Résumé:

Cette génération est celle des années 690 à 710.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 82 associée au psaume 82. C’est dans ce psaume 82 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

Si Mahomet se détournât de Jérusalem pour orienter ses prières vers La Mecque, ses successeurs tentent de se réapproprier Jérusalem. En particulier dans la génération qui nous intéresse, Abd Al’ Malik fait construire en 691 la Coupole du Rocher sur l’ancien emplacement du temple de Salomon aux côtés de la mosquée Al Aqsa construite par ses prédécesseurs.

Dans le même temps, en 698, Carthage tombe aux mains des armées arabes, ouvrant un peu plus la route vers l’Espagne. Cette conquête est accompagnée du massacre sans distinction des habitants chrétiens et juifs et de leur conversion forcée à l’Islam. Ainsi si la conquête arabe est nécessaire à la survie des Juifs pour contrebalancer le pouvoir chrétien, le tribut à payer est loin d’être négligeable.

De fait, l’expansion arabe ne doit pas être enrayée, car le danger le plus vif, au moins pour cette période, pour le peuple d’Israël, reste du côté chrétien, et particulièrement

dans l’Espagne Wisigothique ou les lois anti-juives se succèdent et s’amplifient. Les pratiques anti-juives des Wisigoths, en particulier envers les nouveaux chrétiens serviront de modèle quelques siècles plus tard lors de la reconquête chrétienne, lorsque de nombreux Juifs penseront à leur tour éviter l’orage en feignant de se convertir. Lors de la répression contre les Marranes, de nombreuses lois des rois wisigoths seront simplement réactivées.

Développement:

La Coupole du Rocher

Du coté Byzantin, cette génération est marquée par le règne de Justinien II (685-695 puis 705-711) interrompu par les règnes de Léonce (695-705) et Tibère III (698-705), les deux étant exécutés au retour au pouvoir de Justinien (qui avait été obligé de s’exiler dans l’intermède). Justinien II finit son règne en étant exécuté à son tour par son successeur Philippicos Bardanès (711-713).

Du côté musulman, cette génération est celle des califats d’Abd Al-Malik (685-705) et d’Al Walid 1er (705-715).

Lorsque Mahomet commença à déclarer sa foi au Dieu unique, les enfants d’Israël pouvaient considérer la nouvelle foi qu’est l’Islam comme une avancée des nations vers la révélation divine, comme avait été prometteur l’avènement du christianisme.

Malheureusement, assez rapidement, si l’Islam considère le judaïsme comme une religion respectable, il lui reproche d’être en dehors de la vérité puisque ne reconnaissant pas Mahomet comme le dernier des prophètes. S’ensuit le statut de dhimmi, conférant aux Juifs un statut de citoyen de second ordre puis une concurrence dans la possession des lieux sacrés.

Si Mahomet se détournât de Jérusalem pour orienter ses prières vers La Mecque, ses successeurs tentent de se réapproprier Jérusalem. En particulier dans la génération qui nous intéresse, Abd Al’ Malik fait construire en 691 la Coupole du Rocher sur l’ancien emplacement du temple de Salomon aux côtés de la mosquée Al Aqsa construite par ses prédécesseurs.

Carthage

Dans le même temps, en 698, Carthage tombe aux mains des armées arabes, ouvrant un peu plus la route vers l’Espagne. Cette conquête est accompagnée du massacre sans distinction des habitants chrétiens et juifs et de leur conversion forcée à l’Islam. Ainsi si la conquête arabe est nécessaire à la survie des Juifs pour contrebalancer le pouvoir chrétien, le tribut à payer est loin d’être négligeable.

C’est dans ce contexte, où l’Islam triomphant se sent prêt à dominer le monde, qu’un avertissement lui est donné. En même temps qu’il investit Jérusalem pour en faire le troisième lieu de l’Islam, le premier lieu saint : La Mecque est rendu vulnérable.

Quatre-vingts ans après le début de l’Hégire et après que les musulmans ont commencer à opposer leur foi à celles des enfants d’Israël, La Mecque est victime du courroux divin. Une nouvelle fois, Dieu choisira l’eau comme instrument de sa colère :

  • En[10] l’an 80 (de l’Hégire), il y eut à La Mecque une grande inondation, qui détruisit beaucoup de maisons. Le torrent emporta tout ce qui se trouva sur son chemin, jusqu’à des chameaux tout chargés ; rien ne lui résistait ; il passait même dessus les murs des maisons. On désigne cette année par le nom de « l’année du torrent ». En cette même année, il y eut à Baçra une violente épidémie, dont moururent beaucoup de personnes.

