, ce qui n’était pas l’objectif des premières générations sionistes :

  • L’idée[9] de la création d’un État juif n’est pas apparue avec la Shoah. Elle était dans l’air dès la fin des années 1920, au lendemain des émeutes arabes de Jérusalem et Hébron. Elle prit définitivement corps au début de la guerre, quand personne ne pouvait encore imaginer l’étendue du désastre qui allait s’abattre sur les Juifs. Réuni en mai 1942 en convention extraordinaire à l’hôtel Biltmore à New York, à l’initiative de Ben Gourion et de Chaïm Weizmann, la création, immédiatement après la guerre, d’un État (Commonwealth) juif intégré dans le nouveau monde démocratique. L’histoire du mouvement sioniste prenait là un tournant capital rendant inévitable le choc avec la Grande Bretagne, qui persistait dans son refus d’apporter la moindre modification au Livre blanc de 1939.
  • La Seconde Guerre mondiale touchant à sa fin, Ben Gourion ne repoussa plus l’usage de la force non seulement contre les Arabes, mais aussi contre les soldats britanniques. […]
  • À la fin de la guerre, les dirigeants sionistes remettent sur le tapis la question de l’immigration juive, celle notamment des « derniers survivants » de la « Catastrophe ». De 1945 à 1948, plus de 70 000 émigrés clandestins tenteront en vain d’approcher les côtes de la Palestine à bord de 66 embarcations. Interceptés par la marine britannique, ils seront reconduits systématiquement à Chypre ou en Allemagne, non loin des camps, où, quelques mois plus tôt, ils avaient subi les pires sévices.
  • Le départ de Churchill de la scène politique au milieu de 1945 […] précipite la dégradation des relations entre la Grande Bretagne et les sionistes. Ne voulant guerre compromettre leurs bonnes relations avec les États arabes, les travaillistes (anglais) mènent une politique carrément antisioniste et rejettent toutes les requêtes humanitaires qui leur sont présentées, de toutes part, pour accueillir en Palestine une partie des survivants de la Shoah.

À la fin de la guerre, la question de la Palestine est remise à l’ordre du jour par l’ONU, organisation mondiale qui remplace la SDN d’avant-guerre qui avait montré son inefficacité.

Exodus_(1)

La réaction de rejet arabe de toute entité juive est immédiate et relève vraisemblablement plus de l’idéologie religieuse (une terre qui a été musulmane est musulmane éternellement et ne peut donc être sous juridiction non musulmane) que d’une quelconque idéologie nationale (la plupart des Arabes palestiniens sont issus de l’immigration comme la plupart des Juifs de Palestine) :

  • Le 28 avril 1947[10], l’Assemblée générale de l’Onu nomme un comité spécial, l’United Nations Special Committee on Palestine (UNSCOP), chargé de proposer une solution au conflit. Ce sera chose faite moins de quatre mois plus tard, l’UNSCOP recommandant la partition de la Palestine et la création de deux États, l’un palestinien, l’autre, juif, liés par une union économique, ainsi que l’internationalisation de Jérusalem. […]
  • Ajouté aux attaques dirigées contre ses soldats et ses fonctionnaires en Palestine, le rapport de l’UNSCOP a jeté le plus grand désarroi au sein du Cabinet britannique qui voit sa politique s’effondrer. Le 11 novembre 1947, Londres, craignant de s’aliéner les États arabes, rend publique son opposition aux conclusions de la commission internationale en même temps que sa décision de mettre fin à sa présence en Palestine, à la date du 14 mai 1948. Quelques jours plus tôt, les États-Unis et l’Union Soviétique ont exprimé leur soutien aux recommandations de l’UNSCOP. La voie vers le partage de la Palestine est désormais tracée : le 29 novembre 1947, en effet, l’Assemblée générale de l’Onu approuve la création d’un État juif par 33 voix (dont celle des États-Unis, de la France, de l’URSS et de tous les pays du Commonwealth à l’exception de la Grande Bretagne), 13 contre (celle des 11 pays musulmans en plus de la Grèce et de Cuba), et 10 abstentions parmi lesquelles celle de la Grande-Bretagne. En représailles, les autorités britanniques laissent pénétrer en Palestine un grand nombre de volontaires arabes venus des pays voisins, ainsi que de grandes quantités d’armes et de munitions destinées au Haut Comité arabe, toujours dirigé par le mufti de Jérusalem qui, depuis la fin de la guerre, vit en exil au Caire. Le 10 novembre 1947, un autobus reliant Natanya à Jérusalem est attaqué près de Pétah-Tikva. Six de ses passagers juifs sont tués. La première guerre israélo-arabe vient de commencer.

