Résumé:

Cette génération est celle des années 1770 à 1790.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 135 associée au psaume 135. C’est dans ce psaume 135 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

Cette génération est une génération charnière. Depuis la 119ème génération, un nouveau cycle de 30 générations s’est ouvert, la présente génération est à mi-chemin de ce dernier cycle.

Pour les quinze dernières générations de ce cycle, le monde se transforme en monde des nations.

C’est alors qu’apparaît dans la sphère allemande, Moïse Mendelshonn, un adepte d’un judaïsme des lumières.

Dans le même temps, dans l’esprit des Lumières, il devient envisageable de maitriser la nature.

C’est alors qu’un démenti est apporté par le tremblement de terre de Lisbonne, 80 ans après un violent massacre de Juifs dans cette même ville …

A cette génération, certains prennent conscience que la survie du peuple juif à travers les âges tient du miracle. Début de prise de conscience d’une nation juive.

Développement:

Une génération charnière

Le psaume de la génération précédente est le dernier d’une série de quinze psaumes dénommés « Cantique des Degrés ». Le premier « cantique des degrés » est le psaume 120 et le dernier le psaume 134. De fait nous avons vu que le psaume 119 était un psaume double qui est la clôture de trois séries de quarante psaumes (si on considère le psaume 119 comme deux demi-psaumes, chacun associé à une génération de vingt ans). Chaque série de quarante psaumes correspondant à une des trois périodes de quarante jours de jeûne des Juifs dans le désert lors de la sortie d’Égypte consécutifs aux trois fautes majeures du peuple juif dans le désert.

Ainsi la deuxième demi-génération du psaume 119 correspondrait normalement à la cent vingtième génération de la nuit. Or nous savons comme nous l’avons indiqué dans les générations associées aux psaumes 41 et 81 que les trois premières périodes de 40 générations de la nuit correspondent aux trois jeûnes de Moïse dans le désert que nous pouvons rappeler (cela avait été décrit dans le développement du psaume 81). Ainsi comme nous l’avions évoqué dans le psaume 120 :

Moïse évoque trois périodes de jeûne de quarante jours pour soutenir auprès de Dieu le peuple d’Israël afin d’en éviter l’extermination du fait des trois fautes commises :

  • Lorsque le peuple d’Israël se querelle à Refidime pour obtenir de l’eau (les eaux de Mériba)
  • Lorsque le peuple d’Israël, dirigé par Aaron, érige le veau d’or,
  • Lorsque le peuple d’Israël eut peur de rentrer en terre promise lors du retour des explorateurs.

Le premier jeûne de quarante jours correspondant au veau d’or a été évoqué lors du psaume quarante (correspondant ainsi à la fin du jeûne de Moïse lié au veau d’or). En effet la réaction des Maccabées à cette génération met fin aux longs errements idolâtres des Juifs en terre d’Israël qui avaient largement marqué les premières générations de la nuit et qui allaient aboutir aux destructions des deux temples de Jérusalem assimilables aux deux tables de la Loi brisées par Moïse.

Le second jeûne de quarante jours, comme nous l’avons évoqué au psaume 81, correspond aux eaux de Mériba et à l’issue du jeûne de quarante jours correspondant de Moïse. À l’issue de cette période Moïse ayant du mal à lutter contre Amalek est aidé par l’arrivée des musulmans lors de la génération 81 permettant d’éviter une toute puissance du christianisme qui aurait été fatale pour les Juifs. Les musulmans étant freinés eux-mêmes dans leur avancée afin qu’eux non plus puissent dominer le monde, ce qui serait aussi fatal pour les Juifs.

Le troisième jeûne comme nous l’avons évoqué dans le psaume 119 correspond à la fin de l’illusion que le peuple Juif puisse exister en dehors de la terre promise. Cette évolution[1] est matérialisée par en 1453, une action des Juifs implantés en terre d’Israël qui envoient des émissaires en diaspora pour pousser leurs frères en exil à effectuer leur allia. 1453 marque de plus la charnière entre moyen-âge et temps modernes.

Ainsi à l’issue de cette troisième période de quarante générations le peuple juif s’est lavé des fautes du désert, et de ce fait est un peuple mûr pour retourner sur sa terre. Ce retour est l’objet des 30 dernières générations la dernière errance des Juifs avant leur retour sur leur terre qui se fait en deux temps, une première période de quinze générations pendant lesquels les Juifs qui ont quitté la pseudo terre promise d’Espagne se répartissent dans le reste du monde et en particulier en Europe du Nord avec de premières implantations en Amérique du Nord.

