Résumé:

Cette génération est celle des années 250 à 270 après JC.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 60 associée au psaume 60. C’est dans ce psaume 60 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

Le Judaïsme Babylonien reprend le flambeau du Judaïsme palestinien. La lutte entre les deux empires de l’époque, Rome et la Perse, remet en cause une situation propice au développement du Judaïsme Babylonien.

Palmyre alliée de Rome, fait payer aux Juifs leur soutien aux Perses. Ils rasent la ville de Nehardea et notamment l’académie rabbinique qui s’y trouve. La destruction de l’académie Babylonienne n’empêchera pas les sages de continuer leur œuvre et de finir de rédiger le Talmud Babylonien qui sera le ciment du peuple Juif pour de nombreux siècles.

Développement:

Hamat

Avant de s’intéresser au psaume lui-même, il faut essayer d’analyser une nouvelle fois son titre ou plutôt son introduction:

  1. Au chef des chantres. D’après Chouchân Edouth. Mikhtam de David, poème didactique,
  2. à l’occasion de sa guerre avec les Syriens de Çoba, lorsque Joab, à son retour, défit Édom dans la vallée du Sel,
  3. lui tuant douze mille hommes.

L’épisode évoqué est relaté dans Samuel (et plus rapidement dans I Chroniques, Chapitre 18), il se situe après que David ait définitivement clos les querelles de succession avec le clan de Saül. Aussi après que Dieu ait assuré la royauté à la maison de David pour toujours:

  • Ma[2] grâce ne l’abandonnera point (l’Éternel évoque le successeur de David : Salomon) comme elle a abandonné Saül, que J’ai dépossédé pour toi. Oui, ta maison et ta royauté sont à jamais assurées devant toi ; ton trône sera stable pour toujours.

Suite à cette promesse, David combat les ennemis d’Israël. C’est ce combat qui est rappelé en introduction du psaume :

  • David[3] défit les Philistins, abattit leur puissance et leur enleva Métheg-Haamma. Puis il vainquit les Moabites et les mesura au cordeau, les faisant coucher par terre et destinant deux lots à la mort, un lot à la vie sauve ; et Moab fut assujetti à David et devint son tributaire. Puis David battit Hadadézer, fils de Rehob, roi de Çoba, tandis qu’il marchait vers l’Euphrate pour étendre sa domination. David lui captura mille sept cents cavaliers et vingt mille hommes de pied, fit mutiler tous les attelages, et n’en conserva que cent. La Syrie de Damas vint au secours de Hadadézer, roi de Çoba ; David tua aux Syriens vingt-deux mille hommes. Il mit ensuite des garnisons dans la Syrie de Damas, qui devint sujette et tributaire de David. Ainsi le Seigneur protégeait David dans toutes ses campagnes. David s’empara des boucliers d’or appartenant aux serviteurs de Hadadézer, et les transporta à Jérusalem. Également de Bétah et de Bérotaï, villes de Hadadézer, le roi David emporta du cuivre en grande quantité.
  • Toï, roi de Hamat, ayant appris que David avait défait toute l’armée de Hadadézer, envoya son fils Joram au roi David, pour le saluer et le féliciter d’avoir combattu et vaincu Hadadézer, car celui-ci était en guerre avec Toï. Il lui envoyait en même temps des vases d’argent, d’or et de cuivre. Ceux-là aussi, le roi David les consacra à l’Éternel, comme il avait consacré l’argent et l’or de tous les peuples qu’il avait soumis : des Syriens, des Moabites, des Ammonites, des Philistins, des Amalécites, comme le butin pris sur Hadadézer, fils de Rehob, roi de Çoba. Quand il revint de battre la Syrie, David se fit encore un nom en battant dix-huit mille hommes dans la vallée du Sel. Il mit des garnisons dans l’Idumée, il en mit dans toute l’Idumée, qu’il assujettit toute entière. Et le Seigneur protégea David dans toutes ses voies.

En apparence, si tout n’est pas rose pour les ennemis de David, tout semble pour le mieux pour David et donc pour le peuple d’Israël, ce qui contraste avec le psaume qui est relativement négatif.

