Résumé:

Cette génération est celle des années 1870 à 1890.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 140 associée au psaume 140. C’est dans ce psaume 140 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

Suite à la défaite Napoléonienne, la France avait été marginalisée par ses vainqueurs et en particulier l’Angleterre. Cette génération voit « Le réveil de la France » qui reprend sa place au sein des nations.

Cette sensation de puissance retrouvée fait que la France tombera dans le « piège de Bismarck ».

En incitant la France à lui déclarer la guerre, Bismarck réussit son plan: « L’unification allemande sur le dos de la France et de l’Autriche ».

Ainsi né le « IIème Reich allemand sur des bases militaires ».

A cette naissance est associé « l’émancipation des Juifs allemands, mais ceux-ci ne sont plus utiles au Reich ».

L’unification allemande est l’occasion pour les allemands de retourner à leurs anciennes valeurs, celles que Charlemagne avait essayé de détruire. « La bête se réveille ».

Si la bête se déchaînera à l’encontre du judaïsme européen dans quelques décennies, la communauté juive de Russie subit de violents pogroms: « La catastrophe du 20ème siècle déjà perceptible ».

Beaucoup de Juifs prennent le chemin de l’exil. A cette génération une forte « Émigration juive vers les USA » a lieu.

Alors que le pire est annoncé, le meilleur est aussi perceptible: « Les Juifs retrouvent leur Terre ».

Développement:

Le réveil de la France

Sur le plan militaire, la France[1] obtient de notables succès extérieurs jusqu’en 1861. La sanglante guerre de Crimée oppose Français, Anglais et Turcs aux Russes, de 1854 à 1856, à propos de la protection des Lieux saints. L’influence russe est diminuée au congrès de Paris, tandis que la France, consacrée puissance méditerranéenne, retrouve un prestige évanoui depuis 1815.

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L’aide apportée au Piémont pour l’unification de l’Italie fait de Napoléon III le champion de la liberté des peuples, et l’expédition du Levant, destinée à protéger les chrétiens de Syrie et du Liban, conforte la supériorité diplomatique de la France.

Le piège de Bismarck

En revanche, la coûteuse ingérence française au Mexique se solde par un échec complet. […] Menacé d’une intervention militaire des États-Unis, Napoléon III rapatrie ses troupes de 1866 à février 1867. […] Plus grave, la maladroite diplomatie personnelle de Napoléon III dans le conflit austro-prussien de 1866 incite Bismarck, chancelier du roi de Prusse, à profiter de la faiblesse de la France pour réaliser par les armes son œuvre maîtresse : l’unification de l’Allemagne sous l’égide prussienne :

  • C’est[2] dans ce climat déjà tendu (entre la France et la Prusse suite aux suites du conflit précédent entre l’Allemagne et l’Autriche) que se produisit l’affaire de la candidature Hohenzollern (soumise par la Prusse) au trône d’Espagne. […] Bismarck sut exploiter habilement la violente réaction du ministre français des affaires étrangères, le comte de Gramont, évoquant un nouvel encerclement de la France comme à l’époque de Charles Quint. Devant l’émotion suscitée en France, le prince Léopold (de Hohenzollern), en accord avec Guillaume 1er, retira sa candidature le 12 juillet 1870. […] Par suite, L’empereur de Prusse à Paris faisait savoir à Guillaume 1er que Napoléon III attendait de lui une lettre écrite de sa main précisant que la Prusse n’avait pas voulu porter atteinte aux intérêts français. Bismarck, mis au courant par télégramme des événements de la journée (du 13 juillet, divers échanges diplomatiques), reçut carte blanche du roi pour mettre éventuellement la presse au courant.
Depesche

Bismarck se borna à résumer le contenu de la « dépêche d’Ems » et donna à la « Gazette d’Allemagne du Nord » le texte ainsi modifié, qui contenait cette phrase susceptible d’indigner l’opinion française : « Sa majesté a alors refusé de recevoir à nouveau l’ambassadeur et lui a fait dire par l’aide de camp de service que Sa Majesté n’avait plus rien à communiquer à l’ambassadeur ». Ce qu’attendait Bismarck de cette version abrégée de la dépêche d’Ems ne se fit pas attendre longtemps.

L’unification allemande sur le dos de la France et de l’Autriche

L’opposition allemande fut choquée par l’insistance jugée impolie de l’ambassadeur français ; les Français furent indignés que le roi de Prusse ait éconduit leur ambassadeur. […] Le 19 juillet, la France déclarait la guerre à la Prusse.

