Résumé:

Cette génération est celle des années 1610 à 1630.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 127 associée au psaume 127. C’est dans ce psaume 127 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

Sous fond de lutte religieuse entre catholiques et protestants, cette génération voit le début de la guerre de 30 ans (1618-1648). Le conflit s’internationalise dès 1621. A l’issue du conflit la population totale de l’Allemagne baisse de 30 %. Les communautés juives touchées au même titre que le reste de la population ne sont pas épargnées.

Avant que la guerre de Trente ans se déclare, la ville d’Amsterdam devient la première ville chrétienne des temps modernes où les Juifs peuvent pratiquer leur religion librement. Le gouvernement d’Amsterdam chargea l’illustre juriste Grotius d’étudier la question que soulevait l’installation des Juifs. Le magistrat d’Amsterdam, calviniste orthodoxe, exigea une orthodoxie juive. Pour la première fois dans l’histoire, les juifs se voyaient octroyer un statut plus enviable que des chrétiens. En effet, le magistrat d’Amsterdam donnait aux juifs la possibilité d’exercer librement leur culte, possibilité qu’il refusait à certaines sectes chrétiennes.

Développement:

La guerre de 30 ans

Cette génération[1] est marquée par le début de la guerre de 30 ans qui est l’aboutissement de la lutte entre réforme et contre réforme en Europe et qui surtout concernera l’Allemagne qui bien que théoriquement dirigée par l’empereur est en fait constituée de 350 états autonomes.

Le conflit démarre en 1618, lorsque deux catholiques sont défenestrés à Prague par des protestants qui étaient venus se plaindre des mesures les concernant. Bien que les deux défenestrés s’en sortent indemnes, la guerre de Trente ans vient de commencer. Le souverain de Bohème dont fait partie Prague avait, en 1617, cessé de jouer le jeu du pluralisme confessionnel et politique, désirant la restauration du catholicisme au détriment des protestants. La défenestration de Prague débouche très vite sur une guerre générale. Les raisons en sont nombreuses : elles mêlent des motivations religieuses (l’antagonisme entre les catholiques et les protestants), politiques (le désir d’autonomie par rapport aux Habsbourg), et territoriales (de nombreux princes cherchent à agrandir leurs états).

Defenestration-prague-1618

Malgré les premiers succès militaires des protestants, les catholiques soutenus par le Pape et le roi d’Espagne remportent une victoire décisive en 1620 qui a pour effet d’internationaliser le conflit et en 1621 la reprise de la guerre entre l’Espagne et les Provinces Unies. Le Danemark, la Suède et la France se mêleront au conflit à des degrés divers. Les bandes armées sèment la misère sur les territoires touchés par le conflit. Pendant[2] le conflit (1618-1648), la population totale de l’Allemagne baisse de 30 %. Les communautés juives touchées au même titre que le reste de la population ne sont pas épargnées.

Hugo de Groot (Hugo Grotius)

Avant que la guerre de Trente ans se déclare, la ville d’Amsterdam devient la première ville chrétienne des temps modernes où les Juifs peuvent pratiquer leur religion librement.

En 1579[3], la déclaration d’Utrecht, acte fondateur du pays stipule que nul ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses. Si cette déclaration tenait plus à assurer la coexistence entre catholiques et protestants qu’entre Juifs et chrétiens, progressivement les Juifs gagnent leur droit de citoyenneté, droit qui bascule à la présente génération :

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  • Le clergé[4] calviniste ne voyait pas forcément d’un œil particulièrement favorable la présence officielle de juifs dans la République (des Provinces Unies). Nombreuses furent les villes qui refusèrent absolument de les accueillir ; Alkmaar et Harlem furent les premières à leur accorder une charte.
  • À Amsterdam, et par deux fois, en 1606 et en 1608, on leur interdit l’acquisition d’un cimetière. À cette époque d’ailleurs, et jusqu’en 1616, les nouveaux arrivants s’efforcèrent d’être aussi discrets que possible, allant jusqu’à user de noms hollandais dans leurs affaires. De laborieuses tractations eurent lieu ; elles aboutirent en 1614. Désormais, les Juifs d’Amsterdam pouvaient enterrer leurs morts à Ouderkerk, petite localité située non loin de la ville et qui garde encore aujourd’hui les traces d’un passé glorieux.

