Résumé:

Cette génération est celle des années 50 à 70 après JC.

Suivant notre comptage, cette génération est la génération 50 associée au psaume 50. C’est dans ce psaume 50 que nous retrouvons donc une illustration des faits de cette génération.

Cette génération est celle de la destruction du second temple (70 après JC). La mort d’Agrippa I a supprimé tout espoir à la Judée de rester une grande puissance, devenue une province romaine. Agrippa II, qui lui succède a été élevé à Rome. Le royaume qui lui est confié est illusoire, il ne remet pas en cause la vassalité de la Judée envers Rome.

Pendant cette génération et jusqu’à la révolte de 66, de nombreux procurateurs romains se succèdent à la tête de la Judée poussant l’exaspération des Juifs jusqu’à la révolte de 66. Suite à une première victoire contre la douzième légion romaine en 66, la révolte prend de l’ampleur.

Mais les romains menés par Vespasien puis Titus emploient alors des moyens plus adéquats. En 67, la Galilée est déjà tombée et les combats se concentrent sur Jérusalem.

Les insurgés de Jérusalem auraient dû employer le peu de temps qu’il leur restait avant l’affrontement avec les romains pour renforcer leurs défenses et préparer le siège. Au lieu de cela, les différentes factions en présence mènent une lutte fratricide pour le pouvoir, provoquant la mort prématurée de nombreux combattants, et la destruction de vivres qui auraient permis de tenir le siège de nombreuses années.

Le manque d’effort pour renforcer les fortifications permet à Rome d’effectuer une brèche et de finir par s’engouffrer jusqu’au cœur de la ville. Jérusalem tombe et dans la confusion de la bataille, le Temple est incendié.

Cet événement marque la fin du service des prêtre aux Temple, celui-ci n’existant plus. C’est aussi le début de la survie du peuple Juif en exil, exil qui commence alors, exil bien plus rude que celui de Babylone.

Ce basculement se ressent dans les psaumes, dans le basculement des auteurs. Le psaume 50, celui de cette génération, en effet, est décliné par Assaf et vient ainsi rompre la série de huit psaumes, des psaumes quarante-deux à quarante-neuf qui étaient l’œuvre des fils de Coré.

Ces psaumes, quarante-deux à quarante-neuf, étaient en quelque sorte un plaidoyer pour Coré leur aïeul qui s’était opposé au grand prêtre Aaron. A la génération quarante-deux, Aristobule grand prêtre, descendant d’Aaron, s’était officiellement proclamé roi et cumulait ainsi les deux pouvoirs, le religieux et le politique, justifiant la plainte de Coré. A cette génération, Aaron et ses descendants sont punis en perdant le sacerdoce, venant confirmer la demande des fils de Coré des derniers psaumes de la première garde de la nuit, qui se termine à la génération 49. Les fils de Coré ont rempli leur mission.

Dans la présente génération, c’est le basculement d’un culte centré sur le temple et le sacrifice, à celui basé sur une relation directe avec Dieu basée sur la prière. Le chantre qui ne faisait qu’accompagner le grand prêtre est projeté au premier plan. C’est pour cette raison que le psaume de cette génération est décliné par Assaf qui prend la suite des psaumes des fils de Coré.

C’est David qui confia la direction des chants de grâce à l’Éternel à Assaf et à ses frères. Il est donc normal qu’Assaf, qui assure le culte divin via ses chants plutôt que par des holocaustes soit celui qui inaugure à travers son psaume l’époque de l’exil, celle associée aux deux dernières gardes de la nuit, celles de l’exil sans Temple.

Ainsi dans le psaume de cette génération, Assaf, le « voyant », annonce la fin du Temple: « Le Dieu tout puissant, l’Éternel parle ; il adresse un appel à la terre, du soleil levant jusqu’à son couchant. De Sion, ce centre de beauté, l’Éternel rayonne. Il s’avance, notre Dieu, et ce n’est pas en silence : devant lui, un feu qui dévore, autour de lui grande la tempête« .

Dans le même psaume, il annonce la fin du culte sacrificiel (fils de Coré) au profit de la prière (Assaf): « Je suis Dieu, ton Dieu ! Ce n’est pas pour tes sacrifices que Je te reprends : tes holocaustes sont constamment sous mes yeux. Je ne réclame pas de taureau de ta maison, ni des béliers de tes parcs. (…) En guise de sacrifice, offre à Dieu des actions de grâce, ainsi tu acquitteras tes vœux envers le Très-Haut ».

C’est naturellement dans cette direction que le Judaïsme Palestinien s’engage emmené par le mouvement pharisien. À la différence des autres, leur religion est déjà celle du Livre, et secondairement celle du Temple. À leurs yeux, la tradition des Sages a plus d’autorité que la succession des prêtres.

En attendant que le Judaïsme s’organise suite à la destruction du second temple qui interviendra dans cette génération, et donc à la fin du culte sacrificiel, une autre religion prend naissance : le Christianisme.

Après la mort de Jésus, la Christianisme n’était qu’une secte juive qui avait accolé à la loi mosaïque la croyance que Jésus était bien le Messie tant attendu. Comme le rappelle Origène: « Les Juifs qui croient en Jésus n’ont pas abandonné la loi de leurs pères ; ils vivent en conformité avec elle et leur nom vient de la pauvreté de cette loi. Car le pauvre s’appelle chez les Juifs « ebion » et ceux des Juifs qui reconnaissent Jésus comme le Christ se nomment Ebionéens ». Et il ajoute : « Pierre lui-même semble avoir observé longtemps les coutumes juives selon la loi de Moïse, comme il n’avait pas appris de Jésus à s’élever de la loi littérale à la loi spirituelle ».

Mais les premiers Chrétiens issus du Judaïsme se trouveront bientôt minoritaires. De nombreux païens sont séduits par la religion naissante. Ceux qui adoptent la nouvelle religion sont souvent ceux qui auparavant étaient déjà attirés par le Judaïsme de façon générale. Le Judaïsme était religion licite dans l’Empire romain à cette époque, le Dieu d’Israël était respecté par de nombreux romains qui soit le considérait comme Dieu unique soit lui réservaient une place de choix dans leur panthéon polythéiste. Avant l’avènement du Christianisme, en marge des Judaïsme et des Juifs, vivaient de nombreux païens fidèles aux principes du Judaïsme, sans pouvoir y adhérer, les « craignant-Dieu ».

Par rapport à cette clientèle potentielle du Christianisme, les premiers apôtres essaient, comme les Juifs avant eux, de les convaincre de la valeur de leur message sans remettre en cause les fondements de la religion initiale, la religion Juive.

La résistance des Juifs au Christianisme ne change pas l’attitude des premiers apôtres à leur égard ou envers la loi mosaïque. Elle provoque toutefois la rupture avec Paul qui refuse de voir le Christianisme à côté du Judaïsme. Il veut que tout le monde adhère au Christianisme. Ainsi la résistance des Juifs aux prêches de Paul attire sa colère.

Du fait de la résistance des Juifs vis-à-vis du Christianisme, Paul se tourne naturellement vers ce réservoir de païens déjà sensibilisés au Monothéisme. Au lieu de se contenter de les autoriser à n’appliquer qu’une partie de la loi, il préfère la déclarer caduque. Si les premiers Chrétiens étaient les représentants d’une secte juive qui avaient ajouté à la loi mosaïque la croyance que le Messie tant attendu avait été incarné en Jésus, ainsi c’est Paul qui vraisemblablement fait basculer cette secte en la religion que nous connaissons. C’est en particulier dans l’Épître aux Romains, que Paul promulgue les fondements du Christianisme : la foi à la place de la loi et ainsi initialiser la rupture entre le Judaïsme, la religion mère, et la religion naissante : le Christianisme.

Le discours de Paul, destiné aux païens semble sceller la déchéance du peuple d’Israël au profit des Chrétiens, le nouvel Israël. C’est ce que retiendront les chrétiens, ou tout du moins la majorité d’entre eux, au cours des vingt siècles qui suivront: la déchéance définitive de la loi et du peuple Juif au profit de la foi et du peuple Chrétien, le nouvel Israël.