  • La guerre ne se limita pas à un conflit franco-prussien. La confédération d’Allemagne du Nord et les États du Sud se rangèrent aux côtés de la Prusse. L’unité allemande allait maintenant se forger sur les champs de bataille. […]
  • La guerre de 1870-1871 permit l’achèvement de l’unité allemande. L’opinion publique en Allemagne s’était enthousiasmée pour les succès de ses armées. Dans les États du Sud, on pressait les souverains de participer au mouvement unitaire, et ce fut le roi Louis II de Bavière qui, malgré ses réticences, proposa à Guillaume 1er la couronne impériale. Le 10 décembre 1870, avant même la fin de la guerre, le Reichstag décida que le Bund s’appellerait Empire (Reich) et que son président porterait le titre d’empereur (Kaiser). Le 18 janvier 1871, les princes allemands, réunis dans la Galerie des Glaces du château de Versailles en présence de Bismarck et des chefs de l’armée, proclamèrent la naissance de l’Empire allemand en criant à la suite du grand-duc Frédéric de Bade : « Vive l’empereur Guillaume ! »
  • Le IIe Reich était né.
  • […]
  • Le Saint Empire (Ier Reich) avait duré près de dix siècles, il fallut soixante-cinq ans pour reconstruire un nouvel empire sur de nouvelles bases territoriales. Il n’en faudra que quarante-sept pour que ce nouveau Reich s’écroule à son tour sous les coups conjugués d’une défaite militaire (14-18) et d’une révolution.

Ainsi, avec une incroyable légèreté, la France a ainsi pris l’initiative de déclarer la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870 favorisant les desseins de Bismarck. Cette dernière a eu beau jeu de présenter l’affaire comme une agression ce qui a permis l’adhésion des États de l’Allemagne du Sud derrière la Prusse. En revanche la France n’a aucun allié et est demeurée seule. […] Moins de six semaines ont suffi aux Allemands pour l’emporter : l’Alsace est perdue le 6 août, la Lorraine, le 18. […] De septembre 1870 à janvier 1871, Paris supporte un siège terrible […] Le 18 janvier 1871, le roi Guillaume 1er est proclamé « empereur allemand » à Versailles. L’armistice est signé le 10 mai 1871.

Les bases militaires du IIème Reich allemand

Ainsi, les manœuvres guerrières de Bismarck une première fois contre l’Autriche avec la victoire de Sadowa puis contre la France qui s’est laissée entraînée en 1870 ont pour résultat la création du IIe Reich sous sa bannière. La Prusse « double » ainsi l’Autriche.

La guerre ainsi provoquée une première fois contre l’Autriche puis contre la France est un artifice bien utile à Bismarck dans la réalisation de ses objectifs :

  • La guerre[3] n’est pas dans l’instrumentaire bismarckien un moyen nécessaire, mais c’est un moyen comme les autres au service d’une politique ; la guerre qu’il faut savoir commencer le cas échéant, et qu’il faut savoir terminer ; la guerre qui n’est certes pas un fin en soi. Pour achever l’unité allemande autour de la Prusse, il faudra désarmer l’opposition française, d’une manière ou d’une autre, et la matière forte apparaît comme la plus probable. Encore faut-il que le contexte européen soit favorable, que la préparation des armées prussiennes et des forces du Sud soit achevée et que les circonstances contraignent l’adversaire à assumer la responsabilité du recours aux armes.
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Bismarck avait bien indiqué que c’est par le fer et le sang que l’Allemagne devait être construite :

  • En 1849[4], le futur Guillaume 1er avait déclaré : « Qui veut diriger l’Allemagne doit d’abord la conquérir. » Bismarck pouvait ajouter quinze ans plus tard (1864) : « Ce n’est pas par des discours et par des votes à la majorité que les grandes questions du moment seront réglées – cela a été l’erreur de 1848-1849 – mais par le fer et le sang. »

Avant lui, Guillaume 1er avait rappelé l’importance de la puissance militaire pour la Prusse :

  • Dans le message[5] qu’il adressa au peuple le 7 janvier 1861 à l’occasion de son accession au trône, Guillaume 1er se fit le défenseur de la puissance militaire de la Prusse car c’est l’« armée » qui « a créé la grandeur de la Prusse, l’armée – doit être forte et respectée pour peser d’un poids lourd dans la balance politique… ».