Des premières opérations de réaction cotée arabe à la décision de l’UNSCOP puis du côté juif font déjà de nombreux morts de part et d’autre. Grâce entre autres aux armes fournies par la Tchécoslovaquie, les Juifs enregistrent des succès militaires. Ces succès sèment la panique du côté arabe, la guerre change d’aspect:

  • Le 15 mai 1948[11], le jour même de la proclamation de l’État d’Israël à Tel-Aviv, les États arabes mettent à exécution leurs menaces en envahissant l’État hébreu. Peu de temps auparavant, le secrétaire de la Ligue arabe, ‘Abd al-Rahman ‘Azzam avait prévenu qu’il s’agirait d’une « guerre d’extermination » et (d’)un immense massacre dont l’histoire retiendra le nom comme ceux des Mongols et des croisés. La liquidation de l’État juif « est le but ultime de cette invasion », précise pour sa part Ahmed Choukeiri, appartenant à l’époque à l’entourage immédiat du Mufti de Jérusalem, al-Hajj Amin al-Husseini.
  • Insuffisamment entraînés, mal équipés et sans plan stratégique commun ni coordination tactique dignes de ce nom entre les différentes forces expéditionnaires, les armées arabes n’avaient, en fait, aucune chance de vaincre les forces juives qui les surclassaient sur le plan tactique et même numériquement, grâce notamment à leurs trente mille vétérans de l’armée britannique. Mais, victimes de leur propre démagogie, les dirigeants politiques et la presse arabes ont fait croire à leurs peuples que l’entrée en Palestine allait être une parade de plaisir et la conquête de Tel-Aviv un jeu d’enfants. La réalité allait être tout autre.

L’armée israélienne finit par défaire complètement les armées arabes, les premiers accords d’armistice sont signés entre le 24 février et le 20 juillet 1949. À la fin de cette génération, les Juifs ont réintégré leur foyer ancestral, Israël est après près de deux mille ans d’exil à nouveau une entité juive.

Ainsi bien que cette génération soit la plus noire de l’exil elle se termine sur la bienveillance de l’Eternel envers son peuple sur laquelle le psalmiste conclue le psaume de cette génération :

  1. Délivre-moi de mes ennemis, Éternel, car en Toi je cherche un abri.
    • L’empire nazi s’est effondré, les Juifs ont subi de lourdes pertes, mais le nazisme a été effacé pas le judaïsme.
  2. Enseigne-moi à accomplir Ta volonté, car c’est Toi qui es mon Dieu ; que ton esprit bienveillant me guide sur un sol uni !
    • Le retour sur la terre ancestrale après les affres de deux mille ans d’exil illustre de façon évidente ce passage.
  3. En faveur de Ton Nom, Éternel, tu me conserveras en vie ; dans ta justice, tu libéreras mon âme de la détresse.
  4. Dans Ta bonté, tu anéantiras mes ennemis, Tu feras périr tous ceux qui me sont hostiles, car je suis ton serviteur.
  • Cette génération fait partie de la 3ème garde de la nuit (générations 99 à 147).
  • Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
  • En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.