Développement:

Les ferments de la révolte

Cette génération est celle de la destruction du second temple (70 après JC).

Elle commence au niveau politique par la royauté d’Agrippa II.

Agrippa II a été élevé à Rome. Le royaume qui lui est confié est illusoire, il ne remet pas en cause la vassalité de la Judée envers Rome. Souverain hellénistique fidèle à Rome, il n’hésite pas à se mettre du côté de Rome lors du soulèvement qui débute en 66.

Après la destruction de Jérusalem, il continue à gouverner des provinces juives et meurt sans lignée aux environs de 92 sans laisser de grandes traces dans l’histoire.

Pendant cette génération et jusqu’à la révolte de 66, de nombreux procurateurs romains se succèdent à la tête de la Judée poussant l’exaspération des Juifs jusqu’à la révolte de 66.

Pendant cette génération et jusqu’à la révolte de 66, de nombreux procurateurs romains se succédent à la tête de la Judée poussant l’exaspération des Juifs jusqu’à la révolte de 66 :

  • Cette[1] dernière période précédant le conflit général est caractérisée par une tension politique croissante qui devait presque nécessairement aboutir à la guerre. Les procurateurs étaient presque tous des incapables, occupés uniquement à exploiter la province sur le plan financier et à blesser – à souhait, dirait-on- les sentiments patriotiques et religieux des Juifs. Le réveil des « bandes terroristes » – des zélotes, donc, qui devaient finir par soulever le peuple contre Rome — est un signe typique de cette époque.

La révolte juive

La révolte Juive éclate effectivement en 66 :

  • La mainmise[2] du procurateur Gessius Florus (64-66) sur le trésor du temple marque la transition d’actions subversives de groupes isolés à une révolte ouverte générale. Josèphe nous en livre même la date : le 16 Artémisios (avril/mai) 66. Florus dut battre en retraite à Césarée et ne laissa à Jérusalem qu’une cohorte romaine. Les zélotes s’emparèrent de Massada et à Jérusalem, le capitaine du Temple, Éléazar, dont le père était Ananie le grand prêtre, ordonna la cessation du sacrifice quotidien dû à César. Cette initiative constitua l’acte décisif de la rébellion et la rupture officielle de la communauté cultuelle hiérosolymitaine d’avec l’autorité romaine.

Suite à une première victoire contre la douzième légion romaine en 66, la révolte prend de l’ampleur.

Mais les romains menés par Vespasien puis Titus employèrent alors des moyens plus adéquats, puisque ce sont trois légions qui essaient de reconquérir la Judée accompagnée de la douzième légion qui avait été vaincue par les Juifs.

En 67, la Galilée est déjà tombée et les combats se concentrent sur Jérusalem.

Le siège de Jérusalem

Les insurgés de Jérusalem auraient dû employer le peu de temps qu’il leur restait avant l’affrontement avec les romains pour renforcer leurs défenses et préparer le siège.

Au lieu de cela, les différentes factions en présence mènent une lutte fratricide pour le pouvoir, provoquant la mort prématurée de nombreux combattants, et la destruction de vivres qui auraient permis de tenir le siège de nombreuses années.

Le manque d’effort pour renforcer les fortifications permettra à Rome d’effectuer une brèche et de finir par s’engouffrer jusqu’au cœur de la ville. La mauvaise gestion des vivres causera la mort de nombreux insurgés et affaiblira la plupart des autres réduisant de beaucoup leur capacité à combattre.

Cette guerre en faction ruine Jérusalem bien avant l’assaut romain. Mais Rome dans le même temps est aussi sujette à la guerre civile dans les batailles de succession après la mort de Néron. Rome et Jérusalem, Jacob et Esaü prouvent encore une fois leur gémellité :

  • Ce[3] n’était pas seulement la Judée qui éprouvait les maux que cause une guerre civile : l’Italie les ressentait dans le même temps. Car Galba ayant été tué au milieu de Rome, et Obton déclaré son successeur, Vitellius, que les légions d’Allemagne avaient choisi pour l’élever à ce même honneur, lui disputa l’Empire.

Et encore :

  • Pendant[4] que le feu était allumé dans Jérusalem, Rome souffrait de son côté les maux qu’une guerre civile apporte. Vitellius y étant venu avec son armée grossie d’un grand nombre de troupes étrangères, les lieux destinés pour loger les gens de guerre ne suffisant pas, ils se répandirent dans les maisons et firent comme un camp de toute la ville. L’éclat de l’or et de l’argent frappa tellement les yeux de ces étrangers, si peu accoutumés à voir de si grandes richesses, que, brûlant d’ardeur de les posséder, non seulement ils se mirent à piller, mais ils tuaient ceux qui voulaient les en empêcher.
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L’incendie du Temple

Après un siège laborieux, où les Juifs essayent tardivement d’opposer une farouche mais inutile résistance aux Romains, Jérusalem tombe et dans la confusion de la bataille, le Temple est incendié:

  • Alors[5] un soldat, sans en avoir reçu aucun ordre et sans appréhender de commettre un si horrible sacrilège, mais comme poussé par un mouvement de Dieu, se fit soulever par l’un de ses compagnons, et jeta par la fenêtre d’or une pièce de bois tout enflammée dans le lieu par où l’on allait aux bâtiments faits à l’entour du Temple du côté du septentrion. Le feu s’y prit aussitôt ; et dans un si extrême malheur les Juifs jetèrent des cris effroyables. Ils coururent pour tâcher d’y remédier, rien ne pouvant plus les obliger d’épargner leur vie lorsqu’ils voyaient se consumer devant leurs yeux ce Temple qui les portait à la ménager par le désir de le conserver. On en donna promptement avis à Titus qui, au retour du combat, prenait un peu de repos dans sa tente. Il partit à l’instant pour aller faire éteindre le feu : tous ses chefs les suivirent, et les légions après eux, avec une confusion, un tumulte et des cris tels que l’on peut se l’imaginer lorsque dans une surprise une si grande armée marche sans commandement et sans ordre. Titus criait de toute sa force, et faisait signe de la main pour obliger les siens d’éteindre le feu ; mais un plus grand bruit empêchait qu’on ne l’entendît, et l’ardeur et la colère dont les soldats étaient animés dans cette guerre ne leur permettaient pas de prendre garde aux signes qu’il leur faisait. Ainsi ces légions qui entraient en foule ne pouvaient dans leur impétuosité être retenues ni par ses ordres ni par ses menaces ; leur seule fureur les conduisait ; les soldats se pressaient de telle sorte que plusieurs étaient renversés et foulés aux pieds, et d’autres, tombant dans les ruines des portiques et des galeries encore toutes brûlantes et toutes fumantes, n’étaient pas quoique victorieux, moins malheureux que les vaincus. Lorsque tous ces gens de guerre furent arrivés au Temple, ils feignirent de ne point entendre les ordres que leur donnait leur empereur, ceux qui étaient derrière eux exhortaient les plus avancés à mettre le feu ; et il ne restait alors aux factieux (les insurgés) nulle espérance de le pouvoir empêcher.

Avant de relier le psaume à l’histoire tragique de cette génération que les Juifs commémorent chaque année à la date anniversaire de la destruction du second temple, qui coïncide, suivant la tradition, à celle du premier Temple et à de nombreux événements tragiques pour les Juifs à travers leur histoire, il faut tout d’abord s’intéresser à l’auteur du psaume.

Le veau d’or

Ce psaume, en effet, est décliné par Assaf et vient ainsi rompre la série de huit psaumes, des psaumes quarante-deux à quarante-neuf qui étaient l’œuvre des fils de Coré.

Ces psaumes étaient en quelque sorte un plaidoyer pour Coré leur aïeul qui s’était opposé au grand prêtre Aaron. En effet lors de la génération quarante-deux, Aristobule grand prêtre, descendant d’Aaron, s’était officiellement proclamé roi et cumulait ainsi les deux pouvoirs, le religieux et le politique, alors que ceux-ci avaient toujours été séparés depuis le couple Moïse/Aaron.