À travers cet événement symbolique, Dieu montre que si son peuple continue à traverser la longue nuit de l’exil, il n’est pas jeté en pâture aux nations qui restent à devoir rendre des comptes de leurs actes. C’est ce qu’exprime le début du psaume de cette génération :

  1. Psaume d’Assaf. Dieu se tient dans l’assemblée divine ; au milieu des juges, il juge.
  2. Jusqu’à quand jugerez-vous avec iniquité, et prendrez-vous parti pour les méchants? Sélah !

L’Espagne Wisigoth

De fait, l’expansion arabe ne doit pas être enrayée, car le danger le plus vif, au moins pour cette période, pour le peuple d’Israël, reste du côté chrétien, et particulièrement dans l’Espagne Wisigothique ou les lois anti-juives se succèdent et s’amplifient:

  • En 680[11], le roi Erwig ordonna à tous les Juifs du royaume d’accepter le baptême, faute de quoi ils devraient s’exiler. Les nobles non plus ne déployaient pas le même zèle que leurs rois dans la volonté d’opprimer les Juifs. Ils furent menacés de lourdes amendes s’ils étaient pris en train d’aider des Juifs à échapper aux lois.
  • Le roi suivant supprima la loi sur le baptême forcé, mais il obligea les Juifs du royaume à vendre, à un prix fixé par le roi, les vignes, les terres, les bâtiments et les esclaves qu’ils avaient achetés à des chrétiens. Cependant, cette politique ne put être appliquée avec succès.
  • Les Juifs d’Espagne, lassés de ces persécutions, commencèrent à faire entendre leur mécontentement. On disait qu’ils avaient passé des alliances avec les terribles musulmans d’Afrique du Nord. Le 9 novembre 694, le roi Eglica accusa les juifs de trahison. Leurs biens furent confisqués, tous les Juifs d’Espagne furent déclarés esclaves et donnés aux chrétiens de diverses provinces. Ils n’eurent plus le doit de pratiquer leur foi. Leurs enfants leur étaient enlevés, et on les confiait à des tuteurs chrétiens. De nombreux Juifs prirent la fuite. Dix-sept ans après cet édit, les musulmans envahirent l’Espagne.

Les pratiques anti-juives des Wisigoths, en particulier envers les nouveaux chrétiens serviront de modèle quelques siècles plus tard lors de la reconquête chrétienne, lorsque de nombreux Juifs penseront à leur tour éviter l’orage en feignant de se convertir. Lors de la répression contre les Marranes, de nombreuses lois des rois wisigoths seront simplement réactivées.

Elección_de_Wamba_como_rey_(Real_Academia_de_Bellas_Artes_de_San_Fernando)

Les rois wisigoths, en plus de s’opposer aux Juifs et de vouloir obsessionnellement leur imposer le christianisme, à l’instar des rois juifs, sacralisent leur fonction par l’église, essayant ainsi de donner encore plus de légitimité à la nouvelle alliance (le christianisme) par rapport à l’alliance primaire du peuple d’Israël :

  • C’est[12] précisément dans le royaume Wisigoth que le rite sacral tiré de l’Ancien Testament connaît son premier réemploi. Il est appliqué à Wamba au moment de son avènement, en 672. […]
  • Le rite du sacre franchit les Pyrénées et la Manche moins d’un siècle après son premier usage.

C’est cette arrogance des rois Wisigoths, à la veille de leur chute, que la fin du psaume évoque :

  1. Rendez justice au faible, à l’orphelin, proclamez le droit du pauvre, du nécessiteux !
  2. Assurez le salut du faible, de l’indigent, délivrez-les de la main du méchant !
    • Cette partie évoque le sort des Juifs en terre d’Espagne, rendus à l’état d’esclaves, dépossédés de leurs biens et de leurs enfants.
  3. Ils ne savent ni ne comprennent, ils s’avancent dans les ténèbres, tous les fondements de la terre sont ébranlés.
    • Alors que les rois Wisigoths sont au comble de leur combat envers les Juifs, les troupes musulmanes se préparent en terre d’Afrique à les faire tomber.
  4. J’avais dit, moi : « Vous êtes des dieux ; tous, des fils du Très-Haut ! »
  5. Mais non, vous mourrez comme des hommes, comme l’un des princes vous tomberez !
  6. Lève-toi, ô Dieu, fais passer la terre en jugement, car c’est toi qui es le maître de tous les peuples.
    • Les rois Wisigoths voulaient imposer leur croyance aux Juifs de leurs royaumes, s’appuyant sur la nature divine qu’ils attribuent à Jésus, le prophète du Christianisme, et par ricochet aux Rois Wisigoths à travers le rite sacral. Cette prétention leur sera inutile et ne leur donnera pas l’immunité désirée y compris auprès de leur propre aristocratie. À travers la future chute des rois Wisigoths, c’est le triomphe du réel divin qui est affirmé.
  • Cette génération fait partie de la 2ème garde de la nuit (générations 50 à 98).
  • Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
  • En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.