Cette génération a été celle du désespoir pour les Juifs d’Europe. Soit ils périrent soit ils perdirent tout espoir en l’avenir. Que ce soit à titre individuel et collectif comme l’exprime le poète Itzhaq Katzenelson, un des écrivains hébraïques et yiddish les plus populaires de Pologne de l’entre deux-guerres. Sa femme et ses deux enfants sont déportés à Treblinka, en participant à la révolte du ghetto de Varsovie il réussit à s’enfuir en France mais arrêté par les SS, il meurt à Auschwitz le 3 mai 1944.

Avant d’être déporté il cache ses poèmes sous terre dans des bouteilles, dont suit l’extrait de l’un d’eux :

  • Je chante[68]
  • Prends ta harpe vide et légère et chante !
  • Sur ses cordes fines, jette tes doigts lourds
  • Tels des cœurs endoloris.
  • Chante le dernier chant du dernier juif sur terre.
  • Comment ouvrir la bouche ?
  • Comment chanter ?
  • Je suis resté seul, tellement seul…
  • Ma femme, mes deux enfants, petits encore, quelle horreur !
  • On pleure… j’entends des sanglots dans le lointain.
  • Chante ! Élève ta voix brisée de douleur et cherche.
  • Cherche-Le, là-bas, en haut.
  • S’il y est encore, et chante pour Lui… le dernier chant du dernier Juif qui vécut
  • Mourut
  • N’eut pas de sépulture.

La génération 143 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 144 du Deutéronome:

  1. (Tu seras effrayé nuit et jour, et) tu ne croiras pas en ta vie,

Paul David

[1] (sous la direction de) Emmanuel Haymann : « Pages juives ». Extrait du poème « Holocauste » écrit par Charles Reznikoff. (p. 320).

[2] Expression donné par l’historien américain Arno Mayer pour désigner la Shoah. (cité par : (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Régine Azria: « Les Juifs dans le monde depuis la seconde guerre mondiale». (p. 629).

[3] (sous la direction de) Emmanuel Haymann : « Pages juives ». Extrait d’une lettre d’Anne Frank du 6 avril 1944. (p. 307)

[4] Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’État d’Israël ». (p. 1087)

[5] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme, 2 – l’âge de la science ». (p. 512).

[6] Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’État d’Israël ». (p. 1119,1120). Le livre cite un extrait de « La Nuit » d’Élie Wiesel.

[7] Simon Sebag Montefiore : « Jérusalem, Biographie ». Chapitre : « La révolte arabe ». (p. 541,542)

[8] D’après : Michel Abitbol : « Histoire des Juifs, de la Genèse à nos jours ». Chapitre : « Une nouvelle géographie juive ». (p. 523 à 530), et Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’État d’Israël ». (p. 804 à 806)

[9] Michel Abitbol : « Histoire des Juifs, de la Genèse à nos jours ». Chapitre : « Une nouvelle géographie juive ». (p. 615,616)

[10] Michel Abitbol : « Histoire des Juifs, de la Genèse à nos jours ». Chapitre : « Une nouvelle géographie juive ». (p. 618-619)

[11] Michel Abitbol : « Histoire des Juifs, de la Genèse à nos jours ». Chapitre : « Une nouvelle géographie juive ». (p. 621)

[13] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme, 2 – L’âge de la science ». (p. 492,493)

[14] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Tal Bruttmann: « Dans l’ombre de la mort ». (p. 466).

[15] Voir : Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’Etat d’Israël ». (p. 999 à 1001)

[16] Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’Etat d’Israël ». (p. 721,722)

[17] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Tal Bruttmann : « Dans l’ombre de la mort ». (p. 600).

[18] Michel Abitbol : « Histoire des Juifs, de la Genèse à nos jours ». Chapitre : « Une nouvelle géographie juive ». (p. 591)

[19] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Tal Bruttmann : « Dans l’ombre de la mort ». (p. 600,601).

[20] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Paul Zawadzki: « Les Juifs en Pologne ». (p. 502).