Cette génération largement tourmentée, où la Judée est une province romaine et le roi Agrippa II manquant d’envergure ne peut empêcher la catastrophe qui s’annonce, voit la grande prêtrise encore plus bafouée à la veille du siège de Jérusalem:

  • Dans[6] la crainte et l’abattement où était le peuple, la présomption et le pouvoir de ces factieux (ceux qui avaient pris le pouvoir à Jérusalem) allèrent à un tel excès qu’ils osaient même disposer de la grande sacrificature. Ils rejetaient les familles qui avaient été accoutumées de la posséder successivement, et établissaient dans cette haute dignité des personnes sans nom et sans naissance, afin de les rendre complices de leurs crimes ; des gens indignes d’un si grand honneur ne pouvant refuser d’obéir à ceux qui les y avaient élevés.

La cinquantième génération est la première génération de la deuxième garde de la nuit.

Les quarante-neuf premières générations correspondaient à la fois aux quarante-neuf malédictions du Lévitique qui ont été égrenées une à une pour chaque génération, et aux quarante-neuf générations où les Juifs ont pu vivre en présence du Temple (l’exil de Babylone ne représente qu’un court épisode où la présence divine ne s’était pas vraiment éloignée du peuple Juif, à n’en juger qu’aux prophètes qui ont accompagné les Juifs dans cette déportation).

La cinquantième génération voit la fin du temple et le début du véritable exil d’Israël au sein des nations qui dure quatre-vingt-dix-huit générations soient les deux dernières gardes de la nuit.

Les quarante-neuf malédictions du Lévitique viennent de libérer le peuple Juif de la faute du veau d’or, pour lequel Moïse avait symboliquement sacrifié les deux temples en brisant les deux tables de la loi.

Les quatre-vingt-dix-huit malédictions du Deutéronome laveront le peuple d’Israël de ses deux autres fautes majeures dans le désert lorsqu’il demande, par manque de confiance en Dieu, de l’eau et qu’il prend peur de s’établir en terre promise après l’expédition des explorateurs.

L’importance de ces fautes est que malgré que le peuple d’Israël ait assisté aux miracles divins pour l’extraire de l’esclavage en Égypte, celui-ci aux premières contrariétés fait vœu de revenir en Égypte et repousse la terre promise.

La première garde avait comme but de dégoûter le peuple d’Israël du culte idolâtre, assimilable au culte du veau d’or pour qu’il devienne ainsi un peuple fidèle à l’alliance divine.

Des lois pour l’exil

Ainsi, les malédictions du Deutéronome qui se dérouleront pendant les deux dernières gardes de la nuit, pendant le long exil du peuple d’Israël au sein des nations, finiront par construire une identité nationale forte à ce peuple, de façon à ce que définitivement il ne cherche plus son salut qu’en terre promise en cessant de se laisser tenter de vivre au sein des nations.

Le Lévitique décrit en détail le culte sacrificiel.

Dans le Deutéronome, qui est une redite par Moïse de la loi déjà énoncée dans les autres livres du Pentateuque, celui-ci est inexistant. Moïse se focalise sur les lois qui subsisteront après la destruction du second temple, instaurant s’il le faut des lois de substitution pour celles dépendant du Temple.

Ainsi au début du Pentateuque, Moïse rappelle les événements qui ont amené le peuple Juif au seuil de la terre promise, là où il doit l’abandonner. Il résume d’ailleurs à cette occasion, l’exil d’Israël lorsqu’il évoque Esaü, censé représenter Rome puissance dominante tout au long de cet exil:

  • L’Éternel[7] me parla en disant : C’en est trop pour vous de contourner cette montagne ; tournez-vous vers le nord. Ordonne au peuple en disant : vous traversez la frontière de vos frères, les enfants d’Esaü qui résident à Séir ; ils auront peur de vous et vous ferez très attention. Ne les provoquez pas car Je ne vous donnerai pas de leur pays, même pas l’empreinte de la plante de pied, car c’est en héritage pour Esaü que J’ai donné le mont Séir. Vous achèterez de la nourriture d’eux pour de l’argent et vous mangerez ; et aussi de l’eau vous achèterez d’eux pour de l’argent et vous boirez.

Ainsi l’avenir d’Israël au sein des nations est tracé : Israël survivra mais ne pourra subsister qu’en tant que paria. Il ne retrouvera sa dignité qu’au sein de la terre promise, il ne pourra pas partager sereinement le sort des nations au sein d’elles.

Les lois du Lévitique, bien que n’ayant plus lieu d’être, une fois le Temple détruit, ne seront pas inutiles, car leur signification profonde ainsi que celle des autres lois, finira par attirer le respect des nations :

  • Vois[8], je vous ai enseigné des décrets et des jugements comme m’a ordonné l’Éternel Mon Dieu pour agir ainsi au milieu du pays dans lequel vous allez pour en prendre possession. Vous les garderez et les ferez car c’est votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples. Lorsqu’ils entendront tous ces décrets, ils diront : Elle ne peut être qu’une nation intelligente et sensée cette grande nation !

Moïse annonce également l’exil du peuple d’Israël, s’il ne respecte pas la sainteté de la terre d’Israël :

  • L’Éternel[9] vous dispersera parmi les peuples et vous resterez en petit nombre parmi les peuples vers lesquels l’Éternel vous conduira.

Avant d’énoncer les commandements du Deutéronome, Moïse en rappelle leur validité à travers le temps, donc valide à la foi pour le séjour du peuple d’Israël en terre promise et lors de l’exil au sein des nations:

  • Ce sont[10] les commandements, les décrets et les jugements qu’a ordonnés l’Éternel votre Dieu de vous enseigner pour accomplir dans le pays vers lequel vous traversez pour en prendre possession. Afin que tu craignes l’Éternel Ton Dieu pour observer tous Ses décrets et Ses commandements que je t’ordonne, toi, ton fils, et le fils de ton fils tous les jours de ta vie et afin que se prolongent tes jours.

Moïse rappelle les substituts aux lois qui imposent une dépendance avec le Temple de Jérusalem. Les Juifs dans le désert avaient réclamé de pouvoir manger de la viande, Dieu les en a autorisés, bien que cela éloigne des préceptes du monde futur. Mais uniquement en respectant un minimum de lois visant à respecter autant qu’il se peut l’âme animale. Seuls des animaux considérés suffisamment purs peuvent être mangés.

En particulier, les règles de l’abattage sont strictes et doivent être faites au temple.

Toutefois, du fait de l’étendue du pays dans un premier temps, l’abattage est autorisé ailleurs suivant certaines conditions. Ces règles établies dans le Deutéronome permettent en fait surtout d’effectuer un abattage conforme pendant l’exil:

  • Quand[11] l’Éternel ton Dieu agrandira ta frontière, comme Il t’a dit, et tu diras : je voudrais manger de la viande : avec tout le désir de ton âme tu mangeras de la viande. Parce qu’il sera loin de toi l’endroit qu’aura choisi l’Éternel ton Dieu pour y mettre Son Nom, tu pourras égorger de ton bétail et de tes moutons que l’Éternel T’aura donnés comme Je t’ai ordonné.

Assaf, le chantre

Cette génération bascule d’un culte centré sur le temple et le sacrifice à celui basé sur une relation directe avec Dieu basée sur la prière. Le chantre, qui ne faisait qu’accompagner le grand prêtre, est projeté au premier plan.

C’est pour cette raison que le psaume de cette génération est décliné par Assaf qui prend la suite des psaumes des fils de Coré.

Ceux-ci remettaient en cause le pouvoir confié à Aaron et à ses descendants, ils obtiennent gain de cause car les prescriptions du Lévitique concernant le temple ne pourront plus avoir lieu pendant près de deux mille ans.