Ce sont ces manœuvres guerrières qui amenèrent à la naissance du IIe Reich terreau du IIIe Reich que le psalmiste redoute et évoque au début du psaume de cette génération. Le venin de vipère qualifie bien l’attitude de la Prusse en particulier dans le cadre de la dépêche de Ems :

  1. Au Chef des Chantres. Psaume de David.
  2. Délivre-moi, Éternel, des gens méchants, protège-moi contre les hommes de violence,
  3. qui conçoivent de mauvais desseins dans leur cœur, chaque jour fomentent des guerres.
  4. Ils affilent leur langue comme un serpent, un venin de vipère se glisse sous leurs lèvres. Sélah !
  5. Garde-moi, Seigneur, des mains du méchant ! (…)

Les Juifs allemands s’émancipent mais ne sont plus utiles au Reich

À la suite de la création du IIe Reich allemand, l’émancipation des Juifs y est proclamée le 18 janvier 1871. La satisfaction des Juifs d’Allemagne sera de courte durée :

  • Le Reich[6] est alors l’une des plus grandes puissances mondiales. Son économie connaît un boom exceptionnel depuis 1867, rivalisant avec celle de la Grande Bretagne, en particulier dans la sidérurgie et la production chimique. Mais en 1873, l’Allemagne entre dans une dépression qui dure jusqu’en 1890 : c’est le début d’une longue période de tensions sociales, politiques et culturelles qui voit poindre les premiers signes de remise en question du statut des Juifs.

Bismarck en effet avait pu s’appuyer sur les juifs pour faire aboutir son projet, comme les premiers monarques prussiens lorsqu’ils voulaient propulser Berlin au premier plan de l’Europe.

L’unification allemande achevée, les Juifs, malgré leur loyauté, ne sont plus utiles à l’Allemagne aryenne.

En premier lieu, Bismarck n’a pas pleinement réussi sa réunification qui aurait été plus naturelle sous l’égide de l’empire autrichien.

Les travers du nouveau Reich sont déjà perceptibles pour certains visionnaires :

  • Des observateurs[7] attentifs, sinon impartiaux, tels l’historien suisse Jacob Burckhardt, le philosophe Friedrich Nietzsche, l’historien Theodor Mommsen, ou le médecin prussien Rudolf Virchow, ces deux derniers éminents membres de l’opposition parlementaire libérale de gauche, virent clairement et avec angoisse que dans le sillage de Bismarck l’Allemagne s’engageait dans le culte de la puissance, de la force, du succès matériel, de la superbe nationale, du mépris des faibles et des étrangers.

Nietzche un des rares intellectuels allemands n’adhérant pas à l’antisémitisme ambiant a des pensées visionnaires :

  • « Je[8] n’ai jamais rencontré un seul allemand qui aimait les Juifs » observait à la fin du XIXe siècle Nietzsche, qui pour sa part faisait brillamment exception à la règle. […]

Certains de ses développements, à un siècle de distance ont un son quasiment prophétique :

  • « Ce que[9] l’Europe doit aux Juifs ? Beaucoup de bien, beaucoup de mal, et surtout ceci, qui relève du meilleur et du pire, le grand style en morale, la majesté redoutable des exigences infinies, des symboles infinis, le romantisme sublime des problèmes moraux, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus séduisant, de plus capiteux, de plus exquis dans ces jeux de couleur et ces séductions dont le reflet embrase aujourd’hui le ciel de notre civilisation européenne, un ciel vespéral et qui peut-être va s’éteindre. Nous qui parmi les spectateurs sommes des artistes et des philosophes, nous éprouvons à l’égard des Juifs de la reconnaissance».

La bête se réveille

Quant aux pays vaincus, ils cultiveront un esprit de revanche, peut-être semblable à celui de ceux qui seront vaincus en 1918.

L’unification allemande du IIe Reich tente de reproduire celle du Ier Reich ou Saint Empire romain germanique (ces deux noms attribués a posteriori) qui regroupaient lui aussi la plupart des territoires de langues allemandes entre 962 et 1806, soit presque mille ans, durée que souhaitera durer également le futur IIIe Reich nazi.

Ce Ier Reich a été créé sur le partage de l’empire de Charlemagne par le traité de Verdun en 843, qui établissait le pouvoir de Louis II, dit le Germanique, sur la « Francie orientale » regroupant tous les territoires principalement à l’est du Rhin unifiés par la langue pratiquée : l’allemand.