Mais la pratique du judaïsme posait problème au magistrat de la ville d’autant qu’à cette époque le pays était au bord d’une guerre civile qui avait pour origine un conflit théologico-politique sur lequel se greffaient également des intérêts économiques. Le gouvernement d’Amsterdam chargea alors une commission d’étudier la question que soulevait l’installation des Juifs ; parmi ses membres, l’illustre juriste Grotius, qui présenta ses conclusions dans un rapport. S’inspirant de celui-ci, le magistrat définit en 1616 la situation des juifs sur les bords de l’Amstel. C’était « moins qu’une émancipation, mais plus qu’une tolérance » : les juifs ne pouvaient remplir aucune charge civile ou militaire, ne pouvaient se livrer au prosélytisme ni imprimer des ouvrages de polémique antichrétienne. Sur le plan commercial, ils étaient exclus des guildes et on leur déniait le droit de commercer au détail.

  • En revanche, fait exceptionnel, unique dans l’histoire du judaïsme moderne, non seulement nul ghetto ne bornait leur existence, mais encore le magistrat leur faisait obligation d’être de véritables juifs. Il leur fallait déclarer qu’ils croyaient à la loi de Moïse, à l’existence d’un Dieu créateur et à sa providence, à l’inspiration divine de Moïse et des prophètes ainsi qu’à l’existence d’une vie future, assortie de peines pour les méchants et de récompenses pour les justes. Le magistrat d’Amsterdam, calviniste orthodoxe, farouche partisan des thèses de Gomarus sur la prédestination, exigeait donc une orthodoxie juive afin de ne pas ajouter aux désordres et aux tensions religieuses que pouvait susciter l’hétérodoxie, d’où qu’elle vint. Ainsi, dès 1619, les juifs d’Amsterdam se virent contraints à la plus stricte observance de leur foi. On peut imaginer la stupéfaction qu’une telle exigence pouvait susciter pour les crypto-juifs ou les conversos qui gagnaient la ville. Pour la première fois dans l’histoire, les juifs se voyaient octroyer un statut plus enviable que des chrétiens. En effet, le magistrat d’Amsterdam donnait aux juifs la possibilité d’exercer librement leur culte, possibilité qu’il refusait à certaines sectes chrétiennes.

Pendant[5] la trêve avec l’Espagne, la croissance démographique de la population séfarade d’Amsterdam fut remarquable puisqu’elle passa de 500 individus en 1612 à plus de 1000 en 1620. La guerre de Trente ans mettant fin à la trêve avec l’Espagne porte un coup d’arrêt pendant environ vingt ans à l’expansion de la communauté juive portugaise. Ce ralentissement est compensé par l’arrivée de nombreux juifs ashkénazes fuyant le champ de bataille.

Si l’on se réfère au psaume de cette génération, nous pouvons noter qu’exceptionnellement ce psaume est rédigé par Salomon, qui a construit le Temple de Jérusalem. C’est donc dans ce sens qu’il faut interpréter le début du psaume de cette génération qui évoque la maison de Dieu soit le Temple à Jérusalem et la synagogue depuis sa destruction et l’exil des Juifs.

Les Juifs d’Espagne qui avaient choisi de conserver leur religion émigrèrent au Portugal où ils furent contraints à la conversion en 1497. Derrière un christianisme de façade, nombreux sont ceux qui conservèrent leur foi et essayèrent de conserver une partie des traditions juives en l’absence de « maison de Dieu », de synagogues.

Plus d’un siècle après, les descendants des convertis trouvent refuge à Amsterdam, que beaucoup considéreront comme la « nouvelle Jérusalem ». Non seulement ils peuvent revenir à la religion de leurs pères mais peuvent construire leurs premières synagogues qui permettront d’assurer la renaissance d’un judaïsme réel et sa transmission sur les générations suivantes.