Avant d’évoquer donc la destruction du second temple, il est donc nécessaire d’identifier le rôle d’Assaf dans le sacerdoce.

Ce sont les Chroniques qui précisent l’origine familiale d’Assaf et son rôle :

  • Fils de Lévi[12] : Gersom, Kehath et Merari. […] Voici ceux que David préposa au service musical de temple de l’Éternel, quand l’arche eut un emplacement fixe. Ils s’acquittèrent de ce service musical devant le tabernacle de la tente d’assignation jusqu’à la construction, par Salomon, du temple de l’Éternel à Jérusalem. Ils remplissaient leurs fonctions selon le règlement établi. Tels furent donc ces préposés, avec leurs fils : […] Son frère (de Hêman) Assaf, qui se tenait à sa droite. Assaf était fils de Bérékhiahou, fils de Chimea, fils de Mikhaël, fils de Baasêya, fils de Malkia, fils d’Etni, fils de Zérah, fils d’Adaïa, fils d’Ethan, fils de Zimma, fils de Chimi, fils de Yahat, fils de Gersom, fils de Lévi.

Également :

  • Il[13] se construisit des maisons dans la cité de David, appropria un emplacement pour l’arche de Dieu et lui dressa une tente. Alors David décida que l’arche ne serait portée que par les Lévites, car c’étaient eux que l’Éternel avait choisis pour le transport de l’arche de Dieu et pour son culte à jamais. […] David dit aux chefs des Lévites de mettre en place leurs frères les chantres, muni d’instruments de musique, luths, harpes et cymbales, pour entonner des cantiques de toute leur voix en signe de réjouissance. En conséquence, les Lévites mirent en place Hêman, fils de Joël et, parmi ses parents, Assaf, fils de Bérékhiahou (le texte complète la liste des chantres).

Et :

  • C’est[14] ce jour-là que David confia la direction des chants de grâce à l’Éternel à Assaf et à ses frères.

Également :

  • David[15] commit donc là, devant l’arche d’alliance de l’Éternel, à Assaf et à ses frères, la mission de faire le service d’une manière régulière, suivant les exigences de chaque jour.

Les psaumes d’Assaf sont déjà cités par Ézéchias qui le surnomme « voyant » :

  • Alors[16] le roi Ézéchias et les chefs ordonnèrent aux Lévites de louer le Seigneur sur les paroles de David et d’Assaf, le voyant, et ils chantèrent avec allégresse, s’inclinèrent et se prosternèrent.

Assaf est encore cité à l’époque de Josias lorsque celui-ci se rend compte des fautes de son peuple afin de lui faire fêter la pâque et ainsi de le sanctifier avant que le premier temple soit détruit du temps de ses successeurs qui n’auront pas sa sagesse:

  • On cuisit[17] la Pâque au feu, selon la règle ; quand aux choses saintes, on les cuisit dans des marmites, des chaudrons et des poêles, et on s’empressa de les donner à tous les gens du peuple. Ensuite ils apprêtèrent ce qui leur revenait, à eux et aux prêtres, car les prêtres, descendants d’Aaron, furent occupés à offrir les holocaustes et les graisses jusqu’à la nuit. Aussi les Lévites préparèrent-ils tout pour eux-mêmes et pour les prêtres, descendants d’Aaron. Les chantres de la maison d’Assaf, étaient à leur poste selon l’ordonnance de David, d’Assaf, de Hêman et de Yédoutoun, Voyant du roi, et les portiers occupaient chaque porte ; ils n’eurent pas à s’écarter de leur service, car les Lévites, leurs frères, avaient tout préparé pour eux.

Lors de la restauration du Temple, par Ezra, les descendants d’Assaf sont encore présents :

  • Lorsque[18] les maçons jetèrent les fondations du Sanctuaire de l’Éternel, on disposa les prêtres, revêtus de leurs habits pontificaux, avec des trompettes, et les Lévites, fils d’Assaf, avec des cymbales, pour célébrer l’Éternel par des cantiques de David, roi d’Israël. Ils entonnèrent des hymnes et des actions de grâces en l’honneur de l’Éternel, chantant : « Car Il est bon, car Sa bienveillance s’étend éternellement sur Israël »

De même, lors de l’inauguration des murs de Jérusalem, par Néhémie :

  • En[19] ce même temps (les prêtres effectuent des sacrifices), des hommes furent préposés aux salles servant de dépôt pour les prélèvements, les prémices et les dîmes, et où affluèrent, des banlieues des villes, les parts attribuées par la Thora aux prêtres et aux Lévites, car Juda était ravi des prêtres et des Lévites, qui étaient à leur poste, veillant aux observances de leur Dieu et au maintien de la pureté ; quant aux chanteurs et aux portiers, ils fonctionnaient selon les prescriptions de David et de son fils Salomon. En effet dès les jours de David et d’Assaf, dans les temps antiques, il y avait des chefs de chanteurs et des chants de louanges et d’actions de grâce à Dieu.

Il est donc normal qu’Assaf, qui assure le culte divin via ses chants plutôt que par des holocaustes soit celui qui inaugure à travers son psaume l’époque de l’exil, celle associée aux deux dernières gardes de la nuit.

Aaron

Le service des descendants d’Aaron, qui eux assuraient le service divin par les holocaustes,  est mis en sommeil comme cela avait été indiqué par Dieu à la suite de la faute du veau d’or lorsque Moïse s’était proposé comme victime expiatoire:

  • Et[20] maintenant si Tu (Moïse s’adresse à Dieu) supportes leur faute (du peuple d’Israël)… et sinon efface-moi de Ton livre que Tu as écrit. L’Éternel dit à Moïse : c’est celui qui a fauté contre Moi que J’effacerai de Mon livre.

Et celui qui a fauté, c’est bien Aaron qui n’a pas hésité à construire le veau d’or et qui n’a, à cet égard, eu aucun remords voulant en remettre la faute sur le peuple d’Israël. C’est donc l’ensemble du culte du Temple, sous la responsabilité d’Aaron, qui s’efface à cette génération, lavant ainsi définitivement le peuple d’Israël de la faute du veau d’or.

Aaron est puni également en perdant le sacerdoce, venant confirmer la demande des fils de Coré des derniers psaumes de la première garde de la nuit.

Cette garde était associée aux malédictions du Lévitique, c’est naturellement que le sacerdoce qui y était décrit prenne fin pour laisser place uniquement à la symbolique qui y est associée.

Moïse à la vue du veau d’or, avait brisé les deux tables de la loi, offrant ainsi en expiatoire les deux temples.

La destruction du deuxième temple arrive à un moment clé, celui ou l’irrationnel (le service du temple associé au Lévitique) laisse la place au rationnel (le Deutéronome associé à l’exil). Les Juifs se tourneront maintenant  vers les nations en payant le prix fort tout au long des quatre-vingt-dix-huit générations des deux gardes correspondantes de leur cohabitation nouvelle.