C’est cette même langue qui sert d’élément d’unification au IIe Reich et qui sera un des moteurs d’unification du IIIe Reich.

Le premier Reich est effectif sous Otton 1er en 962. Mais le vrai fondateur de la dynastie allemande est Henri 1er l’Oiseleur, surnommé ainsi à cause des pièges à oiseau qu’il tendait. Il est saxon et descendant de Widukind, le héros païen de la lutte saxonne contre Charlemagne.

La résurgence du pangermanisme au début du XIXe siècle montre que la pacification carolingienne des territoires allemands n’a pas réellement été effective. Comme le démontre le recours aux anciens héros de la mythologie allemande antérieure à la pénétration du christianisme, en particulier dans les œuvres de Wagner qui est à la fois un des champions du pangermanisme et de l’antisémitisme racial.

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L’antisémitisme ne peut d’ailleurs être que racial dans cette nouvelle Allemagne, car l’antisémitisme religieux serait indirectement une soumission aux croyances imposées par Charlemagne, puisqu’il dénoterait une adhésion pleine au christianisme, une doctrine dérivée du judaïsme.

Il est intéressant d’ailleurs de voir que le mot antisémitisme est créé à la présente génération par ceux qui veulent l’étendre à l’Allemagne, c’est-à-dire réduire l’accès des Juifs aux institutions à la vie allemande. Or l’antisémitisme chrétien combattait une croyance alors que l’antisémitisme allemand, détaché de la croyance religieuse, nouvellement défini, combat une race les « Sémites » en opposition à la race aryenne, la race supérieure.

Or à la génération correspondante, les Juifs attirés par la pacification apparente de ces terres s’y établirent nombreux. Puis ils y subirent de grands maux, poussant nombre d’entre eux à se réfugier en terres polonaises, celles-ci étant maintenant principalement sous contrôle russe. D’autres Juifs s’établirent à nouveau en terre allemande ignorant en feignant d’ignorer le sort réservé aux Juifs des générations antérieures sur ces terres. Le piège qui avait ainsi été entrouvert par Henri 1er l’oiseleur se renferme une nouvelle fois à cette génération sur les Juifs qui ont trouvé refuge en terre allemande ou polonaise, et donc en terre russe ainsi que dans tous les pays satellites de l’Europe orientale.

C’est l’ensemble de ces menaces qui s’accumulent qu’évoque le psalmiste dans la suite du psaume de cette génération :

  1. (…) Protège-moi contre les hommes de violence, qui se proposent de me faire trébucher dans ma marche.
  2. Des présomptueux dressent pièges et lacets contre moi, tendent des filets le long de la route, me posent des embûches. Sélah !

La catastrophe du 20ème siècle déjà perceptible

Nous sommes en fait dans une génération charnière en ce qui concerne le sort des Juifs en Europe:

  • Dans l’organisation[10] temporelle de ce long XIXe siècle, on peut distinguer schématiquement un premier temps marqué par les processus d’émancipation, de réforme et d’adaptation du judaïsme à la modernité, puis un second temps articulé autour d’une rupture majeure, celles des années 1870-1890, marquées par une recomposition d’importance, qui s’inscrit dans plusieurs directions : émergence de l’antisémitisme racial, bouleversements démographiques liés à la venue des juifs de l’Est, émergence d’un nationalisme juif.

Si le piège allemand se renfermera bientôt sur les Juifs d’Europe, la plus grande communauté juive d’Europe à cette génération est elle aussi en danger: la communauté juive de Russie, qui historiquement faisait partir de la Pologne avant l’annexion russe, subit les premiers Pogroms.

Pourtant le règne d’Alexandre II (1855-1881) avait amélioré grandement le sort des Juifs en Russie qui accédaient de plus en plus nombreux à l’enseignement leur permettant de s’intégrer en grand nombre à la bourgeoisie russe.

La révolte avortée de la Pologne contre la tutelle russe en 1863 entraîne une russification de la Pologne, qui est ainsi rebaptisée « Région de la Vistule » en 1874, ce qui aura pour résultante pour les Juifs polonais une accession accrue à l’émancipation. L’espoir est la aussi de courte durée :

  • La trajectoire[11] « occidentale » des Juifs de Pologne comme de Russie s’arrête brusquement en mars 1881, à la suite de l’assassinat d’Alexandre II. La bombe nihiliste qui a tué le tsar a ravivé la haine de l’occident et allumé dans tout l’empire russe un effroyable sursaut antijuif qui s’est traduit immédiatement par une série de pogroms. Les commissions d’enquête nommées par le nouveau tsar Alexandre III (1881-1894) pour en déterminer les causes parviennent hâtivement à la conclusion que c’est « l’exploitation juive » qui est à l’origine des émeutes. Dès lors une série de règlements dits « provisoires » sont promulgués en mai 1882, effaçant d’un trait tous les progrès enregistrés depuis 1855.