C’est cette renaissance inespérée que le psalmiste évoque dans le début du psaume de cette génération. Sans cette providence divine, les efforts des crypto-juifs étaient voués à l’échec:

  1. Cantique des degrés. De Salomon. Si l’Éternel ne bâtit pas une maison, c’est en vain que peinent ceux qui la construisent ; si l’Éternel ne garde pas une ville, c’est en vain que la sentinelle veille avec soin.
  2. C’est en vain que vous avancez l’heure du lever, que vous prolongez tard vos veilles, mangeant un pain péniblement gagné ! A celui qu’il aime (Dieu) donne le nécessaire pendant son sommeil.

Le sommeil et les veilles évoquent comme nous l’avons déjà vu la longue période de l’exil (deux dernières veilles de la nuit juive) alors que le lever représente la rédemption (aurore) finale du peuple Juif.

Pour conserver secrètement et pendant plus d’un siècle le lien avec la religion de leurs pères dans l’univers répressif de l’Inquisition en Espagne et au Portugal, les crypto-juifs ont reporté tous leurs espoirs sur leur descendance :

  • Comment[6] se transmettait, de génération en génération, la tradition marrane ? Il ne pouvait évidemment pas être question d’une révélation dès l’enfance ni tant que les enfants n’avaient pas encore appris à tenir leur langue. Elle se faisait le plus souvent lors de l’adolescence, et il semble même que le rite de la Bar-Mitsva, ou maturité religieuse, se transforma en une sorte de mystère d’initiation. Souvent, la mère de famille en était chargée, et d’une manière générale le crypto-judaïsme se perpétuait souvent grâce aux femmes, qui en fin de compte deviendront de véritables prêtresses, les « sacerdotisas », des derniers marranes du XXe siècle.

Et également :

  • Au sein[7] même de la maison d’un crypto-juif, la foi ancestrale se transmettait avec la plus grande prudence, car les liens familiaux les plus intimes n’étaient pas toujours suffisants pour assurer le secret. Quel père pouvait être absolument sûr de ses fils, quel fils de son père, quelle femme de son mari, quels amants entre eux ? On sait que la plupart du temps, il appartenait aux femmes de transmettre la religion qui, petit à petit, au fil du temps, s’appauvrissait. Pour maintenir le secret, l’endogamie était fréquente. Les cousins germains s’unissaient souvent, et génération après génération, ce mode d’union était la règle, les femmes se mariant encore enfant, à 12 ou 13 ans, pour une meilleure initiation à la foi de leur mari, sans crainte d’indiscrétion. Et l’on sait qu’une foi l’union décidée, le mariage était consommée avant le passage à l’église. Les noces officielles donnaient lieu à des réjouissances particulièrement ostentatoires qui dans le secret des foyers devaient prendre une autre coloration : on avait accepté le serment religieux détesté pour pouvoir perpétuer une vie juive sans cesse menacée.

C’est sur cette transmission préservée par la descendance que le psalmiste conclut le psaume de cette génération saluant l’abnégation des Juifs du Silence qui sacrifièrent leurs propres vies dans le seul espoir d’assurer la transmission de leur foi :

  1. Voyez, le vrai don de l’Éternel, ce sont des fils ; sa récompense, c’est le fruit des entrailles.
  2. Des flèches dans la main d’un guerrier, voilà ce que sont les fils de la jeunesse.
  3. Heureux l’homme qui en a rempli son carquois ! Ils n’auront pas à rougir, lorsqu’ils plaideront contre des ennemis à la Porte.
  • Cette génération fait partie de la 3ème garde de la nuit (générations 99 à 147).
  • Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
  • En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.

Cette abnégation (évoquée à la fin du psaume) est également indirectement saluée par l’Inquisiteur :

  • Après[8] avoir fait brûler une vingtaine de « Nouveaux Chrétiens » le 14 octobre 1542, « sous un splendide ciel bleu », le redoutable inquisiteur de Lisbonne louait leur vaillance : « Rien ne m’étonna autant que de voir le Seigneur donner autant de fermeté à la faiblesse de la chair ; les enfants assistaient aux brûlements de leurs parents, et les femmes à ceux de leurs maris, sans qu’on entendît crier ou pleurer ; ils disaient au revoir et les bénissaient comme s’ils se séparaient pour se retrouver le lendemain ».