C’est ce qu’exprime le début du psaume de cette génération :

  1. Psaume d’Assaf. Le Dieu tout puissant, l’Éternel parle ; il adresse un appel à la terre, (…)
    • Le message des dix commandements et de la Torah qui va maintenant être connu des nations
  1. (…) du soleil levant jusqu’à son couchant
    • Du soleil levant : l’orient et par suite l’Islam, le couchant : l’occident et par suite le Christianisme.
  2. De Sion, ce centre de beauté, l’Éternel rayonne.
  3. Il s’avance, notre Dieu, et ce n’est pas en silence : devant lui, un feu qui dévore, autour de lui grande la tempête.
    • Ici est annoncée la destruction du second temple
  4. Il adresse son appel aux cieux d’en haut ainsi qu’à la terre, en vue de juger son peuple :
  5. « Rassemblez-Moi Mes pieux serviteurs, qui ont sanctionné Mon alliance par un sacrifice ! »
    • Ici il est fait référence au péché du veau d’or qui a été ainsi sanctionné et pour lequel maintenant le peuple d’Israël est pardonné à travers la destruction du second temple, qui constitue le pieu sacrifice effectué par Moïse.
  6. Et les cieux proclament sa justice, car c’est Dieu qui est le juge. Sélah !
  7. Écoute, mon peuple, Je veux parler ; Israël, Je veux t’adjurer solennellement : Je suis Dieu, ton Dieu !
  8. Ce n’est pas pour tes sacrifices que Je te reprends : tes holocaustes sont constamment sous mes yeux.
  9. Je ne réclame pas de taureau de ta maison, ni des béliers de tes parcs.
  10. Car à Moi sont tous les fauves de la forêt, les bêtes qui peuplent par milliers les montagnes.
  11. Je connais tous les oiseaux des hauteurs, tout ce qui se meut dans les champs est à ma portée.
  12. Dussé-Je avoir faim, Je ne te le dirais pas, car l’univers, avec ce qu’il renferme, m’appartient.
  13. Est-ce donc que Je mange la chair des taureaux ? Est-ce que Je bois le sang des béliers ?
  14. En guise de sacrifice, offre à Dieu des actions de grâce, ainsi tu acquitteras tes vœux envers le Très-Haut.
  15. Alors tu pourras M’appeler au jour de la détresse, Je te tirerai du danger, et tu M’honoreras !
    • Cette partie annonce la fin du culte sacrificiel qui accompagne la destruction du second temple. Cela ne doit pas être considéré comme une punition, car ces sacrifices n’étaient pas réellement un besoin divin mais avaient été ordonnés pour éloigner le peuple d’Israël du culte idolâtre. Aujourd’hui, le peuple d’Israël a la maturité suffisante pour vénérer son Dieu sans avoir à lui offrir de sacrifices. Ainsi durant tout l’exil, le peuple d’Israël pourra directement s’adresser à son Dieu par des actions de grâce sans avoir à effectuer d’offrandes. Le peuple d’Israël est ainsi armé pour survivre à l’exil.

Le mouvement Pharisien

C’est naturellement dans cette direction que le Judaïsme Palestinien s’engage emmené par le mouvement pharisien:

  • La situation[22] des Pharisiens est sensiblement différente (de celles des autres sectes après la destruction du Temple, les Esséniens, les Zélotes et surtout les Saducéens). Sans doute, ils sont toujours restés hostiles aux maîtres étrangers dont la victoire est en un sens leur défaite. Mais cette hostilité de principe se doublait dans la pratique, d’une grande souplesse. Comme le dit Guignebert, « c’était visiblement au respect intégral de leur religion qu’ils tenaient par-dessus tout, et il ne semble pas exagéré de dire que l’indépendance politique leur apparaissait d’abord comme un moyen – le meilleur — de réaliser leur idéal de piétistes ». Le meilleur, mais non le seul. Ils s’étaient accommodés de l’occupation romaine. Ils s’accommoderont aussi, autant qu’il sera possible, mieux en tous les cas que les autres partis, parce qu’ils sont moins qu’eux liés aux lieus et aux choses, de la ruine complète de la nation et du vieux culte. À la différence des autres ils ont, si l’on peut dire, une position spirituelle de repli, préparée de longue date : la Thora. Leur religion à eux surtout est déjà celle du Livre, et secondairement celle du Temple, dont les rites ne représentent qu’un aspect de la Loi. À leurs yeux, la tradition des Sages a plus d’autorité que la succession des prêtres.

Le christianisme primitif

En attendant que le Judaïsme s’organise suite à la destruction du second temple qui interviendra dans cette génération, et donc à la fin du culte sacrificiel, une autre religion prend naissance : le Christianisme.

Après la mort de Jésus, la Christianisme n’était qu’une secte juive qui avait accolé à la loi mosaïque la croyance que Jésus était bien le Messie tant attendu.

Certains textes anciens le rappellent:

  • Lui[23] (Origène) du moins a nettement vu et dégagé les rapports qui unissaient l’ébionisme d’une part au Judaïsme, d’autre part à l’Église primitive. Répondant au polémiste païen, qui reproche aux Chrétiens issus du Judaïsme d’avoir changé leur nom et leur mode de vie, il déclare : « Celse ne sait pas que ceux des Juifs qui croient en Jésus n’ont pas abandonné la loi de leurs pères ; ils vivent en conformité avec elle et leur nom vient de la pauvreté de cette loi. Car le pauvre s’appelle chez les Juifs « ebion » et ceux des Juifs qui reconnaissent Jésus comme le Christ se nomment Ebionéens ». Et il ajoute : « Pierre lui-même semble avoir observé longtemps les coutumes juives selon la loi de Moïse, comme il n’avait pas appris de Jésus à s’élever de la loi littérale à la loi spirituelle ». Suit, d’après le récit des Actes, un exposé précis des démêlés entre Palestiniens et Hellénistes dans la première communauté chrétienne. C’est là l’exacte perspective historique, méconnue de la plupart des hérésiologues anciens.

Mais les premiers Chrétiens issus du Judaïsme se trouveront bientôt minoritaires.

Les « craignant-Dieu »

Car de nombreux païens sont séduits par la religion naissante. Ceux qui adoptent la nouvelle religion sont souvent ceux qui auparavant étaient déjà attirés par le Judaïsme de façon générale.

Le Judaïsme était religion licite dans l’Empire romain à cette époque, le Dieu d’Israël était respecté par de nombreux romains qui soit le considérait comme Dieu unique soit lui réservaient une place de choix dans leur panthéon polythéiste.

Avant l’avènement du Christianisme, en marge des Judaïsme et des Juifs, vivaient de nombreux païens fidèles aux principes du Judaïsme, sans pouvoir y adhérer, les « craignant-Dieu » :

  • Parmi[24] les païens qui se tournent vers le Dieu d’Israël, plusieurs catégories se dessinent. Les craignant-Dieu affirment leur foi au Dieu Un, fréquentent les synagogues, goûtent aux traditions d’Israël. Ils respectent scrupuleusement les principes noachiques (sept lois de base que tout homme se doit de respecter sans être Juif) et les données fondamentales de la Loi d’Israël. Ce statut comprend un avantage incontestable : il n’entraîne pas l’obligation de la circoncision et les craignant-Dieu fréquentent donc les bains sans aucune difficulté. Il y a cependant un revers : les Juifs pieux hésitent toujours quelque peu à frayer avec eux. Les premières communautés chrétiennes vont se développer en grande partie grâce aux craignant-Dieu.

Par rapport à cette clientèle potentielle du Christianisme, les premiers apôtres essaient, comme les Juifs avant eux, de les convaincre de la valeur de leur message sans remettre en cause les fondements de la religion initiale, la religion Juive.

Ainsi le discours de Pierre à Corneille, un non juif mais vraisemblablement un craignant Dieu résume ainsi la justice divine:

  • Alors[25] Pierre ouvrit la bouche et dit : « Je me rends compte en vérité que Dieu et impartial, et qu’en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui ».

La facilité d’adhésion au Christianisme par les craignant Dieu est évoquée à plusieurs reprises, en particulier pour la conversion de Lydie :

  • Le[26] jour du Sabbat, nous en avons franchi la porte, pour gagner, le long d’une rivière, un endroit où, pensions-nous, devait se trouver un lieu de prière, une fois assis, nous avons parlé aux femmes qui s’y trouvaient réunies. L’une d’elles, nommée Lydie, était une marchande de pourpre originaire de la ville de Thyatire qui adorait déjà Dieu (en marge du Judaïsme). Elle était toutes oreilles ; car le Seigneur avait ouvert son cœur pour la rendre attentive aux paroles de Paul.

Et aussi :

  • Cependant[27] ceux qu’avait dispersés la tourmente survenue à propos d’Étienne étaient passés jusqu’en Phénicie, à Chypre et à Antioche, sans annoncer la Parole à nul autre qu’aux Juifs. Certains d’entre eux pourtant, originaires de Chypre et de Cyrène, une fois arrivés à Antioche, adressaient aussi aux Grecs la bonne nouvelle de Jésus Seigneur.