Les premiers pogroms suivent:

  • En 1871 à Odessa[12], un pogrom (mot russe qui signifie « détruire complètement ») donna le signal de soudaines violences, ici et là, brisant toute possibilité de dialogue judéo-russe. […] Le 1er mars 1881, le tsar Alexandre II fut assassiné par des terroristes de l’organisation « Narodnya Volija », « Volonté du peuple » : en quelques semaines commença une véritable marée de pogroms anti-juifs qui firent des centaines de morts entre 1881 et 1884, et dont l’histoire juive conserve le souvenir sous le nom de « Sufòt ba-Nèghev » (« tempêtes du sud »).
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  • Les désordres commencèrent dans le sud de la Russie et en Ukraine, avant de gagner plus loin, Varsovie et Novgorod par exemple. Les autorités russes interprétèrent ce déchaînement d’hostilité comme un désir de vengeance populaire : parmi les condamnés à mort pour l’assassinat du tsar, il y avait en effet une juive, Hessia Helfman. En réalité, les désordres et les violences furent pilotés depuis les milieux gouvernants proches d’Alexandre III, fils et successeur du tsar assassiné. […] Les juifs devinrent donc un bouc émissaire face aux difficultés du régime. […]
  • En 1882, les pogroms furent particulièrement brutaux et le gouvernement prit un ensemble de dispositions connues sous le nom de « Lois de mai » et présentées comme des gestes de bonne volonté visant à réduire les tensions entre Juifs et Russes, mais, en réalité, elles étaient un véritable tour de vis à l’égard de la minorité juive : réduction de la zone de résidence forcée, déjà étroite ; restrictions des droits civiques et des possibilités de travail. […] Déjà marquée, la pauvreté s’aggrava par la très rapide augmentation de la population juive, passée de 1 600 000 en 1820 à 4 000 000 en 1880. […]

Également :

  • Le jour de Noël 1881[13], un pogrom éclate à Varsovie. Au moment de la messe en l’église Sainte-Croix, on crie : « Au feu ! » La foule, prise de panique, s’écrase pour sortir et 29 personnes meurent étouffées. On s’aperçoit vite que c’est une fausse alerte. La tragédie de ces 29 morts est d’autant plus poignante. Soudain, le bruit court que ce sont deux Juifs, cachés dans l’église, qui auraient crié : « Au feu ! » C’est aussitôt le début d’un très violent pogrom, qui déferle pendant trois jours sur la ville. Il n’y a pas de morts, mais des blessés, et plus de 1500 maisons mises à sac et rendues inhabitables, ainsi que plusieurs synagogues.
  • Il est de plus en plus clair que le gouvernement soutient les instigateurs des pogroms. En Russie même, toute critique officielle est vaine. Les Juifs ont recours à la seule forme de protestation qui leur est laissée : une journée exceptionnelle de jeûne et de prières. Elle a lieu le 18 janvier 1882 et revêt dans toutes les villes, en particulier à Saint Petersbourg, une bouleversante solennité.
  • Des protestations ont lieu à l’étranger, mais sans efficacité. […]
  • Le seul recours est donc l’émigration.

Alors qu’en Terres allemandes, les Juifs cherchent souvent leur salut dans une assimilation complète et un abandon de leur religion, les Juifs de Pologne et de Russie, malgré l’adversité, ne rompent pas l’alliance avec Dieu et se réfugient dans la prière.

C’est ce qu’exprime la suite du psaume de cette génération :

  1. Mais j’ai dit à l’Éternel : « Tu es mon Dieu : prête l’oreille, Seigneur à mes cris suppliants ! »

Émigration juive vers les USA

Une des planches de salut pour les Juifs frappés par ces pogroms reste l’immigration vers des terres en apparence moins hostiles. Principalement les États-Unis.