[21] Michel Abitbol : « Histoire des Juifs, de la Genèse à nos jours ». Chapitre : « Une nouvelle géographie juive ». (p. 589 à 592)

[22] Michel Abitbol : « Histoire des Juifs, de la Genèse à nos jours ». Chapitre : « Une nouvelle géographie juive ». (p. 595,596)

[24] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme, 2 – L’âge de la science ». (p. 508,509)

[25] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Claudie Weill: « Les Juifs de Russie». (p. 519).

[26] Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’Etat d’Israël ». (p. 917)

[28] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Tal Bruttmann: « Dans l’ombre de la mort ». (p. 608 à 613).

[29] Michel Abitbol : « Histoire des Juifs, de la Genèse à nos jours ». Chapitre : « Une nouvelle géographie juive ». (p. 605)

[34] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Tal Bruttmann: « Dans l’ombre de la mort». (p. 625,626).

[35] Enzo Traverso : « Les Juifs et l’Allemagne ». (p. 39,40)

[36] Enzo Traverso : « Les Juifs et l’Allemagne ». (p. 71)

[37] Enzo Traverso : « Les Juifs et l’Allemagne ». (p. 26,27)

[38] Enzo Traverso : « Les Juifs et l’Allemagne ». (p. 145)

[39] (Collectif Antoine Germa/Benjamin Lellouch/Evelyne Patlagean) : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Céline Trautmann-Waller: « Les Juifs dans le monde germanique ». (p. 469).

[40] L’APOCALYPSE, Chapitre 13, verset 18.

[41] Enzo Traverso : « Les Juifs et l’Allemagne ». (p. 16)

[42] Enzo Traverso : « Les Juifs et l’Allemagne ». (p. 19)

[43] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme, 2 – L’âge de la science ». (p. 359,360).

[44] Joseph Rovan : « Histoire de l’Allemagne ». Chapitre : « La République de Weimar ».

[45] (sous la direction de) Jean Pierre Rioux : « Histoire du monde de 1918 à nos jours ». Chapitre : « L’Allemagne du IIIe Reich ». (p. 125)

[46] Simon Veille : « Einstein, dans la tragédie du XXe siècle ». Chapitre « Dieu est juif ». (p. 205,206)

[47] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme, 2 – l’âge de la science ». (p. 132).

[48] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme, 2 – l’âge de la science ». (p. 233,234).

[49] Jacques Le Rider : « Les Juifs viennois à la Belle Époque ». (p. 14, 19 et 20)

[50] Jacques Le Rider : « Les Juifs viennois à la Belle Époque ». (p. 134,135)

[51] Jacques Le Rider : « Les Juifs viennois à la Belle Époque ». (p. 135,136)

[52] Simon Veille : « Einstein, dans la tragédie du XXe siècle ». Chapitre « Dieu est juif ». (p. 24)

[53] Simon Veille : « Einstein, dans la tragédie du XXe siècle ». Chapitre « Dieu est juif ». (p. 26)

[54] Simon Veille : « Einstein, dans la tragédie du XXe siècle ». Chapitre « Dieu est juif ». (p. 112)

[55] Simon Veille : « Einstein, dans la tragédie du XXe siècle ». Chapitre « Dieu est juif ». (p. 114)

[56] Simon Veille : « Einstein, dans la tragédie du XXe siècle ». Chapitre « Dieu est juif ». (p. 114)

[57] DANIEL, Chapitre 12, versets 4 à 13.

[58] Source : Wikipédia / Babi Yar.

[59] Voir LÉVITIQUE, Chapitre 12. (La durée de purification suite à la naissance d’une fille est plus longue, en particulier 66 jours de au lieu de 33, le double étant vraisemblablement due à la « part » de la fille qui naît).

[60] Évangile selon Matthieu, chapitre 24, verset 8 ; ainsi que Évangile selon Marc, Chapitre 13, verset 8.

[61] L’APOCALYPSE, Chapitre 13, versets 4 à 8.

[64] Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’État d’Israël ». (p. 812 à 814)

[68] Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’Etat d’Israël ». (p. 1124 à 1126)