Pendant cette période leur situation de paria évolue doucement vers une intégration progressive. C’est l’objet des quinze psaumes ayant en sous-titre « Cantique des degrés », chacune des générations associées est un pas vers une émancipation des Juifs à l’image de la longue traversée du désert qui transforma leurs ancêtres d’esclaves en hommes libres prêts à prendre possession de leur terre.

Cette phase terminée, c’est la reconquête de la terre promise qui est le but des quinze générations suivantes qui commence par la présente génération.

De même que le psaume 119 matérialisait le basculement du moyen âge vers les temps modernes. Dans ces temps modernes, la présente génération est celle du basculement vers l’émancipation des peuples avec pour conséquence l’émancipation des Juifs dans les principaux pays touchés par l’esprit des lumières. Ce n’est évidemment pas la fin des tribulations du peuple Juif. Si les attaques avec un fond religieux sont appelées à disparaître, un antisémitisme plus sournois subsistera jusqu’à mener aux catastrophes du vingtième siècle démontrant que le temps de l’errance doit s’achever.

Or cette génération est bien une génération charnière, qui dans la ligne du Siècle des lumières, est celle de la déclaration d’indépendance des États Unis, de la Révolution française et l’édit de Tolérance de Joseph II qui sont trois événements qui scellent l’émancipation du peuple Juif. Cette émancipation, associée à un antisémitisme qui ne disparaît pas, facilite le retour à la terre promise qui sera le long et difficile résultat des quinze générations à venir, les dernières de la nuit.

Ainsi, ce rôle de charnière de cette génération se retrouve dans la construction du psaume. En effet le basculement entre le monde d’avant et le monde d’après est matérialisé par le fait que le psaume de cette génération est quasiment une fusion du psaume de la génération précédente, la génération 134 et celui de la génération suivante, la génération 136.

Vers un monde des nations

Cette génération charnière est celle qui voit le monde basculer des nations gouvernées par des dynasties royales à des nations qui seront gouvernées directement par leur peuple ou tout du moins par leurs représentants élus.

Ce basculement politique est également le point de départ pour ces nations nouvelles de la révolution industrielle accompagnée d’une révolution des idées, qui est de fait le résultat du Siècle des lumières.

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Les dogmes religieux, principalement les dogmes catholiques, auraient pu être un frein à cette révolution industrielle et des idées. En réintégrant les croyances religieuses dans la sphère privée, les Lumières permettent l’éclosion du monde moderne qui malheureusement échouera à être le meilleur des mondes.

Ainsi[2] les pensées politiques de John Locke et de Montesquieu influencent les insurgés américains dont leur conviction que l’Amérique est un état souverain. La lutte contre le pouvoir anglais se fait d’abord sur des considérations économiques comme la Boston Tea Party de 1773 où des colons coulent des bateaux anglais chargés de thé dont l’Angleterre veut imposer l’importation en Amérique. La lutte se transforme alors en guerre d’indépendance.

Dans le même temps Thomas Jefferson rédige la déclaration d’indépendance des futurs États Unis qui est votée le 4 juillet 1776. À Saratoga en 1777, puis à King’s Mountain, en 1780, les Anglais sont vaincus. La victoire franco-américaine de Yorktown en octobre 1781, est décisive. En 1782, le parlement britannique ouvre des négociations et, en septembre 1783, un traité est signé à Paris entre les belligérants : les Etats-Unis sont reconnus souverains et indépendants. C’est le premier peuple qui se veut régi selon les principes des Lumières. D’autres voudront l’imiter.

Un judaïsme des lumières

À cette génération, Moses Mendelssohn, dont la notoriété est reconnue à la fois dans la communauté juive mais aussi auprès des cercles philosophiques allemands a une influence déterminante sur l’avenir du judaïsme européen.

Il est pour une position médiane entre l’orthodoxie juive et la volonté chrétienne de conversion, il traduit en allemand le Pentateuque et d’autres ouvrages religieux pour les mettre à la portée de tous les juifs allemands.

Sans renier à ses origines et à son héritage, il prône un judaïsme plus moderne et plus ouvert imprégné d’Aufklärung, la version allemande des lumières. Refusant l’assimilation, on lui reprochera par la suite d’avoir largement ouvert cette voie aux juifs d’Allemagne et d’Europe. De fait à une exception près tous ses descendants se convertiront au christianisme.

Mais pour la génération qui nous intéresse, Mendelssohn se révèle un défenseur courageux et efficace de la cause juive avec une volonté forte d’intégration, et non d’assimilation, de ses coreligionnaires dans la société civile.