Quelles que soient les difficultés de l’émigration, les pogroms ont réussi à préserver une grande partie du judaïsme européen en poussant les Juifs hors d’Europe. Leur descendance évitera l’extermination nazie, alors que de nombreux membres des familles ayant préféré rester en Europe ne survivront pas au vingtième siècle.

Cette immigration juive ou non permettra à l’économie américaine de s’affirmer comme une puissance incontournable au vingtième siècle, puissance qui mettra en échec la volonté des Allemands d’obtenir une terre aryenne sans Juifs.

C’est ce qui justifie la suite du psaume de cette génération :

  1. Ô Dieu, mon Maître, mon aide puissante, Tu couvres ma tête de Ta protection au jour du combat.
  2. N’accorde pas, Éternel, les demandes des méchants ne laisse point accomplir leurs perfides desseins ; ils lèveraient trop haut, Sélah !

Mais alors que se dessine le sort funeste des Juifs d’Europe, ceux qui participent à cette élaboration s’entretueront bientôt. La Première Guerre mondiale verra la fin du IIe Reich qui instaure à cette génération l’antisémitisme racial en faveur d’un pangermanisme idéalisé, et, la fin de la dynastie des Tsars en Russie qui a cette génération tente d’instaurer l’antisémitisme comme ciment national.

C’est bien dans les flammes et sous une pluie de braises (suivant traduction Chouraqui) que ces deux empires disparaîtront, lors de la Première Guerre mondiale dont les combats illustrent bien les termes employés.

C’est ce qu’illustre la suite du psaume de cette génération :

  1. (ils lèveraient trop haut, Sélah !)
  2. leur tête, ceux qui m’enserrent ; que la méchanceté de leurs lèvres les enveloppe tout entiers !
  3. Que des charbons ardents pleuvent sur eux, qu’on les précipite dans les flammes, dans des gouffres d’où ils ne puissent s’échapper !
  4. Que l’homme à la langue (perfide) n’ait point d’avenir dans le pays ! Que l’homme de violence soit entraîné par sa méchanceté dans la chute !

Malheureusement la chute de ces empires ne signifie pas la fin des malheurs juifs surtout en Europe. La chute du IIe Reich aura pour conséquence la naissance du IIIe Reich voulant la destruction physique des Juifs d’Europe et à l’empire tsariste succédera le régime soviétique qui lui cherchera à éliminer le judaïsme en tant que religion.

Les Juifs retrouvent leur Terre

Booklet_of_postcards__Richon-le-Zion_et_Zicron-Jacob,_Palestine,_ca.1900_(CHS-47571~15) rogne

Malgré tout la renaissance des Juifs sur leur terre se dessine un peu plus à cette génération :

  • L’année 1882[14] marque un tournant dans l’histoire d’Erets Israël. Cette année-là arrivent en deux groupes trente jeunes gens résolus à travailler la terre avec des méthodes modernes, et à introduire en Palestine, où ils ont décidé de vivre, un idéal à la fois national et socialiste. On considère leur arrivée comme le début d’un nouveau type d’alya. D’où le nom devenu classique, mais inexact de « première alya ». En effet (au long des siècles précédents et de longue date) il y a eu des alyot presque ininterrompus. L’alya de 1882 devrait être la centième alya, ou quelque chose d’approchant. (il faudrait plutôt la dénommer) « La première alya agricole ». C’est leur volonté d’être agriculteurs sur la terre ancestrale qui donne à ces groupes d’olim leur caractère spécifique.

L’échec de Montefiore à Jaffa, à la génération précédente, ne décourage pas les Juifs dans l’espoir de réinstaurer une agriculture ambitieuse en Terre sainte. Considérant que cet échec est dû à un manque de préparation, Charles Netter prend l’initiative de créer une école dédiée à l’agriculture. Le projet de Netter[15] verra le jour en 1870 par la création de l’école Mikveh Israël à proximité de Jaffa qui fait l’émerveillement de Montefiore lors de sa visite en 1875. Malgré quelques intermèdes malheureux de mauvaise gestion, en 1879, le succès est au rendez-vous.

Malgré l’horizon qui s’obscurcit pour les Juifs d’Europe, l’aube commence à pointer en terre promise, justifiant la conclusion tout de même optimiste du psaume de cette génération :

  1. Je le sais, l’Éternel défend la cause du pauvre, le droit des humbles.
  2. Oui certes, les justes auront à rendre hommage à ton nom, les gens de bien séjourneront devant ta face.
  • Cette génération fait partie de la 3ème garde de la nuit (générations 99 à 147).
  • Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
  • En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.