De fait, la victoire de David n’est pas complète. Hamat, dont le roi pactise avec David, sera le symbole de l’exil des deux futurs royaumes d’Israël. Lors de l’exil de Samarie, ce sont les habitants de Hamat qui viendront remplacer les Juifs de ce royaume. Après la chute de Jérusalem, une partie des Juifs du royaume de Juda sera déportée à Hamat. Dans la victoire de David, il y a déjà les signes des exils futurs du peuple d’Israël condamné à chercher à chaque fois une terre nouvelle où s’établir jusqu’à que l’histoire les oblige à un nouvel exil.

D’ailleurs[4] les signes de la chute du ou des royaumes d’Israël ne vont pas tarder, car David va être obligé de mener bataille contre les Ammonites et enverra à la bataille ses meilleurs soldats. Pendant que l’un d’eux Urie le Héthéen sera sur le champ de bataille, David fautera avec sa femme Bethsabée amenant la chute lente mais certaine du royaume.

Cette situation ambiguë est à l’image de la génération qui nous intéresse.

Palmyre

Alors que le Judaïsme Babylonien avait réussi à prendre le flambeau du Judaïsme palestinien et que le nouveau roi de Perse Chahpuhr 1er se montre plus clément que son prédécesseur envers les Juifs de Perse, la lutte entre les deux empires de l’époque, Rome et le Perse remet en cause cette situation propice au développement du Judaïsme Babylonien :

  • Chahpuhr[1] 1er (241-272) avait besoin d’argent pour lutter contre Rome, il épargna donc les Juifs et toutes les minorités religieuses. L’empereur Valérien fut vaincu et fait prisonnier (260), mais cette victoire perse fut rendue vaine par Odenath et Zénobie, souverains de Palmyre alliés à Rome, qui, par deux fois, repoussèrent les Perses jusqu’à Ctésiphon (en 263 et 265) et occupèrent les provinces orientales de l’Empire romain de 260 à 272. Les Juifs avaient, avec un acharnement particulier, lutté contre les Romains et les Palmyréniens ; de ce fait, les envahisseurs se vengèrent en rasant la ville de Nehardea et notamment l’académie rabbinique qui s’y trouvait (260).
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Le royaume de Palmyre ancien fief des Ammonites vient entraver l’expansion du judaïsme Babylonien.

C’est cet événement, la chute de Nehardea, que David évoque au début du psaume de cette génération :

  1. Ô Dieu, Tu nous as délaissés, tu as fait une brèche parmi nous, Tu T’es irrité : puisses-Tu réparer nos pertes !
    • Nehardea, avec Soura était le cœur du judaïsme Babylonien qui va à travers le Talmud de Babylone construire l’identité juive en exil nécessaire à sa survie. La destruction de cette académie aurait pu avoir sur cette construction la même conséquence que la brèche ouverte par les romains dans les défenses de Jérusalem. De même que le Temple, l’identité matérielle du judaïsme, a été détruit suite à l’ouverture de cette brèche, l’identité spirituelle aurait pu ne pas survivre à la destruction de Nehardea. La supplique de David sera écoutée à la prochaine génération avec la fondation de Poumbédita.
  2. Tu as fait trembler le pays, Tu y as ouvert des crevasses ; restaure ses ruines, car il vacille.
    • La destruction de Nehardea complète celle du Temple et celle consécutive à la révolte de Bar Kokhba et menace l’édifice du judaïsme.
  3. Tu en as fait voir de dures à Ton peuple, Tu nous as forcés de boire un vin de vertige :
  4. puisses-tu donner à tes adorateurs une bannière, pour s’y rallier au nom de la vérité. Sélah !
    • La bannière sera bientôt établie avec la rédaction du Talmud de Babylone.

Le Talmud Babylonien

Mais comme la chute de la dynastie Davidique et l’exil de la terre d’Israël n’ont pas suffi à faire disparaître le peuple juif, la destruction de l’académie Babylonienne n’empêchera pas les sages de continuer leur œuvre et de finir de rédiger le Talmud Babylonien qui sera le ciment du peuple Juif pour de nombreux siècles.