Mais pour la génération qui nous intéresse, Mendelssohn se révèle un défenseur courageux et efficace de la cause juive avec une volonté forte d’intégration, et non d’assimilation, de ses coreligionnaires dans la société civile.

La Révolution française qui clôt cette génération, vient compléter ces événements qui permettront l’éclosion des nations modernes et l’émancipation des Juifs.

Ce basculement dû à l’esprit des Lumières a été largement relayé par les Francs Maçons, qui purent plus aisément que d’autres ne pas tenir compte des dogmes religieux pour prôner une tolérance religieuse qui met à égalité chacun quelles que soit ses croyances.

Georges Washington, un des principaux acteurs de l’indépendance américaine ou de la rédaction de la constitution américaine était franc-maçon. Nombreux étaient également les francs-maçons parmi ceux qui œuvrèrent à la Révolution française où à la réforme allemande qui mènera à l’émancipation des Juifs en Allemagne également.

C’est pourquoi le psaume de cette génération est initialisé par un rappel des termes utilisés dans le psaume précèdent pour décrire les actions des francs-maçons dans la mise en œuvre des idées des Lumières :

  1. Alléluia ! Louez le nom de l’Éternel, louez-le, serviteurs de l’Éternel,
  2. qui vous tenez dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu.

Toutefois, si la fin de condition de paria pour les Juifs est louable, le destin du peuple Juif n’est pas l’exil. D’ailleurs les générations suivantes montreront que la tentation de se fondre au sein des nations est vouée à l’échec.

C’est pourquoi le psalmiste rappelle dans la suite du psaume le destin du peuple Juif, peuple élu, qui est de retourner sur sa terre :

  1. Louez le Seigneur, car l’Éternel est bon, célébrez son nom, car il est doux,
  2. car le Seigneur a fait le choix de Jacob ; d’Israël il a fait son peuple d’élection.

La maîtrise de la nature

Derrière les Lumières, il y a l’espoir pour l’homme de maîtriser définitivement la nature.

Ainsi en 1752, grâce à Benjamin Franklin, un des cofondateurs de la déclaration d’indépendance des États Unis, les premiers paratonnerres sont installés à Philadelphie. Isaac Newton avait quelques générations auparavant défini les règles de la gravitation universelle. Auparavant tout s’expliquait par la volonté divine, le Siècle des lumières rationalise notre univers et espère donc le maîtriser à terme.

Lisbonne

C’est alors qu’intervient, à la génération précédente, en 1755, un nouvel événement naturel qui bouleverse les esprits : le tremblement de terre de Lisbonne qui vient ébranler une terre attachée à l’obscurantisme. Événement qui ne manque pas de bouleverser la réflexion des esprits des Lumières dès la présente génération.

Pourtant quelques décennies auparavant, dans les années 1670, l’Espagne et le Portugal ont eu l’occasion de tourner la page de l’obscurantisme:

