Bonne année 2017 à tous.

Et pour ceux qui rechignent à s’associer à cette nouvelle année civile et à tous les autres, je renouvelle mes vœux de Shana Tovah 5777.

Le jour de l’an a été fixé par Jules César en 45 avant JC et n’est donc pas en soi une fête religieuse. Toutefois depuis que le christianisme a fixé le jour de Noël (naissance de Jésus) le 25 décembre, le 1er janvier est devenu le huitième jour de la naissance de Jésus et donc commémore le jour de sa circoncision.

De nombreuses œuvres chrétiennes commémorent ainsi cet acte qui confirme que Jésus est né Juif. Il est aisé de montrer également qu’il a aussi vécu Juif et qu’il est mort Juif.

Ainsi sur les calendriers anciens, le 1er janvier était dénommé « circoncision » et cela même à des  époques (comme 1942 pour le premier calendrier à gauche) où l’Europe cherchait à éliminer définitivement tous les circoncis. Les calendriers plus récents ont supprimé cette annotation « humiliante » en la remplaçant par « jour de l’an » (comme le calendrier de 2006 à gauche)

Ce jour de la commémoration de la circoncision est l’occasion d’évoquer Spinoza et ses conclusions sur les Juifs ….

Les Pays-Bas avec la déclaration d’Ultrecht en 1579 offrent aux Juifs une réelle liberté de culte. Ils deviennent des citoyens (quasiment) à part entière.

Ceci[1]  est confirmé par le juriste Grotius en 1616 qui donne l’obligation aux Juifs pour qu’ils soient acceptés d’être de véritables juifs. Il leur fallait déclarer qu’ils croyaient à la loi de Moïse, à l’existence d’un Dieu créateur et à sa providence, à l’inspiration divine de Moïse et des prophètes ainsi qu’à l’existence d’une vie future, assortie de peines pour les méchants et de récompenses pour les justes.

Parmi les Juifs descendants de Marranes à Amsterdam : Spinoza

Le judaïsme des descendants de Marranes se heurte au judaïsme rabbinique d’autant plus que celui-ci est sclérosé par l’adhésion massive et destructrice des élites au faux Messie Sabbatai Zevi.

Spinoza qui a étudié les sciences et la philosophie de Descartes ne peut se contenter d’un judaïsme qui à l’époque est surtout fait de superstitions.

Pour beaucoup il est considéré comme un des artisans clés du mouvement des Lumières qui bientôt fera entrer l’Europe dans la modernité.  Spinoza recrée les bases d’une croyance en harmonie avec les sciences, ce qui sera salvateur pour la confrontation du judaïsme avec le modernisme.

Bien que beaucoup ont considéré qu’il prônait l’athéisme, de nombreux écrits de Spinoza montrent que la foi de Spinoza est réelle même si elle ne s’exprime pas de façon « orthodoxe ». Ainsi dans « L’Éthique » :

  • Première partie : De Dieu. Proposition XI [5]: Dieu, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie, existe nécessairement.

Et également :

  • Quatrième partie : De la servitude de l’homme. Proposition XXVIII[6]: Le bien suprême de l’Âme est la connaissance de Dieu et la suprême vertu de l’Âme de connaître Dieu.
  • Cinquième partie : De la liberté de l’homme. Proposition XVI[7]: Cet amour envers Dieu doit tenir la plus grande place.

Tout en adoptant une réflexion philosophique originale qui tracera la voie aux principaux courants philosophiques modernes, les conclusions de Spinoza ne sont pas antinomiques à celles de l’orthodoxie juive :

  • Le Chapitre[8] XIV du « Traité théologico-politique » définit la foi par une soumission ou l’obéissance à Dieu. Mais ce qui est plus intéressant dans notre contexte n’est autre que la remarque de l’auteur sur les dogmes de la foi universelle : ceux-ci ne doivent pas être vrais, mais nécessaires, car aucun de ces dogmes ne contient de vérité philosophique parfaite sur ce qu’il énonce, mais doit renforcer l’obéissance. Voici les points mis en avant par Spinoza : Dieu existe, il est unique, il est partout, il a un pouvoir suprême sur tout : le culte de Dieu consiste en la pratique de la justice et de la charité.

Pour mesurer l’héritage que Spinoza a laissé au monde moderne, intéressons-nous à Einstein.