Ni l’esprit de David ni celui des sages babyloniens ne quitteront le peuple Juif qui pourra avec leur aide retrouver sa souveraineté et sa place auprès de Dieu à la fin des temps.

C’est cela que David évoque dans la suite du psaume où la citation de Galaad (Frontalier des Ammonites, soit Palmyre), Moab (Aire Perse) et d’Edom (Rome) à la vue des événements de cette génération n’est pas fortuite :

  1. Afin que Tes bien-aimés échappent au danger, secours-nous avec Ta droite, et exauce-moi !
  2. L’Éternel l’a annoncé en son sanctuaire : « Je triompherai, Je veux m’adjuger Sichem, mesurer au cordeau la vallée de Souccoth.
  3. À moi Galaad ! À moi Manassé ! Ephraïm est la puissante sauvegarde de ma tête, Juda est mon sceptre.
  4. Moab est le bassin où Je me lave ; sur Édom, je jette ma sandale. Chante donc victoire contre moi, pays des Philistins ! »
  5. Qui me conduira à la ville forte ? Qui saura me mener jusqu’à Édom ?
  6. Ne sera-ce pas Toi, ô Dieu, Toi qui nous as délaissés, qui ne faisais plus campagne avec nos armées ?
  7. Prêtes-nous secours contre l’adversaire, puisque trompeuse est l’aide de l’homme.
  8. Avec Dieu nous ferons des prouesses : c’est lui qui écrasera nos ennemis.
  • Cette génération fait partie de la 2ème garde de la nuit (générations 50 à 98).
  • Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
  • En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple.

Cette génération est aussi celle des persécutions de Dèce contre les chrétiens. Cette persécution vient en fait en réaction à l’expansion de cette nouvelle religion que les défenseurs des cultes traditionnels n’arrivent pas à endiguer:

  • En[5] ce milieu du IIIe siècle, s’accumulaient tous les malheurs à la fois : aux invasions barbares et aux usurpations qui entraînaient des guerres civiles s’ajoutaient des difficultés économiques croissantes et même des catastrophes naturelles ; depuis 250, une épidémie de peste venue d’Éthiopie, sévissait dans l’empire ; elle devait durait quinze ans. On comprend que la conscience publique se soit émue – les auteurs du temps se font l’écho du pessimisme général – au point de rendre responsables de tous les maux l’abandon des cultes traditionnels et du même coup la montée du christianisme. De là des tentatives de retour à la vieille religion étrusco italique et les persécutions antichrétiennes.

Cette peste affaiblit doublement l’établissement des juifs qui subsistent en terre d’Israël. Les effets directs de la peste elle-même, mais aussi les réactions antichrétiennes qui ne font que révéler le pouvoir d’attraction de la nouvelle religion que rien n’arrêtera. Les persécutions de Dèce ne font que créer de nouveaux martyrs qui accroissent l’attractivité de la religion. La dernière tentative de Dioclétien de combattre la nouvelle religion la renforcera encore puisque quelques années plus tard Constantin la déclarera religion officielle de l’empire. Ce choix contribue à la désaffection accélérée des juifs en terre d’Israël.

Dans l’antiquité, de nombreuses épidémies ont été dénommées « peste » y compris des épidémies de variole. Toutefois la peste dont il est question est vraisemblablement une peste de type bubonique et en tout état de cause une épidémie mortelle accompagnée de fièvre violente :

La génération 60 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 65 du Deutéronome:

  1. L’Éternel te frappera de fièvre violente, de dessèchement,

Paul David

[1] Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme/Cerf-Laffont/Esquisse de l’histoire du peuple Juif- Le monde antique et médiéval : Babylone (la période des Sassanides) p1138.

[2] II SAMUEL Chapitre 7, versets 15 et 16

[3] II SAMUEL Chapitre 8, versets 1 à 14

[4] Voir II SAMUEL Chapitres 10 et 11

[5] Marcel Le Glay/Rome II. Grandeur et chute de l’Empire/Chapitre : « La grande crise de l’Empire  (235-285) », p393-394