Cette plus grande perméabilité des craignant-Dieu que les Juifs aux préceptes Chrétiens est également évoquée :

  • Certains[28] (donc peu) des Juifs se laissèrent convaincre et furent gagnés par Paul et Silas, ainsi qu’une multitude (à comparer à « certains ») de Grecs adorateurs de Dieu et bon nombre de femmes de haute société.

La résistance des Juifs au Christianisme ne change pas l’attitude des premiers apôtres à leur égard ou envers la loi mosaïque.

Paul

Elle provoque toutefois la rupture avec Paul qui refuse de voir le Christianisme à côté du Judaïsme.

Il veut que tout le monde adhère au Christianisme. Ainsi la résistance des Juifs aux prêches de Paul attire sa colère :

  • Chaque[29] Sabbat, il (Paul) prenait la parole à la synagogue et tâchait de convaincre Juifs et Grecs. Mais, lorsque Silas et Timothée furent arrivés de Macédoine, Paul se consacra entièrement à la parole, attestant devant les Juifs que le Messie, c’est Jésus. Devant leur opposition et leurs injures, Paul secoua ses vêtements et leur déclara : « Que votre sang vous retombe sur la tête ! J’en suis pur, et désormais c’est aux païens que j’irai ».

Du fait de la résistance des Juifs vis-à-vis du Christianisme, Paul se tourne naturellement vers ce réservoir de païens déjà sensibilisés au Monothéisme. Au lieu de se contenter de les autoriser à n’appliquer qu’une partie de la loi, il préfère la déclarer caduque.

Si les premiers Chrétiens étaient les représentants d’une secte juive qui avaient ajouté à la loi mosaïque la croyance que le Messie tant attendu avait été incarné en Jésus, ainsi c’est Paul qui vraisemblablement fait basculer cette secte en la religion que nous connaissons.

La foi et le loi

C’est en particulier dans l’Épître aux Romains, que Paul promulgue les fondements du Christianisme : la foi à la place de la loi et ainsi initialiser la rupture entre le Judaïsme, la religion mère, et la religion naissante : le Christianisme.

Cette[30] épître fut commentée par tous les pères de l’Église : Origène, Jean Chrysostome, Théodoret, l’Ambrosiaster, Pélage, Augustin, Abélard, Thomas d’Aquin, etc. Pour beaucoup, le commentaire de Luther sur l’Épître aux Romains est le point de départ de la réforme (Le mouvement Protestant du Christianisme).

La théorie de Paul est simple : c’est la loi qui crée le péché (pas de loi, pas de péché, pourtant Paul n’aurait pas été un adepte du mouvement Anarchique). Son discours scelle la rupture entre les deux religions, tout d’abord en remettant en cause l’élection du peuple Juif qui peut être contesté par le païen au cœur pur :

  • Détresse[31] et angoisse pour tout homme qui commet le mal, pour le Juif d’abord et pour le Grec (le « prototype » du païen perméable au message Chrétien, surtout parmi les « craignant Dieu ») ; gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d’abord puis au Grec, car en Dieu il n’y a pas de partialité. Tous ceux qui ont péché sans la loi périront aussi sans la loi ; tous ceux qui ont péché sous le régime de la loi seront jugés par la loi. Ce ne sont pas en effet ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu ; ceux-là seront justifiés qui la mettent en pratique. Quand les païens, sans avoir la loi, font naturellement ce qu’ordonne la loi, ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes, eux qui n’ont pas de loi. Ils montrent que l’œuvre voulue par la loi est inscrite dans leur cœur ; leur conscience en témoigne également ainsi que leurs jugements intérieurs qui tour à tour les accusent et les défendent. C’est ce qui paraîtra au jour où, selon mon Évangile, Dieu jugera par Jésus Christ le comportement caché des hommes.
  • Mais, si toi qui portes le nom de Juif, qui te reposes sur la loi et qui mets ton orgueil en ton Dieu, toi qui connais sa volonté, toi qui, instruit par la loi, discernes l’essentiel, toi qui es convaincu d’être le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, l’éducateur des ignorants, le maître des simples, parce que tu possèdes dans la loi l’expression même de la connaissance et de la vérité… Eh bien ! Toi qui enseignes autrui, tu ne t’enseignes pas toi-même ! Tu prêches de ne pas voler, et tu voles ! Tu interdis l’adultère, et tu commets l’adultère ! Tu as horreur des idoles, et tu pilles leurs temples ! Tu mets ton orgueil dans la loi, et tu déshonores Dieu en transgressant la loi. En effet, comme il est écrit, le nom de Dieu est blasphémé à cause de vous parmi les païens. Sans doute la circoncision est utile si tu pratiques la loi, mais si tu transgresses la loi, avec ta circoncision tu n’es plus qu’un incirconcis. Si donc l’incirconcis observe les prescriptions de la loi, son incirconcision ne lui sera-t-elle pas comptée comme circoncision ? Et lui qui, physiquement incirconcis, accomplit la loi, te jugera, toi qui, avec la lettre de la loi et la circoncision, transgresses la loi. En effet, ce n’est pas ce qui se voit qui fait le Juif, ni la marque visible dans la chair qui fait la circoncision, mais c’est ce qui est caché qui fait le Juif, et la circoncision est celle du cœur, celle qui relève de l’esprit et non de la lettre. Voilà l’homme qui reçoit sa louange non des hommes, mais de Dieu.

Après ce prélude, Paul peut remettre en cause l’efficacité de la loi et la déclarer caduque au profit de la foi :

  • Car[32] la loi produit la colère ; là où il n’y a pas loi, il n’y a pas non plus de transgression. Aussi est-ce par la foi qu’on devient héritier, afin que ce soit par grâce et que la promesse demeure valable pour toute la descendance d’Abraham, non seulement pour ceux qui se réclament de la loi, mais aussi pour ceux qui se réclament de la foi d’Abraham, notre père à Tous.

Il justifie par Jésus le passage de la loi à la foi :

  • De même[33] en effet que, par la désobéissance d’un seul homme (Adam), la multitude a été rendue pécheresse, de même aussi, par l’obéissance d’un seul (Jésus), la multitude sera-t-elle rendue juste. La loi, elle, est intervenue pour que prolifère la faute, mais là où le péché a proliféré, la grâce a surabondé, afin que, comme le péché avait régné pour la mort, ainsi, par la justice, la grâce règne pour la vie éternelle par Jésus-Christ, notre Seigneur.

La mort et la résurrection de Jésus justifient ce passage de la loi à la foi :

  • Car[34] en mourant (Paul parle de Jésus), c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes ; vivant, c’est pour Dieu qu’il vit. De même vous aussi : considérez que vous êtes morts au péché (à travers la loi) et vivants pour Dieu (à travers la foi) en Jésus Christ. […] Car le péché n’aura plus d’empire sur vous, puisque vous n’êtes plus sous la loi, mais sou la grâce.

La foi, car la loi est maintenant caduque :

  • En effet[35], quand nous étions dans la chair, les passions pécheresses, se servant de la loi, agissaient en nos membres, afin que nous portions des fruits pour la mort. Mais maintenant, morts à ce qui nous tenait captifs, nous avons été affranchis de la loi, de sorte que nous servons sous le régime nouveau de l’Esprit et non plus sous le régime de la lettre.

Le nouvel Israël

Le discours de Paul, destiné aux païens semble dans la première partie de son épître sceller la déchéance du peuple d’Israël au profit des Chrétiens, le nouvel Israël. La deuxième partie essaie de rétablir la destinée particulière de celui-ci, ou tout du moins d’une partie (« le reste ») de celui-ci.

Mais en quelque sorte le mal est fait, ce que retiendront les chrétiens, ou tout du moins la majorité d’entre eux, au cours des vingt siècles qui suivront c’est la déchéance définitive de la loi et du peuple Juif au profit de la foi et du peuple Chrétien, le nouvel Israël.