Pour les émigrants en terre promise, les ennemis ne sont pas les habitants de cette terre.

Les Juifs s’installent en effet dans des terres désertées et incultes avec, pour seuls ennemis, les moustiques.

Ainsi la terre d’Israël se mérite et a son prix. Les Juifs qui viennent défricher les terres incultes d’Eretz Israël le découvrent à leurs dépens :

  • Quelques[16] juifs de Jérusalem gagnés aux idées de Charles Netter sur la nécessité d’un renouveau agricole en sont à l’origine. […] Dans le livre de Josué (VII, 26), la vallée proche de Jéricho est appelée Emek Akhor (Vallée du malheur) ?, et dans le prophète Osée on lit (II, 17) : « < la vallée du malheur deviendra la Porte de l’espérance, Pétah Tikva. Après de longues tractations, les Turcs s’opposent à l’achat du terrain envisagé. Le petit groupe (autour de Joël Moïse Salomon) ne renonce pas au projet d’un établissement agricole, et jette son dévolu sur une région qui semble fertile, dans la plaine côtière près du Yarkon. Ils savent que la Malaria les y guette, mais ils espèrent y échapper. Ils s’y installent en 1878 et restent fidèles au nom de Pétah Tikva, qui est ainsi la première tentative agricole juive moderne en Erets Israël. Mais la malaria sévit avec force. Les soixante-six habitants de Pétah Tikva ne peuvent résister plus longtemps. En 1882, c’est l’éclatement du groupe. Un seul habitant, tenace, maintient tout seul Pétah Tikva. L’année suivante, des jeunes de la première alya agricole le rejoignent. La malaria sévit à nouveau. Mais cette fois, ils obtiennent l’aide financière d’Edmond de Rothschild, ce qui leur permet d’assécher les marais environnants. La plus ancienne agglomération agricole, « la mère des moshavot », Pétah Tikva, est sauvée.

Et également :

  • Les pionniers avaient espéré qu’ils échapperaient à la malaria grâce à une hygiène européenne et à des connaissances médicales de base. Ils sont sûrs d’être plus forts que la maladie. Mais la maladie a raison d’eux. Des familles entières meurent dans l’épidémie de malaria qui sévit lors des débuts de Hedera.

La malaria (paludisme) se caractérise par de fortes fièvres

La génération 140 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 64 du Deutéronome:

  1. L’Éternel te frappera d’inflammation, de fièvre,

Paul David

[1] (sous la direction scientifique de) Théodore Zeldin : « Histoire du monde, de 1789 à 1918 ». Chapitre : « La fin du second empire ». (p. 322 à 327)

[2] Henry Bogdan : « Histoire de l’Allemagne ». (p. 307-308 et 310,311)

[3] Joseph Rovan : « Histoire de l’Allemagne ». (p. 549)

[4] Henry Bogdan : « Histoire de l’Allemagne ». (p. 301)

[5] Henry Bogdan : « Histoire de l’Allemagne ». (p. 299)

[6] Michel Abitbol : « Histoire des Juifs. De la Genèse à nos jours ». (p. 378)

[7] Joseph Rovan : « Histoire de l’Allemagne ». (p. 568)

[8] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme : 2 – l’âge de la science ». (p. 263)

[9] Friedrich Nietzsche « Par delà le bien et le mal » (publie en 1886, paragraphe 250). Cité par Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme : 2 – l’âge de la science ». (p. 267)

[10] (Sous la direction de) Antoine Germe, benjamin Lellouch et Evelyne Patlagean : « Les Juifs dans l’histoire ». Chapitre de Evelyne Oliel-Grausz : « Les Juifs d’Europe occidentale au XIXe siècle ». (p. 413).

[11] Michel Abitbol : « Histoire des Juifs. De la Genèse à nos jours ». (p. 383)

[12] Riccardo Calimani ; « L’errance juive ». (p. 487 à 490)

[13] Renée Neher-Bernheim : « Histoire juive de la Révolution à l’Etat d’Israël ». (p. 483)

[14] Renée Neher-Bernheim : « La vie juive en Terre sainte, 1517-1918». (p. 229)

[15] Voir : Renée Neher-Bernheim : « La vie juive en Terre sainte, 1517-1918». (p. 224 à 227)

[16] Renée Neher-Bernheim : « La vie juive en Terre sainte, 1517-1918». (p. 234-235 et 239)