  • Tout à coup[3], à la cour du Portugal comme dans l’entourage du pape, on tenta de briser le pouvoir de l’Inquisition. À la tête de cette opposition se trouvait un père jésuite, Antonio Vieira, très habile et très fin, qui témoignait une prédilection marquée aux Juifs et aux Marranes. Pendant son séjour à Amsterdam, il assistait aux sermons des prédicateurs juifs et entretenait des relations amicales avec Manassé ben Israël et Aboab. L’Inquisition le condamna à rester enfermé (…) et le priva du droit de voter et de prêcher.
  • Une fois remis en liberté, Vieira songea à se venger du Saint-Office ; il trouva des auxiliaires actifs et intelligents dans les membres de son ordre. Pour saper l’influence du Saint-Office auprès du Pape, il se rendit à Rome, d’autre part le provincial des Jésuites à Malabar, Balthazar, vint soumettre au régent du Portugal, Don Pedro, un plan pour reconquérir les Indes et dont la réussite, selon lui, dépendait du concours des capitaux marranes. La conclusion était qu’il fallait ménager des gens qui pouvaient devenir si utiles. […]
  • À Rome, les efforts d’Antonio Vieira et de l’ordre des Jésuites contre l’Inquisition furent couronnés de succès. Le pape Clément X, par un bref du 3 octobre 1674, suspendit l’action des tribunaux d’Inquisition au Portugal, leur défendit de prononcer la peine de mort ou des galères ou de la confiscation des biens contre la Marranes et leur enjoignit de soumettre à l’Office général de l’Inquisition à Rome tous les procès en cours contre des Marranes incarcérés. En même temps il autorisa les « nouveaux chrétiens » à envoyer des délégués à Rome pour exposer leurs griefs contre le Saint-Office.
  • Les Jésuites triomphèrent pour le moment. Mais le peuple, poussé par des agents secrets du Saint-Office, criait dans les rues de Lisbonne : « Mort aux Juifs et aux Marranes ! » Et lorsque le pape, par une nouvelle bulle, destitua les inquisiteurs de leurs fonctions et leur ordonna de remettre au nonce les clefs des prisons du Saint-Office, ils refusèrent d’obéir.
  • Dans la crainte que le pape n’intervienne également en Espagne, les inquisiteurs de ce pays décidèrent de frapper un grand coup pour l’intimider. L’Espagne avait alors à sa tête le jeune et faible roi Charles II. Ils lui firent croire qu’il ne pourrait pas offrir de spectacle plus attrayant à sa femme, Marie-Louise d’Orléans, nièce de Louis XIV, qu’en faisant brûler sous ses yeux un nombre considérable d’hérétiques. Le souverain résolut immédiatement d’organiser un important autodafé en l’honneur de la reine.
  • Sur son ordre, le grand inquisiteur, Diego de Saramiento, invita tous les tribunaux d’Espagne à expédier à Madrid les hérétiques déjà condamnés. Un mois avant la date fixée pour l’exécution, des hérauts annoncèrent solennellement cette fête aux habitants de la capitale. Pendant plusieurs semaines, on travailla avec une activité fiévreuse à élever des estrades pour la cour, la noblesse, le clergé et le peuple.
  • Le jour si impatiemment attendu arriva enfin (30 juin 1680). Depuis longtemps on n’avait vu réunies tant de victimes de l’Inquisition. Cent dix-huit personnes de tout âge, dont soixante-dix Marranes ! […] Dix-huit Marranes qui avaient proclamé publiquement leur attachement à la foi juive furent livrés aux flammes. Parmi eux, une veuve de soixante ans, avec ses deux filles et son gendre, et deux autres femmes dont la plus jeune avait trente ans. Tous moururent avec une admirable fermeté. La Marquise de Villars raconte qu’elle n’eut pas le courage d’assister à cette épouvantable exécution et que le seul récit des atrocités commises lui causa une profonde horreur. […]

Cet autodafé produisit sur la curie romaine l’effet désiré, car le pape Innocent XI cessa de s’opposer au fonctionnement des tribunaux d’inquisition au Portugal. L’occasion ratée par le Portugal et l’Espagne de rejoindre la course de nations vers les Lumières se confirme dans les décennies suivantes:

  • Le XVIIIe siècle[4] commença avec une véritable extermination de nouveaux chrétiens. Pas une seule année ne s’écoulait sans au moins un autodafé. En 1704, en une seule de ces cérémonies, 60 personnes furent condamnées pour judaïsme. À la fin de cette année commença le règne de Jean V (1689-1750), un habitué et un passionné des autodafés. En 1713, un sermon fait par l’Inquisiteur Francisco Pedroso, intitulé « Exhortation dogmatique contre la perfidie juive », fut imprimé et connut un grand succès. Plusieurs nouveaux chrétiens de Bragance – une région habitée par une majorité « juive » – furent alors brûlés.

Les emprisonnements de suspects furent si nombreux qu’ils amenèrent Luis de Cunha, l’ambassadeur de Jean V auprès de la cour de Louis XV, à écrire, pendant la minorité du roi José 1er : « Lorsque votre altesse occupera le trône, elle trouvera beaucoup de villages et de hameaux presque dépeuplés… Si votre Altesse demande la cause de cette ruine, je ne sais si quelqu’un osera lui répondre avec la liberté dont j’ai l’honneur d’user. C’est l’Inquisition qui, en emprisonnant les uns pour crime de judaïsme et en contraignant les autres à quitter le royaume avec leurs richesses par crainte de confiscation s’ils étaient emprisonnés, chassa les nouveaux chrétiens avec leurs industries ».

À l’aube du tremblement de terre de Lisbonne, un dernier autodafé de masse a lieu à Madrid :

  • Entre 1721 et 1727[5], on chassa le juif à Madrid, où plus exactement le marrane judaïsant : huit-cent vingt personnes furent arrêtées, soixante-quinze brûlées. Dernier autodafé de masse et signe ultime de faiblesse plus que de réelle force politique.

Alors que le monde occidental depuis plusieurs générations s’achemine vers un monde de tolérances, à l’aube de cet événement et depuis quatre générations le Portugal et l’Espagne ont au contraire accru l’intolérance religieuse en faisant renaître une Inquisition dans des pays où il n’y avait plus de Juifs, mais seulement des « nouveaux chrétiens » qui désespérément essayaient de garder quelques éléments de leurs racines juives comme le montrent les derniers autodafés des années 1720.