Paul confirme la fin de la loi au profit de la foi dans la seconde épître aux Corinthiens :

  • C’est[36] lui (Jésus) qui nous a rendus capables d’être ministres d’une alliance nouvelle, non de la lettre (la loi mosaïque), mais de l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie. Or si le ministère de mort (celui du Judaïsme antérieur à Jésus) gravé en lettre sur la pierre a été d’une gloire telle que les Israélites ne pouvaient fixer le visage de Moïse à cause de la gloire – pourtant passagère — de ce visage, combien le ministère de l’Esprit n’en aura-t-il pas plus encore ? Si en effet le ministère de condamnation (lié à la loi et faisant déjà partie du passé pour Paul) fut glorieux, combien le ministère de la justice ne le sera-t-il pas plus encore ? Non, même ce qui a été touché par la gloire ne l’est plus, face à cette gloire incomparable.

Également dans l’épître aux Galates, dans un contexte de concurrence plus forte des chrétiens judaïsant (c’est-à-dire voulant garder tout ou partie de la loi en complément de la foi chrétienne) :

  • Avant[37] la venue de la foi, nous étions gardés en captivité sous la loi, en vue de la foi qui devait être révélée. Ainsi donc, la loi a été notre surveillant, en attendant le Christ, afin que nous soyons justifiés par la foi. Mais, après la venue de la foi, nous ne sommes plus soumis à ce surveillant. Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus Christ. Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. Et si vous appartenez au Christ, c’est donc que vous êtes la descendance d’Abraham ; selon la promesse, vous êtes héritiers.

Lorsque Paul évoque la validité de l’ancien Testament il n’hésite pas à employer à titre d’image le caractère temporel de David.

Le fait que David ait été directement « impliqué » par le discours de Paul, justifie encore que ce soit Assaf qui décline ce psaume, David pouvant être taxé de « non-objectivité» :

  • Or[38], David, après avoir servi, en son temps, le dessein de Dieu, s’est endormi, a été mis auprès de ses pères et il a connu la décomposition. Mais celui que Dieu a ressuscité (Jésus) n’a pas connu la décomposition. Sachez-le donc frères, c’est grâce à lui que vous vient l’annonce du pardon des péchés, et cette justification que vous n’avez pas trouvé dans la loi de Moïse, c’est en lui qu’elle est pleinement accordée à tout homme qui croit (déjà opposition du salut par la foi – chrétienne — au lieu du salut par la loi – juive —).

Cette liberté que prend Paul sur la validité de la loi, n’hésitant pas à s’appuyer sur le personnage de David lui attire les foudres d’Assaf, rédacteur de ce psaume, dont les versets qui suivent sont bien un jugement sans complaisance de la doctrine de Paul :

  1. Quant au méchant, Dieu lui dit : « Qu’as-tu à proclamer Mes statuts et à porter Mon alliance sur tes lèvres ?
  2. Tu détestes pourtant la loi morale, et rejettes avec dédain mes paroles.
  3. Vois-tu un voleur ? Tu fais cause commune avec lui tu t’associes avec des gens dissolus.
  4. Tu donnes libre carrière à ta bouche pour le mal, et ta langue enfile des discours astucieux ».

Colère d’Assaf d’autant plus justifiée que Paul ne se contente pas de sacrifier la loi pour permettre aux païens d’améliorer leur connaissance de Dieu, Il n’hésite pas en effet à rejeter en même temps que la loi son propre peuple.

Paul n’hésite pas dans l’épître à Tite à prononcer la rupture avec son ancien peuple :

  • Nombreux[39] sont en effet les insoumis, vains discoureurs et trompeurs, surtout parmi les circoncis. Il faut leur fermer la bouche. Ils bouleversent des familles entières, en enseignant pour un gain honteux (de nombreux chrétiens n’hésitaient pas à prendre des rabbins comme professeurs payants) ce qu’il ne faut pas. […] C’est pourquoi reprends-les sévèrement, pour qu’ils aient une foi saine. Qu’ils ne s’attachent pas aux fables juives et aux préceptes d’hommes qui se détourneraient de la vérité.

C’est cette position qu’Assaf reproche à Paul dans la suite du psaume. Car de ces théories, le peuple Juif s’est trouvé exposé à la haine de la part des chrétiens pendant près de deux mille ans, pendant toute la durée de l’exil :

  1. « Tu t’installes pour déblatérer contre ton frère, sur le fils de ta mère tu jettes le déshonneur.
  2. Voilà ce qui tu fais et Je me tairais ! T’imagines-tu que je puisse être comme toi ?
  3. Je te reprendrai et te mettrai mes griefs sous les yeux. ».

De fait la position de Paul était singulière, car la plupart des apôtres désiraient un Christianisme proche du Judaïsme respectueux de la loi. Mais le choix de Paul est bien plus séduisant pour l’ensemble des candidats au Christianisme issus du monde païen.

Par rapport à cette population, les Chrétiens d’origine Juive deviendront vite minoritaires et leur volonté de garder la loi s’éteindra rapidement au sein de la nouvelle église. Déjà Jacques s’inquiète au nom de tous les Juifs de Jérusalem attirés par la foi Chrétienne de l’éventuel abandon de la loi de Moïse découlant des positions de Paul:

  • Tu[40] peux voir (Jacques s’adresse à Paul à son arrivée à Jérusalem), frère, combien de milliers de fidèles il y a parmi les Juifs, et tous sont ardents partisans de la Loi. Or ils sont au courant de bruits qui courent à ton sujet : ton enseignement pousserait tous les Juifs qui vivent parmi les païens à abandonner Moïse, tu leur dirais de ne plus circoncire leurs enfants et de ne plus suivre les règles (la loi juive). Que faire ? Ils vont sans aucun doute apprendre que tu es là. Fais donc ce que nous allons te dire. Nous avons quatre hommes qui sont tenus par un vœu. Prends-les avec toi, accomplis la purification en même temps qu’eux et charge-toi de leurs dépenses. Ils pourront ainsi se faire raser la tête et tout le monde comprendra que les bruits qui courent à ton sujet ne signifient rien, mais que tu te conformes, toi aussi, à l’observance de la loi (puisque lui-même effectue alors des offrandes de purification au temple pour l’exécution d’un vœu comme les quatre hommes et se plie donc à la loi). Quant aux païens qui sont devenus croyants, nous leur avons écrit nos décisions : se garder de la viande de sacrifices païens, du sang, de la viande étouffée, et de l’immoralité.

Mais Assaf, au nom de Dieu ne désire pas bannir les gens de bonne volonté y compris parmi les païens qui se tournent vers le Christianisme. Ceux qui sauront préserver la justice et qui louent Dieu, quelle que soit sa liturgie seront reconnus par Dieu comme des justes.

C’est ce qui est exprimé dans la conclusion du psaume de cette génération :

  1. Faites-y donc attention, vous qui oubliez Dieu, de peur que Je ne sévisse, sans que personne puisse détourner mes coups.
  2. Quiconque offre comme sacrifice des actions de grâce m’honore ; quiconque dirige avec soin sa conduite, Je le ferai jouir de l’aide divine.

Cela vaut évidemment pour le peuple Juif qui, privé du culte sacrificiel, instaure, sous l’égide du mouvement pharisien, un culte basé sur la prière, la synagogue et donc les actions de grâce. C’est de ce mouvement que sont issues les lignées de rabbins qui se succéderont pour établir l’orthodoxie juive.