Nous avons évoqué, pour le début de ce psaume et à propos des premières générations de l’Islam, le jugement divin intervenant après quatre générations.

Un parallèle est à effectuer avec les rois Wisigoths. Ainsi l’intensification des mesures antijuives dans l’Espagne Wisigothique a réellement commencé lorsque les rois Wisigoths se sont sentis investis d’une mission divine.

Cela a été vraisemblablement initialisé en 633 :

  • Certains[13] historiens pensent qu’apparut dès 633 la coutume – qui allait se diffuser dans les monarchies occidentales – d’oindre les souverains, qui confèrent à l’Église le pouvoir de légitimer l’élection.

Quatre générations plus tard, une des plaies d’Égypte (les Sauterelles) allait s’abattre sur l’Espagne l’affaiblissant suffisamment pour la rendre vulnérable aux futures et proches attaques arabes :

  • À partir[14] des années 680, les accidents climatiques, responsables de mauvaises récoltes occasionnant des famines, se multiplient. Une terrible épidémie de peste bubonique frappe la Péninsule en 693-694 et à nouveau en 707 et 709, alors que les régions centrales souffrent de sécheresses qui dégénèrent en invasions de sauterelles.
  • Ces calamités naturelles auxquelles il conviendrait d’ajouter les conflits militaires, provoquent une baisse démographique qui, au début du VIIIe siècle, aurait été catastrophique, aux dires des chroniques arabes.

Rappelons que lorsque les sauterelles sont évoquées comme plaie d’Égypte dans le livre de l’Exode, elles sont considérées comme une plaie « d’air » puisque apportées par le vent :

  • Moïse[15] étendit sa main sa verge sur le pays d’Égypte ; alors l’Éternel dirigea un vent d’est sur le pays tout ce jour-là, puis toute la nuit. Le matin venu, le vent d’est avait amené les sauterelles. Elles se répandirent, les sauterelles, par tout le pays d’Égypte, et elles s’abattirent sur tout le territoire égyptien.

Les Juifs de l’Espagne Wisigoth souffriront également de ces plaies, mais c’est le prix à payer pour continuer à avancer dans la nuit.

La génération 82 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 114 du Deutéronome:

  1. Tous les arbres et les fruits de la terre, la sauterelle les appauvrira.

Paul David

[1] GENÈSE, Chapitre 1, verset 2

[2] LÉVITIQUE, Chapitre 17, verset 14

[3] DEUTERONOME, Chapitre 12, versets 23 et 24

[4] LÉVITIQUE, Chapitre 10, versets 1 et 2

[5] NOMBRES, Chapitre 16, versets 28 à 35

[6] Voir GENÈSE, Chapitre 11, verset 10

[7] EXODE, Chapitre 20, versets 3 à 6 (rappelé dans DEUTERONOME, Chapitre 5, versets 7 à 10)

[8] EXODE, Chapitre 7, versets 1 à 7

[9] EXODE, Chapitre 14, versets 15 à 18 et 26 à 28

[10] TABARI : « La Chronique, Les Omeyades » / Chapitre : « Gouvernement de Haddjadj, fils de Yousef, dans l’Irâq » (p.114)

[11] CHAIM POTOK : « Une histoire du peuple Juif ». Livre III : L’Islam, les rossignols dans la tempête de sable » (p. 404)

[12] Jean-Pierre MOISSET : « Histoire du Catholicisme ». Chapitre 5 : « Une église, deux cultures : Orient et Occident » (p. 149/150)

[13] Denis MENJOT : « Les Espagnes Médiévales 409-1474 » Chapitre : « L’Espagne des Wisigoths : Le royaume de Tolède 569-711 » (p. 24)

[14] Denis MENJOT : « Les Espagnes Médiévales 409-1474 » Chapitre : « L’Espagne des Wisigoths : Le royaume de Tolède 569-711 » (p. 28)

[15] EXODE, Chapitre 10, versets 13 et 14