80 ans après l’échec de la tentative de normalisation de Antonio Vieira avec le soutien du Pape et la restauration d’une Inquisition encore plus aveugle, comme Sodome et Gomorrhe qui n’avait pas su effacer leurs fautes passées, la ville de Lisbonne est rasée par ce que l’on peut considérer comme la colère divine, puisque correspondant à la fin de la quatrième génération après la faute originelle, sans expiation salutaire pendant les quatre-vingts ans qui sépare la faute de la sanction puisque jusqu’à la veille de cette génération, les Portugais ont continué dans leurs voies. Ainsi en 1755, le 1er novembre, jour saint pour les inquisiteurs, un tremblement de terre mit fin à ce qui restait de suprématie du Portugal et de l’Espagne :

  • Le tremblement de terre[6] frappa au matin de la fête catholique de la Toussaint, le 1er novembre. Des sources contemporaines indiquent que trois secousses distinctes se produisirent sur une durée d’une dizaine de minutes, causant de larges fissures (jusqu’à 5 mètres) et dévastant la ville. Les survivants se ruèrent vers l’espace ouvert et supposé sûr que constituaient les quais, et y assistèrent au reflux de la mer, laissant à nu des fonds marins jonchés d’épaves de navires et de marchandises perdues. Plusieurs dizaines de minutes après le séisme, un énorme tsunami avec des vagues d’une hauteur de 5 à 10 mètres submergea le port et le centre-ville avant d’atteindre le fleuve du Tage. Il fut suivi de deux nouvelles vagues. Les zones épargnées par le tsunami furent quant à elles touchées par des incendies (les chutes de cheminées favorisant l’éparpillement des feux domestiques) qui firent rage pendant cinq jours.
  • Lisbonne ne fut pas la seule ville portugaise affectée par la catastrophe : les destructions touchèrent tout le sud du pays, en particulier l’Algarve.
  • Sur les 275 000 habitants de Lisbonne, environ 60 000 trouvèrent la mort. Autres régions grandement affectées, l’Andalousie et la Galice dont les ports principaux (Cadix, Séville, La Corogne) furent tellement détruits que le commerce maritime mondial s’en trouvera bouleversé, le trafic avec les Amériques s’opérant dorénavant avec les ports d’Europe du Nord (France, Pays Bas, Grande Bretagne). Ceci eut pour conséquence la perte de la suprématie maritime de l’Espagne en Atlantique. 85 % des bâtiments de Lisbonne furent détruits. Plusieurs bâtiments relativement épargnés par le séisme furent détruits par les incendies qui s’ensuivirent. Un opéra flambant neuf, baptisé du nom prémonitoire d’Opéra Phoenix, fut réduit en cendres. Le Palais Royal, juste au bord du Tage et à l’emplacement actuel de la place Terreiro do Paço, fut également détruit : à l’intérieur, les 70 000 volumes de la bibliothèque royale furent perdus, tout comme des centaines d’œuvres d’art incluant des peintures de Titien, Rubens et du Corrège. Des archives royales extrêmement précieuses disparurent, et avec elles le compte-rendu détaillé des grandes explorations réalisées par Vasco de Gama et d’autres navigateurs.
  • Le tremblement de terre eut par ailleurs raison des principaux édifices religieux de Lisbonne, en particulier la cathédrale de Santa Maria, les basiliques de São Paulo, Santa Catarina, São Vicente de Fora, et enfin l’église de la Miséricorde. L’hôpital royal de Tous les Saints, le plus grand hôpital du monde à l’époque, fut consumé par le feu avec plusieurs centaines de ses patients. La tombe du héros national Nuno Alvares Pereira fut aussi perdue, et les visiteurs actuels de Lisbonne peuvent toujours se promener sur les ruines du couvent des Carmes , qui furent préservées pour rappeler la catastrophe aux lisboètes.

De fait les principaux ravages du tremblement de Terre sont consécutifs au Tsunami qui a suivi, donc c’est bien par l’eau que le Portugal et l’Espagne ont été punis quatre générations après leurs fautes. Quatre-vingts ans après que le peuple de Lisbonne cria « mort aux juifs et aux marranes » dans les rues de Lisbonne en réponse aux voies de la raison, leurs descendants furent submergés par les flots.