  • Cette génération fait partie de la 2ème garde de la nuit (générations 50 à 98).
  • Elle est donc associée à une malédiction du Deutéronome (malédictions numérotées 50 à 147 en continuité avec celles du Lévitique).
  • En effet les 2ème et 3ème gardes de la nuit sont celles du long exil des Juifs hors de leur terre et sans Temple à Jérusalem et donc sans service du Temple (défini dans le Lévitique). Le Deutéronome est une « redite » des lois adaptée à l’exil puisque ne reprenant pas les lois associées au service du Temple

Durant cette génération terrible en destinée pour les Juifs de Judée, la famine durant le siège fut un des plus grands maux à combattre au point que même les plus respectables furent contraints à des extrémités dans l’horreur :

  • Une dame[41], nommée Marie, fille d’Éléazar et fort riche, était venue avec d’autres du bourg de Bathéchor, c’est-à-dire maison d’Hysope, se réfugier à Jérusalem, et s’y trouva assiégée. Ces tyrans (ceux qui commandaient les insurgés), sous la cruauté desquels cette malheureuse ville gémissait (nous sommes avant l’assaut des Romains), ne se contentèrent pas de lui ravir tout ce qu’elle avait apporté de précieux, ils lui prirent aussi à diverses fois ce qu’elle avait caché pour vivre. La douleur de se voir traitée de la sorte la mit dans un tel désespoir qu’après avoir fait mille imprécations contre eux il n’y eut point de paroles outrageuses qu’elle n’employât pour les irriter afin de les porter à la tuer ; mais il ne se trouva pas un seul de ces tigres qui, par ressentiment de tant d’injures, ou par compassion pour elle, voulût lui faire cette grâce. Lorsqu’elle se trouva ainsi réduite à cette dernière extrémité de ne pouvoir plus, de quelque côté qu’elle se tournât, espérer aucun secours, la faim qui la dévorait, et encore plus le feu que la colère avait allumé dans son cœur, lui inspirèrent une résolution qui fait horreur à la nature. Elle arracha son fils de sa mamelle, et lui dit : « Enfant infortuné et dont on ne peut trop déplorer le malheur d’être né au milieu de la guerre, de la famine et des diverses factions qui conspirent à l’envi à la ruine de notre patrie, pour qui te conserverais-je ? Serait-ce pour être esclave des Romains, quand même ils voudraient nous sauver la vie ? Mais la fin ne nous l’ôterait-elle pas avant que nous puissions tomber entre leurs mains ? Et ces tyrans qui nous mettent le pied sur la gorge ne sont-ils pas encore plus redoutables et plus cruels que les Romains et que la faim ? Ne vaut-il donc pas mieux que tu meures pour me servir de nourriture, pour braver ces factieux, et pour étonner la postérité par une action si tragique qu’il ne manque que cela seul pour combler la mesure des maux qui rendent aujourd’hui les Juifs le plus malheureux peuple qui soit sur la terre ? » Après avoir parlé de la sorte elle tua son fils, le fit cuire, en mangea une partie et cacha l’autre. Ces impies (les insurgés) qui ne vivaient que de rapines entrèrent aussitôt après dans la maison de cette dame, et ayant senti l’odeur de cette viande abominable, la menacèrent de la tuer si elle ne leur montrait pas ce qu’elle avait préparé pour manger. Elle leur répondit qu’il lui en restait une partie, et leur montra ensuite les pitoyables restes du corps de son fils. Quoiqu’ils eussent des cœurs de bronze, un tel aspect leur donna tant d’horreur qu’ils semblaient être hors d’eux-mêmes. Mais elle, dans le transport où la mettait sa fureur, leur dit avec un visage assuré : « Oui, c’est mon propre fils que vous voyez, et c’est moi-même qui aie trempé mes mains dans son sang. Vous pouvez bien en manger, puisque j’en ai mangé la première. Êtes-vous moins hardis qu’une femme, et avez-vous plus de compassion qu’une mère ? Que votre pitié ne vous permet pas d’accepter cette victime que je vous offre, j’achèverai de la manger ».

La génération 50 de la nuit est sous l’emprise de la malédiction 126 du Deutéronome:

  1. L’homme tendre parmi toi, et celui qui est très délicat, son œil sera mauvais envers son frère, envers sa femme de son cœur et envers le reste de ses fils qu’il laissera survivre de donner à l’un d’entre eux de la chair de ses fils qu’il mangerait sans lui laisser rien à cause du siège et de la détresse que t’infligera ton ennemi dans toutes tes villes. La femme tendre parmi toi et celle qui est délicate qui n’a pas essayé de poser la plante de son pied sur le sol à cause du raffinement et de la délicatesse, son œil sera mauvais envers l’homme de son cœur, envers son fils et sa fille et envers son nouveau-né qui sort d’entre ses jambes et envers ses fils qu’elle enfantera car elle les mangera par manque de tout, en cachette à cause du siège et de la détresse que t’infligera ton ennemi dans tes villes.

Paul David


[1] « Histoire des Juifs dans l’Antiquité » de Peter Schäfer, traduction de Pascale Schulte, Chapitre « D’Hérode à la première guerre juive », p 140.

[2]  « Histoire des Juifs dans l’Antiquité » de Peter Schäfer, traduction de Pascale Schulte, Chapitre « La première guerre Juive », p 145.

[3] Flavius Josèphe/Guerre des Juifs/Livre quatrième/Chapitre 33

[4] Flavius Josèphe/Guerre des Juifs/Livre quatrième/Chapitre 35

[5] Flavius Josèphe/Guerre des Juifs/Livre sixième/Chapitre 26

[7] DEUTÉRONOME, Chapitre 2, versets 2 à 6

[6] Flavius Josèphe/Guerre des Juifs/Livre quatrième/Chapitre 11

[8] DEUTÉRONOME, Chapitre 4, versets 5 et 6

[9] DEUTÉRONOME, Chapitre 4, verset 27

[10] DEUTÉRONOME, Chapitre 5, versets 1 et 2

[11] DEUTÉRONOME, Chapitre 12, versets 20 et 21

[12] I CHRONIQUES Chapitre 6, versets 1 à 28 (extraits)

[13] I CHRONIQUES Chapitre 15, versets 1 à 17 (extraits)

[14] I CHRONIQUES, Chapitre 16, verset 7

[15] I CHRONIQUES, Chapitre 16, verset 37

[16] II CHRONIQUES, Chapitre 29, verset 30

[17] II CHRONIQUES, Chapitre 35, versets 13 à 15

[18] EZRA, Chapitre 3, versets 10 et 11

[19] NEHEMIE, Chapitre 12, versets 44 à 46

[20] EXODE, Chapitre 32, versets 32 et 33

[22] VERUS ISRAËL de Marcel Simon, « Le cadre religieux et politique/Lendemains de crise : le Judaïsme Palestinien », page 29

[23] VERUS ISRAËL de Marcel Simon, « Contacts et Syncrétismes/Destinées du Judéo-Christianisme », page 286

[24] « Le monde où vivait Jésus » de Hugues Cousin/Jean-Pierre Lémonon/Jean Massonnet (éditions Cerf), Chapitre « Les Juifs dans l’empire romain/la diaspora » (p. 65)

[25] Actes des Apôtres, Chapitre 10, versets 34 et 35

[26] Actes des Apôtres, Chapitre 16, versets 13 et 14

[27] Actes des Apôtres, Chapitre 11, versets 19 et 20

[28] Actes des Apôtres, Chapitre 17, versets 4

[29] Actes des Apôtres, Chapitre 18 versets 4 à 6

[30] D’après l’introduction à « l’Épître aux Romains » de la version TOB du nouveau testament.

[31] Épître aux Romains, Chapitre 2, versets 17 à 29

[32] Épître aux Romains, Chapitre 4, versets 15 et 16

[33] Épître aux Romains, Chapitre 5, versets 19 à 21

[34] Épître aux Romains, Chapitre 6, versets 10,11 et 14

[35] Épître aux Romains, Chapitre 7, versets 5 à 8 – voir également le développement effectué par Paul sur l’ensemble du chapitre 7

[36] Deuxième Épître aux Corinthiens, Chapitre 3, versets 6 à 10

[37] Épître aux Galates, Chapitre 3, versets 23 à 29

[38] Actes des Apôtres, Chapitre 13, versets 36 à 39

[39] Épître à Tite, Chapitre 1, versets 10,11,13 et 14

[40] Actes des Apôtres, Chapitre 21, versets 20 à 25

[41] Flavius Josèphe/Guerre des Juifs/livre sixième, Chapitre 21