La guerre de Trente Ans est une nouvelle guerre de religion qui endeuille le vieux continent et pousse de nombreux Européens à jeter les bases d’une nouvelle société ailleurs. En particulier dans le nouveau Monde, en Amérique du Nord. De nombreuses villes sont créées qui, à l’image d’Amsterdam, prônent une liberté religieuse nouvelle. Elles seront autant de refuges pour les Juifs du vieux continent dans les prochaines générations.

New Amsterdam est fondé par des Hollandais en 1621 et deviendra plus tard New York.

C’est à cette génération que le Mayflower accoste en Amérique du Nord dans l’espoir de la création d’une société nouvelle, non sans être influencé par l’aventure du peuple Juif :

  • À Pâques[9] 1610, (à Jérusalem) un jeune Anglais arriva, qui représentait non seulement le nouveau protestantisme, mais aussi le Nouveau Monde. Georges Sandys, fils de l’archevêque d’York et universitaire qui avait traduit Virgile en Anglais, fut horrifié par l’état de décrépitude de Jérusalem. […] Ce fervent protestant fut encore plus écœuré par ce qu’il considérait comme les vulgaires boniments des orthodoxes et des catholiques. […] (Ce protestant convaincu, toutefois, vénérait Jérusalem autant qu’eux) […].
  • À son retour, il dédia son ouvrage au jeune Charles, prince de Galles, dont le père Jacques 1er avait commandé à cinquante-quatre érudits la création d’une Bible en anglais accessible à tous. En 1611, les lettrés publièrent leur « version autorisée » qui, reprenant des traductions antérieures, donna vie aux Saintes Écritures, chef-d’œuvre de traduction et de poésie. Cette Bible devint la pièce maîtresse spirituelle et littéraire de l’anglicanisme, le protestantisme si particulier de l’Angleterre. Elle composa ce qu’un auteur appela « l’épopée nationale de Grande Bretagne », une histoire qui plaçait les Juifs et Jérusalem au cœur même de la vie britannique puis, plus tard, américaine.
  • Sandys fut un de ces liens entre la ville et la Jérusalem mythique qu’incarnait le Nouveau Monde. En 1621, il partit pour l’Amérique en tant que trésorier de la Compagnie du Nouveau Monde. […] Sandys ne fut pas le seul pèlerin aventurier de Jérusalem à se retrouver sur l’autre rive de l’Atlantique : Henry Timberlake était en Virginie au même moment. Leurs pèlerinages vers la Terre promise de l’Amérique puisèrent en partie leur inspiration dans la vision protestante de la Jérusalem Céleste.
  • Les Virginiens de Sandys et Timberlake étaient des anglicans conservateurs, de ceux qui avaient la faveur de Jacques 1er et de son fils Charles. Mais les rois ne purent empêcher un nouveau protestantisme encore plus radical, de s’exprimer : les puritains épousaient la vérité fondamentale de la Bible, mais leur messianisme espérait des résultats immédiats. La guerre de Trente Ans, qui opposa catholiques et protestants et fit rage en Allemagne et dans le centre de l’Europe, ne fit qu’accroître le sentiment que la fin du monde était proche. […]
  • Des milliers de puritains fuirent l’église de Charles 1er pour fonder de nouvelles colonies en Amérique. Tandis qu’ils traversaient l’Atlantique en quête de liberté religieuse, ils lisaient dans leur Bible les textes sur Jérusalem et les Israélites, et se considéraient comme le Peuple élu, choisi par Dieu pour bâtir une nouvelle Sion dans les terres sauvages de Canaan. « Venez porter la parole de Dieu dans Sion », pria William Bradford en débarquant du Mayflower. John Winthrop, premier gouverneur de la colonie de la baie du Massachusetts, pensait que « le Dieu d’Israël est parmi nous ».