Einstein qui a reçu une éducation religieuse juive s’intéresse rapidement aux ouvrages scientifiques, le sentiment religieux le quitte à l’âge de douze ans: il met en doute la véracité de certains récits bibliques, refusant même de faire sa Bar-Mitzvah. Toutefois, il est probable que sa foi était réelle, même si celle-ci est « adaptée » :

  • Pour Einstein[9], le judaïsme est une religion sans Dieu, ou plutôt une religion qui n’a pas besoin de Dieu : la morale, les traditions, les valeurs issues de la culture juive n’ont rien à voir avec la transcendance et ne concernent que les hommes, car c’est une histoire d’hommes. Comme un murmure, les Psaumes lui parlent et Moïse s’incarne dans les actes.
  • Quand[10] on lui demande s’il croit en Dieu, Einstein répond : « Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l’harmonie ordonnée de ce qui existe, non pas en un Dieu qui s’intéresse au sort et aux actes des êtres humains. »
  • Et lorsque[11] l’historien Eric Kahler lui soumet son livre en 1943, à la mention : « Le Dieu juif est au-delà des forces de la nature, lointain, il n’a ni père, ni mère, ni épouse. Il n’a pas d’origine », Einstein annote « Bien. »

Pour en revenir à la circoncision que nous avons abordée en début d’article (celle de Jésus ..),  Spinoza, en dehors du refuge dans l’orthodoxie entrevit déjà deux voies pour le peuple Juif, soit l’assimilation soit un sionisme avant l’heure :

  • Selon[12] un paradoxe remarquable, Spinoza promeut deux orientations foncières du judaïsme moderne : l’assimilation tout d’abord, voire l’abandon pur et simple du judaïsme de la tradition, lequel ne se maintiendrait que par « l’observation de rites extérieurs opposés à ceux des autres nations » et par « la haine universelle » qui s’ensuit (Traité théologico-politique, III). L’assimilation est donc l’horizon inéluctable de l’État démocratique. Spinoza entrevoit la perspective et la possibilité du sionisme politique : « j’attribue une telle valeur au signe de la circoncision qu’à lui seul je le juge capable d’assurer à cette nation juive une existence éternelle ; si même les principes de leur religion n’amollissaient leurs cœurs, je croirais sans réserve, connaissant la mutabilité des choses humaines, qu’à une occasion donnée les Juifs rétabliront leur empire et que Dieu les élira de nouveau (ibid.) ».

Ainsi aujourd’hui le monde moderne – qu’incarnent l’Europe et les USA -, qui doit sa position hégémonique à l’éclosion des Lumières et en conséquence à ceux qui ont été les instigateurs tels Spinoza, s’évertue à refuser au peuple Juif de se retrouver souverain sur sa terre,.

Ce monde fait ainsi preuve d’un aveuglement évident.

Car ce ne sont pas que les « extrémistes orthodoxes juifs » qui prédisent et légitiment le retour des juifs sur leur terre ainsi que leur souveraineté retrouvée mais aussi ceux considérés comme « les hommes de progrès » et cela depuis plus de 3 siècles …

Paul David

Pour plus d’info sur différents points ici évoqués:, consulter les pages et articles de ce site, en particuliers:

Paul David


[1] Henry Méchoulan : « Etre Juif à Amsterdam au temps de Spinoza ». Chapitre : « Des Crypto-juifs aux « nouveaux juifs d’Amsterdam ». (p. 24 à 26)

[5] Spinoza : « Ethique ». (édition Flammarion : p. 30)

[6] Spinoza : « Ethique ». (édition Flammarion : p. 243)

[7] Spinoza : « Ethique ». (édition Flammarion : p. 318)

[8] Maurice Ruben Hayoun : « Les Lumières de Cordoue à Berlin – Une histoire intellectuelle du judaïsme (2) ». Préface (« Spinoza, Voltaire et Renan »). (p. XI).

[9] Simon Veille : « Einstein, dans la tragédie du XXe siècle ». Chapitre « Dieu est juif ». (p. 112)

[10] Simon Veille : « Einstein, dans la tragédie du XXe siècle ». Chapitre « Dieu est juif ». (p. 114)

[11] Simon Veille : « Einstein, dans la tragédie du XXe siècle ». Chapitre « Dieu est juif ». (p. 114)

[12] Collectif dirigé par Francine Cicurel : « Anthologie du Judaïsme – 3000 and de culture juive ». Chapitre sur Baruch Spinoza. (p. 118)