Ce tremblement de terre n’eut pas que des conséquences économiques et humaines, en plein Siècle des lumières, la destruction quasi complète d’une des capitales de l’occident ne pouvait que nourrir la réflexion des philosophes de cette génération :

  • Le tremblement de terre[7] secoua bien plus que des villes et des bâtiments. Lisbonne était (et reste) la capitale d’un pays profondément catholique, qui était réputé pour la foi de ses habitants et la vigueur de l’évangélisation dans ses colonies. La catastrophe survint de plus le jour d’une fête catholique essentielle et détruisit la plupart des églises les plus importantes. La théologie et la philosophie du XVIIIe siècle pouvaient difficilement expliquer une telle manifestation de colère divine.
  • Le tremblement de terre eut une forte influence sur de nombreux penseurs européens de l’époque des Lumières. Plusieurs d’entre eux mentionnèrent ou firent allusion à cet événement dans leurs écrits, notamment Voltaire dans Candide ou dans son poème sur le désastre de Lisbonne. Le caractère arbitraire avec lequel les personnes mouraient ou survivaient fut souligné par Voltaire dans la critique du meilleur des mondes possibles qui l’opposait à Leibniz.

C’est cette toute puissance divine exprimée à Lisbonne qui remet en cause les espoirs des Lumières, tels qu’exprimés à la présente génération, de domestiquer la nature qui est évoquée dans la suite de ce psaume :

  1. Oui, je sais que grand est l’Éternel, grand notre maître plus que toutes les divinités.
  2. Tout ce que veut l’Éternel, il le fait, dans les cieux et sur les terres, sur les mers et dans les profondeurs de l’abîme.
  3. Il amène les nuages des extrémités de la terre ; il accompagne d’éclairs la pluie, fait s’échapper le vent de ses réservoirs.

Le psalmiste en réaffirmant la maîtrise des éléments dont les éclairs, pourtant récemment maîtrisés par Benjamin Franklin, indique bien que la présence divine n’a pas disparu. Comme elle a puni les premiers nés d’Égypte 80 ans après que les Égyptiens s’en soient pris aux premiers nés des Juifs exilés sur leur terre, Dieu s’en prend aux Portugais 80 ans après que ceux-ci se soient acharnés une nouvelle fois contre les Juifs exilés sur leurs terres.

C’est ce que résume le psalmiste sur la suite du psaume :

  1. C’est lui qui a frappé les premiers nés d’Égypte, parmi les hommes et parmi les animaux ;
  2. il a envoyé signes et prodiges sur ton sol, ô Égypte, contre Pharaon et tous ses serviteurs.

Comme déjà indiqué, la dernière phase des psaumes est liée au deuil de 30 jours après la disparition de Moïse à la tête des destinées de son peuple. Son testament, il le déclame dans le Deutéronome:

  • Moïse[8] alla ensuite adresser les paroles suivantes à tout Israël, leur disant : « J’ai cent vingt ans aujourd’hui, je ne peux plus vous servir de guide ; d’ailleurs, l’Éternel m’a dit : « Tu ne traverseras pas ce Jourdain » ».
  • L’Éternel, ton Dieu, marche lui-même devant toi ; c’est lui qui anéantira ces peuples devant toi pour que tu les dépossèdes. Josué sera ton guide, comme l’Éternel l’a déclaré. Et le Seigneur les traitera comme il a traité Sihon et Og, rois des Amorréens, et leur pays, qu’il a condamné à la ruine. Il mettra ces peuples à votre merci, et vous procéderez à leur égard, en tout, selon l’ordre que je vous ai donné. Soyez forts et vaillants ! Ne vous laissez effrayer ni intimider par eux ! Car l’Éternel, ton Dieu, marche lui-même avec toi ; il ne te laissera pas succomber, il ne t’abandonnera point !

Le psalmiste rappelle cette promesse dans la suite du psaume, non plus au futur comme dans le Deutéronome, mais cette fois au passé. En effet, Dieu, malgré ce qu’on pu subir les Juifs depuis le débit de la nuit, n’a pas abandonné son peuple et a finalement détruit tous ses ennemis et détruira également les ennemis des générations suivantes comme il a pu détruire à Lisbonne les Églises surchargées en statues vénérées d’or et d’argent.

C’est ce que rappelle la suite du psaume :

  1. Il a battu des peuples puissants, fait périr des rois formidables.
  2. Sihon, roi des Amorréens, Og, roi de Basan, et tous les souverains de Canaan,
  3. pour donner leur pays en héritage, en héritage à Israël, son peuple.
  4. Éternel, ton nom dure à jamais, Éternel, ta gloire – d’âge en âge.
  5. Car l’Éternel fait justice à son peuple et il est plein de commisération pour ses serviteurs.
  6. Les idoles de nations, faites d’argent et d’or, sont l’œuvre de mains humaines.
  7. Elles ont une bouche et ne parlent point, des yeux et ne voient pas ;
  8. elles ont des oreilles et n’entendent point, il n’y a même pas un souffle dans leur bouche.
  9. Puissent devenir comme eux ceux qui les fabriquent, quiconque met en elles sa confiance !