Pendant ce temps, l’Espagne, ayant confiance en son destin, continue à jeter les bases de son prochain déclin qui sera accéléré par les conséquences de la guerre de Trente ans :

  • Les catholiques[10], qui tiennent la pauvreté pour une vertu, désignent le judaïsme comme la religion du veau d’or. Mais, débarqués à Séville, les métaux précieux des Amériques se purifient en touchant le sol espagnol. Grâce à ses richesses, en 1550, Charles Quint règne sur un empire où le soleil ne se couche jamais.
  • Les feux de l’Espagne vont éblouir le monde pendant une période qui va du règne de Charles Quint à celui de Philippe IV (1605-1655). L’Espagne fait trembler l’Europe, mais, dès 1600, en Espagne même, des esprits lucides décèlent les signes du déclin. […]
  • En purifiant le royaume de cette « engeance » (les Juifs), les Rois Catholiques ont préparé la seconde arrivée du Christ. Le sacrifice a été exemplaire. […] Plus la perte est grande pour l’Espagne, plus le gain spirituel la sanctifie : elle recueille ainsi les faveurs de Dieu. À partir de 1609, Philippe III décide de chasser les morisques (musulmans convertis de force au christianisme) d’Espagne, se prive volontairement de plusieurs centaines de milliers de travailleurs agricoles que pleureront les seigneurs, propriétaires des terres qu’ils cultivaient. Mais le monarque et l’Espagne tout entière espèrent de cet ultime sacrifice la récompense divine… qui ne viendra pas.
  • La société divine attend tout de la providence divine. Elle est composée d’un côté de paysans – dont l’unique richesse, est l’honneur, c’est-à-dire une ascendance sans souillure juive – qui épuisent leurs forces sur une terre aride et rêvent de devenir « conquistadors », soldats ou prêtres : de l’autre, d’une classe dominante dont le seul souci est de jouir des délices fournies par leurs domaines et la cour. L’« hidalgo », le petit noble qui n’a pas mangé depuis deux jours, préfère se curer les dents ostensiblement pour faire croire qu’il vient de faire un bon repas plutôt que de chercher le moindre travail. Tout effort, tout travail fleure le désir de la réussite, de la prospérité et de l’argent, marques patentes du judaïsme. La naissance d’une classe moyenne dans ces conditions s’avère bien difficile dans de telles conditions. […]
  • Les Indiens et les nombreux esclaves noirs qui servent aux Amériques et dans la péninsule doivent suffire à la besogne. Il ne faut rien entreprendre pour rester pur, il faut tout attendre de Dieu. Dans ce contexte, l’homme industrieux ne peut être que le converso, c’est-à-dire, aux yeux d’une Espagne antijuive, un cryptojuif que l’on n’a pas débusqué.
  • Avec un tel état d’esprit, comment ne pas consacrer toute l’énergie du pays à la chasse aux cryptojuifs – derniers éléments de souillure -, dévolue au Saint-Office ?

Ainsi les Crypto-juifs qui sont restés en Espagne et au Portugal et n’ont pu se réfugier hors de la péninsule Ibérique sont piégés dans les griffes de l’Inquisition qui relance sa pression sur les quelques éléments encore présents.

Après[11] une accalmie entre 1602 et 1618, plus de 140 marranes de Porto sont arrêtés. À ce chiffre il faut ajouter les centaines de judaïsants qui se sont enfuis de Porto à temps, comme le firent Uriel Da Costa et ses frères. Suivant un des Marranes arrêtés, la plupart des « Nouveaux Chrétiens (descendants des Juifs convertis) » observent la loi du Seigneur (la loi juive). Parmi ceux qui furent arrêtés en 1618 par l’Inquisition, figure Léonor De Pina qui avait suivi l’enseignement de Gabriel da Costa (« autodidacte » dans son retour au judaïsme par une interprétation de la Bible) dont le procès nous renseigne sur le crypto judaïsme pratiqué par les marranes à cette époque au Portugal :