La nation juive

Ce constat est idéalement fait à cette génération, car les philosophes constatent que malgré les apparences de déchéances, le peuple Juif fait preuve d’un don de survie miraculeux comme le constate Jean Jacques Rousseau (1712-1778). Si ce dernier ne se sent pas attiré par le judaïsme du fait de la cruauté de son Dieu et du principe de l’élection, il reste admiratif devant la survivance du peuple élu à travers les âges :

  • Un[9] spectacle vraiment étonnant et vraiment unique est de voir un peuple expatrié n’ayant plus ni lieu ni terre depuis près de deux mille ans, un peuple mêlé d’étrangers, n’ayant plus peut-être un seul rejeton des premières races, un peuple épars, dispersé sur la terre, asservi persécuté, méprisé de toutes les nations, conserver pourtant ses caractéristiques, ses lois, ses mœurs, son amour patriotique de la première union sociale, quand tous les liens en paraissent rompus. Les Juifs nous donnent un étonnant spectacle ; les lois de Numa, de Lycurgue, de Solon, sont mortes ; celles de Moïse, bien plus antiques, vivent toujours. Athènes, Sparte, Rome ont péri et n’ont plus laissé d’enfants sur la terre ; Sion détruite n’a pas perdu les siens.
  • Ils se mêlent chez tous les peuples et ne s’y confondent jamais ; ils n’ont plus de chefs, et sont toujours peuple ; ils n’ont plus de patrie, et sont toujours citoyens.

Si Jean Jacques Rousseau ne manquait pas de partager certaines visions négatives sur les Juifs avec ses contemporains, il considérait toutefois que leurs éventuels défauts étaient dus à leurs conditions particulières au sein du monde chrétien, voir également au sein du monde musulman. Ainsi, il est un des premiers non-juifs à considérer que les Juifs devaient avoir leur propre nation:

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  • Ceux[10] d’entre nous qui sont à portée de converser avec des Juifs ne sont guère plus avancés. Les malheureux se sentent à notre discrétion ! La tyrannie qu’on exerce envers eux les rend craintifs ! […] En Sorbonne, il est clair comme le jour que les prédictions du Messie se rapportent à Jésus-Christ. Chez les rabbins d’Amsterdam, il est tout aussi clair qu’elles n’y ont pas le moindre rapport. Je ne croirai jamais avoir bien entendu les raisons des Juifs, qu’ils n’aient un État libre, des écoles, des universités où ils puissent parler et disputer sans risque. Alors seulement nous pourrons savoir ce qu’ils ont à dire.

Il n’est pas le seul à penser que les Juifs doivent avoir leur pays. Les Russes iront plus loin en créant la première armée juive de libération de Jérusalem. À l’aube[11] de cette génération, Jérusalem était aux mains de la famille Husseini, nom en fait de l’ancienne famille dominante que la nouvelle famille, les al-Ghudayya, avait décidé d’emprunter. La famille ainsi nouvellement nommée sera une des plus puissantes familles de Jérusalem jusqu’au XXIe siècle. Sous leur domination les Juifs de Jérusalem subirent de nombreuses exactions incitant deux cents familles juives à partir de Jérusalem. À partir de 1730, le pouvoir ottoman s’effondre en Terre sainte, Zahir, un cheik bédouin domine alors une importante région au nord qu’il administre depuis Acre. S’associant à un général égyptien il conquit quasiment toute la Palestine échouant à Jérusalem. Les Russes déjà en guerre avec les Ottomans et intéressés uniquement par Jérusalem s’associèrent au combat avec Zahir contre les ottomans pour la prise de la ville. Les ottomans furent contraints à la paix :

  • Dans le traité signé en 1774, Catherine et son partenaire le prince Potemkine contraignirent les Ottomans à accepter que les Russes protègent les orthodoxes (chrétiens) – à terme, l’obsession grandissante de la Russie pour Jérusalem déboucherait sur une guerre européenne.
  • Potemkine, un des dirigeants les plus philosémites de l’histoire de la Russie, était un chrétien sioniste qui estimait que la libération de Jérusalem s’inscrivait dans son projet grec (de récupération de Constantinople). En 1787, il créa le régiment Israélovski de cavalerie juive, destiné à prendre Jérusalem. Un témoin, le prince de Ligne, se moqua de ces cavaliers à bouclettes, qu’il traita de « singes à cheval ». Potemkine mourut avant de pouvoir mettre son plan à exécution.