  • Dès[12] la fin du XVIe siècle, les marranes avaient abandonné :
    • La circoncision,L’imposition des noms juifs,Une cérémonie de « débaptisation »,Les règles de l’abattage rituel,L’usage des tephillins,La manière typiquement juive de prier,La célébration de la « Pâque de la corne », c’est-à-dire Rosh Hashana, la fête du Premier de l’an,
    • Certaines coutumes funéraires. […]
  • Pour introduire un peu d’ordre dans la description du marranisme par Léonor de Pina, nous étudierons successivement
    • Les fêtes,
    • La liturgie,
    • Les jeûnes hebdomadaires,
    • Les rites des nuits de Noël et de la Saint-Jean,
    • Le rite de la Halla,
    • Les interdictions alimentaires,
    • Les pratiques funéraires, […]
  • (Sur les fêtes) Après Pourim, Pessah : « Elle observait, lors de la pleine lune de mars, en s’abstenant de travailler et en mangeant durant sept jours du pain azyme. »
  • L’Inquisiteur lui ayant demandé comment elle préparait ce pain azyme, Léonor de Pina répondit qu’avec sa fille, « elle faisait des pâtés de poisson, avec une pâte de pain à l’huile et sans levain, et des gâteaux de cette même pâte, qu’elles cuisaient dans un four qu’elles avaient à la maison ». Branca de Pina confirme ce récit en précisant que, durant les sept jours, elles ne mangeaient que « du pain azyme, des poissons ou des œufs, ou ce qu’il y avait à la maison, pourvu que ce ne fût pas de la viande (qui en absence d’abattage rituel ne pouvait être cachère) ni du pain avec levain ». […]
  • (Sur le rite de la Halla) Quand Léonor et Branca Da Costa (la mère de Gabriel Da Costa) pétrissaient la farine en vue de la fabrication du pain, elles pratiquaient le rite de la halla en lançant dans le feu trois petites boules de pâte.

Contrairement à leurs coreligionnaires hors d’Espagne, les crypto-juifs n’ont évidemment pas de synagogues et ne peuvent respecter, sans automatiquement se faire arrêter, les principaux préceptes juifs. Ils ne peuvent plus respecter que quelques prescriptions symboliques comme le pain azyme à Pâques ou le prélèvement de la Halla. Mais face à une Inquisition vigilante, même ces préceptes deviennent un danger mortel pour eux.

La génération 127 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 53 du Deutéronome:

  1. et maudit ton pétrin,

Paul David

[1] D’après (sous la direction de) Jean Delumeau : « Histoire du monde de 1492 à 1789 ». Chapitre : « La guerre de Trente ans, 1616-1626 ». (p. 222 à 227).

[2] D’après (dirigé par) Jean Baumgarten et collectif : « Mille ans de culture ashkénazes ». Chapitre de Simon Schwarzfuchs: « De l’épanouissement d’Ashkenaz au seuil de la modernité ». (p. 80).

[3] (dirigé par) Henri Méchoulan : « Les Juifs d’Espagne, histoire d’une diaspora ». Chapitre de Yosef Kaplan: «République des Provinces Unies ». (p. 191)

[4] Henry Méchoulan : « Être Juif à Amsterdam au temps de Spinoza ». Chapitre : « Des Crypto-juifs aux « nouveaux juifs d’Amsterdam ». (p. 24 à 26)

[5] D’après (dirigé par) Henri Méchoulan : « Les Juifs d’Espagne, histoire d’une diaspora ». Chapitre de Yosef Kaplan: «République des Provinces Unies ». (p. 198-199)

[6] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme ». (p. 202/203).

[7] Henry Méchoulan : « Les Juifs du silence au siècle d’or espagnol ». (p. 73)

[8] Léon Poliakov : « Histoire de l’antisémitisme ». (p. 200/201).

[9] Simon Sebag Montefiore : « Jérusalem, Biographie ». Chapitre : « Mystiques et messies ». (p. 361 à 363).

[10] Henry Méchoulan : « Les Juifs du silence au siècle d’or espagnol ». (p. 32 à 35)

[11] D’après : Révah I.-S. La religion d’Uriel da Costa (d’après des documents inédits). In : Revue de l’histoire des religions, tome 161 n°1, 1962, pages 45-76, (d’après site http.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1962_num_161_1_7731).

[12] Révah I.-S. La religion d’Uriel da Costa (d’après des documents inédits). In : Revue de l’histoire des religions, tome 161 n°1, 1962, pages 45-76, (d’après site http.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1962_num_161_1_7731). (p. 62 à 70)