Même si le régiment Israelovski ne combattra pas pour reprendre Jérusalem, la direction pour le peuple Juif pour les quinze dernières générations de la nuit est désignée : le retour à Sion.

C’est ce qu’exprime la fin du psaume de cette génération :

  1. Maison d’Israël, bénissez le Seigneur ! Maison d’Aaron, bénissez le Seigneur !
  2. Maison de Lévi, bénissez le Seigneur ! Adorateurs de l’Éternel, bénissez le Seigneur !
  3. Que l’Éternel soit béni de Sion, Lui qui demeure à Jérusalem. Alléluia !
  • Cette génération fait partie de la 3ème garde de la nuit (générations 99 à 147).
  • Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
  • En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.

Pendant de nombreuses générations, le judaïsme a survécu à tous ses ennemis et a vaincu l’adversité.

Un des ferments de cette résistance était la loi, celle de la Torah mais également l’orthodoxie religieuse axée sur le Talmud et son interprétation.

A l’aube de l’émancipation, alors que les Juifs peuvent espérer enfin s’adonner librement à leur religion sans risque de représailles, nombreux sont ceux – surtout parmi l’élite – qui considère que cet assouplissement est l’occasion d’en finir complètement avec la vie de paria en adoptant la religion dominante :

  • Au lendemain[26] de la guerre de sept ans (1756-1763), certaines familles juives, les Ephraïm, les Isaac et les Itzig, payaient à elles seules plus de 15 % des taxes communautaires. Intermédiaires indispensables des souverains et des princes en guerre, elles amassèrent des fortunes colossales tout en continuant à respecter les lois alimentaires et les règles du shabbat. Le jeune Mendelssohn, venu à Berlin à quatorze ans, en 1743, n’avait donc pas perdu ses points de repère (Mendelssohn était vraisemblablement soutenu matériellement par ses familles). C’est pour cette génération religieuse d’hommes riches mais demeurés fidèles à l’observance religieuse qu’il écrit son Bi’ur (traduction commentée du Pentateuque en allemand). Toutefois, leurs descendants, c’est-à-dire les lecteurs et les disciples de Mendelssohn nés entre 1750 et 1760, n’étaient plus aussi profondément ancrés dans les traditions ancestrales. Cette deuxième génération post-mendelssohnienne ne fut pas aussi décimée par l’apostasie que la troisième ; les historiens ont parlé d’une véritable épidémie de conversions entre 1780 et 1790.

La génération 135 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 82 du Deutéronome:

  1. L’Éternel te frappera (de déraison,) d’aveuglement, (de stupeur du cœur),

Paul David

[1] D’après www.histoiredesjuifs.com, rubrique « chronologie ».

[2] D’après : (sous la direction de) Jean Delumeau : « L’histoire du monde de 1492 à 1789 ». Chapitre : « La naissance des Etats Unis d’Amérique ». (p. 502 à 507)

[3] Heinrich Graetz : « Histoire des Juifs, volume 5 ». Chapitre : « Clément X et les marranes du Portugal ». (p. 214 à 218)

[4] (Collectif dirigé par) Henry Méchoulan : « Les Juifs d’Espagne, histoire d’une diaspora, 1492-1992 ». Chapitre de Anita Novinsky : « Juifs et nouveaux chrétiens du Portugal ». (p. 91).

[5] Riccardo Calimani : « L’Errance juive ». (p. 356)

[6] Source : www.wikipedia.org

[7] Source : www.wikipedia.org

[8] DEUTÉRONOME, Chapitre 31, versets 1 à 6.

[9] Léon Poliakov : « Histoire de l’Antisémitisme, 2 – L’âge de la science ». Chapitre : « Le Siècle des Lumières ». (p. 44)

[10] Léon Poliakov : « Histoire de l’Antisémitisme, 2 – L’âge de la science ». Chapitre : « Le Siècle des Lumières ». (p. 42) (citation d’un passage de «L’Émile ou De l’éducation » de Jean-Jacques Rousseau)

[11] D’après : Simon Sebag Montefiore : « Jérusalem : Biographie ». Chapitre : « Les familles ». Le passage sur Potemkine est issu de la note de la page 373.

[26] Maurice-Ruben Hayoun : « Les lumières de Cordoue à Berlin». (Tome 2, p. 151)